Gunter Pauli, promoteur de «l’Economie Bleue» et auteur du livre «Modèle Maroc» : «Il faut mobiliser et non immobiliser !»
Dans son ouvrage « Modèle Maroc », l’industriel belge Gunter Pauli propose un modèle de son Économie Bleue au Maroc. Un pays selon lui, plein de ressources et de richesses, dans lequel il faut puiser. Rencontre avec un idéaliste pour qui l’Économie mondiale devrait être basée sur le bien-être et non la concurrence.
Challenge : qu’est-ce que l’Economie Bleue?
GUNTER PAULI : L’Economie Bleue est une proposition, un cadre de développement économique qui nous permet de travailler avec tout ce que nous avons localement disponible. Notre but, n’est pas de concurrencer un marché globalisé où il faut faire face à la Chine, le Bangladesh, le Brésil et bien d’autres. Le but, est de répondre aux besoins de base de tout le monde dans votre communauté, famille, pays, et d’avoir compris la création des plus-values et atteindre un niveau de résilience afin d’être toujours prêt pour les crises qui vont sans doute s’imposer dans le monde entier.
Challenge : comment en êtes-vous venu à ce constat, comment est né le concept ?
J’étais un écologiste entrepreneur. J’ai eu l’honneur de créer la première entreprise qui n’avait pas de déchets, avec des voitures qui, en 91 déjà, roulaient en bio diesel, les restaurants filtrés et recyclés. Dans cette ambiance, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus être contre les autres, mais en faveur des projets qui sont des projets de transition et transformation. Après plus de 100 projets, je me suis demandé quelles en sont les caractéristiques ? J’ai un MBA et ces projets ne répondent pas aux critères de gestion que les MBA imposent, les analyses des risques qu’on propose. J’avais créé un concept et un environnement totalement différent.
Challenge : en quoi cette économie repose-t-elle sur la créativité ?
La Nature a du résoudre tous les problèmes possibles et tout ce qui est dans la nature n’a pas été capable de résoudre les problèmes, ce sont des fossiles, ils n’existent plus. La vie commune a dû répondre de manière extrêmement créative à toute sorte de défis, de crises, de problèmes. C’est pour ça que pour moi, la créativité repose dans les écosystèmes. Dans les écosystèmes il n’y a pas de chômeurs, il n’y a pas de chômage. Tout le monde travaille pour la promotion de la vie.
Challenge : comment pouvons-nous passer à une Economie Bleue ?
J’en ai ras le bol des analyses, des débats, de tout ce que l’on fait pour analyser et ensuite rien faire ! Ces 50 dernières années, le nombre de rapports et d’analyses qu’il y a mais sans concret, sans action. Nous avons besoin d’action ! Sur la base de quoi ? Un rapport ? Non ! Il faut que ce soit basé sur l’inspiration et la surprise.
Nous sommes dévoués à nos traditions, nos terres, nos familles. Ce dévouement vient du cœur et non pas seulement de la logique. Et cette combinaison de pouvoir avoir le cœur qui parle autant que notre tête et notre logique, les sciences et l’entreprenariat avec un engagement pour le bien commun, c’est un portefeuille d’opportunités ! Et grâce à ce portefeuille d’opportunités, on va motiver les gens à travailler pour le bien commun et de s’épanouir avec ce que l’on découvre que l’on a en soi.
Challenge : pensez-vous que la pandémie accélèrera ce passage justement ? Puisque vous êtes en phase avec tous les questionnements d’aujourd’hui.
Je ne suis pas en train de questionner. Je découvre les opportunités ! Les questionnements et les critiques sont du passé. Il faut préserver son énergie et comprendre les erreurs du passé. La pandémie n’aide pas du tout. Au contraire. Presque tous les gouvernements du monde entier ont décidé de démobiliser tout le monde, de confiner, d’interdire le contact. Je comprends bien qu’il faut gérer la situation, qu’il faut se méfier des contaminations. Mais quand on a un ennemi commun, il faut mobiliser tout le monde et ne pas se limiter à immobiliser les gens.
