Hamid Bentahar met en garde contre une implosion du secteur du tourisme
Un secteur à l’arrêt. Des professionnels du tourisme à genoux. Des entreprises en graves difficultés financières. Des employés sans ressources. Le tourisme est incontestablement le secteur le plus impacté par cette crise sanitaire et les récentes décisions prises de fermeture des frontières avec certains pays et du renforcement du contrôle pour l’accès au territoire national, plongent chaque jour un peu plus le secteur dans un marasme complet. Hamid Bentahar, Président de la Confédération Nationale du Tourisme est inquiet pour tous les métiers du secteur et pour toutes les régions du pays qui traversent une crise sans précédent. Il nous explique la situation.
Challenge : Vingt mois après l’apparition de la pandémie qui a fragilisé plusieurs secteurs, qu’en est-il du secteur du tourisme frappé de plein fouet par la crise sanitaire ?
Hamid Bentahar :Le tourisme, est le secteur qui a été le plus touché par cette crise. Si 80% du tissu économique national a repris une activité normale, il reste 20% représentés par les acteurs du tourisme qui sont toujours à l’arrêt ou dans un niveau d’activité minime. Cela fait, effectivement, 21 mois que l’ensemble de l’écosystème tourisme souffre. Toutes les filières du secteur, à savoir les voyagistes, les guides, les hôteliers, les restaurateurs, les transporteurs touristiques…subissent les effets massifs de la crise.
A côté de cela, les spécialistes de l’évènementiel, les artisans, les petits commerces liés au tourisme… sont également en souffrance. L’écosystème direct et indirect du secteur est touché. Ce sont 2,5 millions de familles qui vivent du tourisme au Maroc et nous assistons, aujourd’hui à une véritable détresse sociale face à l’ampleur des dégâts causés par cette pandémie.
Et le plus dramatique, c’est que les évolutions récentes de la situation sanitaire mondiale et des mesures restrictives prises par notre pays, laissent présager un risque social grandissant pour l’industrie touristique au Maroc pour encore un certain temps.
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Challenge : Une nouvelle restriction vient, en effet, d’être mise en place, celle d’un contrôle supplémentaire pour l’accès au pays, avec un test supplémentaire à l’arrivée, en plus du vaccin et du PCR de moins de 48H, avec une obligation pour les compagnies aériennes de rapatrier les cas positifs… Que pensez-vous de cette décision ?
Nous ne le répéterons jamais assez, nous sommes conscients que la question sanitaire est prioritaire mais cette mesure, aujourd’hui, est un frein supplémentaire dans la perspective de la reprise. Nous proposons et requérons de donner toute sa valeur et tout son sens à la vaccination et ses effets positifs. Autrement dit, il s’agit de capitaliser sur le succès de la vaccination au Maroc. Une fierté nationale. C’est le cœur de nos sujets.
Challenge : La suspension récente des vols avec la Grande Bretagne, les Pays-Bas et l’Allemagne a aussi des répercussions sur le secteur, n’est-ce pas ?
Les dernières annonces de fermeture des frontières avec ces pays ont été dramatiques. Ces pays représentent près de 20% des arrivées de visiteurs étrangers. L’ensemble de nos partenaires étrangers attendent impatiemment cette réouverture, car la fermeture des trois pays a gravement impacté non seulement les arrivées de ces pays, mais également les arrivées françaises qui sont, rappelons-le le premier marché émetteur pour le Maroc, ainsi que celles d’autres marchés devenus méfiants quant à un éventuel blocage de leurs ressortissants une fois arrivés au Maroc.
