Ghannouchi règle ses comptes par ( Jamal Berraoui )
Le chef des Islamistes d’Annahda a fait une sortie remarquée lors d’un colloque international réunissant toutes les fractions du mouvement intégriste en Turquie. Il s’est attaqué aux frères musulmans égyptiens qu’il rend responsables de leur sort. Il explique qu’ils n’avaient d’abord pas cru en la force du mouvement révolutionnaire et qu’ils préféraient négocier avec Moubarak. Ensuite, il distingue deux périodes, la première où les frères musulmans promettaient d’associer tout le monde, de limiter leur présence au Parlement et de ne pas viser la présidence. Selon lui, cette attitude était prometteuse, mais l’appât du pouvoir a été le plus fort, ils ont eu la majorité absolue et la présidence. « Ce jour-là, j’ai dit à mes camarades, les frères musulmans égyptiens sont finis ». Il explique qu’ils se sont rapidement éloignés du peuple, ce qui a causé leur départ. Il ne fait aucun commentaire sur le coup d’Etat militaire et laisse même entendre que les manifestations du 30 juin étaient légitimes par ce qu’il qualifie d’erreurs des frères et de tentation d’absolutisme. Ghannouchi met en valeur l’expérience d’Ennahda en Tunisie, qui a réussi des alliances débouchant sur une certaine stabilité. Les divergences entre Ghannouchi et les frères musulmans d’Egypte sont historiques. Il a toujours refusé leur tutelle. Il est le premier dirigeant de l’Islam politique à avoir conceptualisé « Addaoula Al Madanya », une sorte de sécularisation soft. Il l’a fait dans les années 80, alors que partout ailleurs, la revendication, l’objectif ultime était l’Etat islamique. De son exil, il critiquait les accords passés avec le régime de Moubarak, qu’il fustige encore aujourd’hui. Les frères musulmans Egyptiens qui ont dirigé l’internationale intégriste pendant longtemps, n’appréciaient pas les positions du dirigeant Tunisien, préfèrent garder pour eux-mêmes les soutiens financiers, alors qu’Ennahda avait un nombre important de prisonniers dont il fallait secourir les familles. Ghannouchi a toujours été en avance sur les courants islamistes dans leur quête d’une normalisation avec la démocratie. Maintenant, il dit clairement que les frères musulmans égyptiens se sont mis dans une impasse historique par pure attirance pour le pouvoir absolu. Sissi n’en attendait pas autant, lui qui promet qu’il n’y aura jamais de réconciliation « parce que le peuple n’en veut pas ». Par ce pavé dans la mare, le dirigeant introduit un clivage au sein de l’internationale verte. Le discours sur la révolution confisquée, le soutien inconditionnel sont contestés par des islamistes dans le congrès de leur internationale. Ce débat aura des suites théoriques et organisationnelles. L’expérience du plus vieux mouvement, du plus puissant ne peut qu’éclairer les autres, dès lors qu’ils adoptent une démarche critique. C’est la voie que leur propose Ghannouchi. Je ne suis pas dupe, mais si les Islamistes sont plus ouverts aux idées démocratiques, au respect de l’autre, cela ne peut qu’apaiser les tensions. Affaire à suivre !