Challenge : l’Economie Bleue est-elle réaliste pour une économie comme celle du Maroc?
Pour les pays dont on ne connait pas les ressources, c’est la découverte, c’est la surprise. C’est l’opportunité de voir des richesses locales naitre, des milliers d’emploi et une valeur ajoutée qui n’a jamais été reconnue. Grâce aux opportunités que m’ont données le Maroc et l’OCP et plusieurs universités, j’ai pu faire connaissance de ce merveilleux pays, l’identifier et identifier un beau portefeuille d’opportunités.
Challenge : le Maroc devrait-il renoncer au chemin de développement pris par des pays tels que la Corée du Sud?
La Corée du Sud est un pays fortement industrialisé, avec une culture de concurrence aiguë, contre les Japonais et les Chinois. Ils ont toujours été dupés par les plus forts. Le Japon a colonisé la Corée du Sud. Pourquoi s’associer avec un pays qui a une culture, une histoire et un écosystème complètement différents ? Il faut rechercher en soi, ce que l’on a comme opportunité. Au lieu d’aller voir ailleurs. Cela n’a pas de sens sur le plan économique. Le Maroc est un pays de diverses cultures avec une tolérance extraordinaire pour la diversité. Le Maroc est un pays avec des écosystèmes différents et incomparables, je crois que dans ce contexte-là, le Maroc est unique et ne devrait pas prendre de leçons chez les Coréens.
Challenge : en quoi l’Economie Bleue pourrait-elle faire du bien au Maroc?
Le Maroc a la pauvreté, le chômage. C’est un pays de jeunes, qui ont besoin de perspectives. Au lieu de laisser les jeunes rêver à un ailleurs, à l’Europe ou aux États Unis, pour peupler le monde entier, il faut les inspirer à rester au pays. C’est exactement ce que l’Économie Bleue a su faire dans le monde entier.
Challenge : le modèle économique d’aujourd’hui, est-il dépassé ? Quelles en sont les limites ?
Soyons clairs, depuis la seconde guerre mondiale, on a proposé le modèle de la globalisation où l’on fait de la concurrence des prix, la concurrence dépend de la capacité d’être moins cher que les autres. Je suis désolé, s’il y a 10 pays du monde qui en sont capables, ce sont les grands qu’on connait. Mais les autres? Ce n’est pas possible. La seule manière d’être moins cher que la Chine et le Bangladesh, c’est de tricher. Tricher sur le social, en impôts, en écologie. Je ne critique pas ce modèle qui fut extraordinaire après-guerre, mais aujourd’hui, avec une pandémie, l’augmentation de la pauvreté, de la malnutrition, du maltraitement des femmes comme jamais vu dans notre histoire récente. Il faut se poser des questions. Un système qui ne repose pas sur le bonheur et le bien être des gens doit être amélioré et revu. Il faut corriger les erreurs du passé.
Challenge : comment voyez-vous l’économie et le monde après Corona ?
Je vois le monde comme je le voyais avant Corona. Plein d’opportunités, extraordinaires découvertes surprises, et surtout une résilience de la nature qui nous permet d’imaginer des solutions à court terme et dans l’immédiat pour inspirer les jeunes de rester dans leurs communautés et de transformer leurs régions, pour une transition vers un monde plus juste. Il faut surtout, dans ce monde après Corona, inspirer les jeunes.
N’oublions pas qu’à part des statistiques sur les infections publiées tous les jours, il y en a d’autres que l’on n’aime pas beaucoup. Le niveau de suicides chez les jeunes, atteint un seuil sans pareil dans l’histoire. Nous devons prendre cela comme une responsabilité, en tant que parent, et moi-même père de 6 enfants, c’est une grande responsabilité. Cette nouvelle génération a des capacités de faire, que nous parents n’avions pas. C’est pour ça que nous avons besoin de cette nouvelle génération chez nous.