Beaucoup d’évènements prévus ce dernier trimestre 2021 et dans les premiers mois de 2022, ont aussi été annulés et reprogrammés dans nos pays concurrents. Nos parts de marchés sont en train d’être offertes à nos concurrents. Nous avons un véritable problème de confiance avec nos partenaires internationaux, qu’ils soient prescripteurs ou compagnies aériennes. Ils ne comprennent pas ces mesures restrictives. Nous sommes des professionnels responsables. Nous avons conscience qu’il y a des exigences sanitaires à respecter. Mais pour les personnes doublement, voire triplement vaccinées, il faut leur permettre de venir au Maroc. Il n’est pas question de prendre de risques sanitaires. Le Gouvernement marocain doit, aujourd’hui, envoyer des signaux forts pour rétablir la confiance avec ces pays et avec nos partenaires. La levée du couvre-feu, a néanmoins été un premier pas qui a aidé les professionnels, notamment les restaurateurs…
La profession se réjouit bien évidemment, de la levée du couvre-feu. Les autorités doivent toutefois continuer sur leur lancée en accélérant le rythme des ouvertures aériennes, lever toutes les restrictions pour les personnes doublement vaccinées, ouvrir les frontières et enfin autoriser les événements artistiques et culturels, quitte à ajouter un test à l’entrée des grands événements qui réunissent un nombre important de participants. La levée du couvre-feu, n’est qu’une première étape vers la levée de toutes les restrictions relatives aux horaires des lieux d’animation (spectacles, concerts …) pour les personnes vaccinées.
Nous devons changer de paradigme et capitaliser sur le succès de la vaccination. Pour reprendre une vie normale, il convient bien évidemment de conserver les gestes barrières dans les espaces d’animation artistique et culturelle, et d’événementiel d’entreprise et institutionnel. L’objectif étant de pouvoir organiser progressivement des séminaires de 300 à 400 participants contre à peine 50 aujourd’hui. Ce type d’événement, constitue une bonne partie de l’activité hôtelière.
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Challenge : Qu’attendez-vous aujourd’hui des pouvoirs publics ?
Il est indispensable, aujourd’hui, de permettre aux acteurs du tourisme de travailler au mieux et au plus vite. Ensuite, il faut que nous accélérions la mise en œuvre et le prolongement des mesures de soutien à l’emploi et aux entreprises touristiques au moins jusqu’à mars 2022 ou jusqu’au retour d’un niveau d’activité de 50% par rapport à 2019.
Nous appelons en particulier à un moratoire immédiat sur les saisies en général, notamment sur les véhicules de transport touristiques. Nous essayons au quotidien de sensibiliser sur la situation du secteur et sur le besoin du prolongement de ces mesures. En effet, le contrat programme tourisme tablait sur une reprise progressive de l’activité touristique, alors que la situation actuelle et les récentes mesures restrictives nous éloignent chaque jour de ces objectifs.
Challenge : Quelles sont les urgences à votre avis ?
Les réflexions menées au niveau de nos corporations professionnelles prévoient à très court terme, trois mesures urgentes pour le soutien des entreprises et des emplois. D’abord, les mesures sociales comme le maintien du dispositif CNSS du contrat-programme et son extension, et la révision des échéanciers pour les paiements des charges sociales reportées et dues sur 2020 et 2021, à partir de 2022 avec étalement sur 24 mois.
Pour les mesures bancaires, un reprofilage de l’échéancier bancaire long terme avec le GPBM et le renforcement de l’intervention de la CCG, le report des crédits leasing pour les entreprises du secteur de transport, ainsi qu’un report des remboursements des crédits contractés par les employés du secteur. La 3ème mesure concerne la fiscalité et nous demandons un moratoire fiscal au titre de 2020 et 2021, pour les taxes locales, notamment la taxe professionnelle.
Challenge : La Confédération Nationale du Tourisme a rencontré la nouvelle ministre du Tourisme… Qu’en est-il sorti de cette réunion ?
Nous avons effectivement rencontré la ministre et ses équipes. Une rencontre cordiale durant laquelle les différents présidents des fédérations métiers du secteur ont expliqué les difficultés que traverse chacune des corporations et ont émis les solutions qu’ils préconisaient pour la reprise et pour la réinvention du secteur. La ministre s’est engagée, en face des différents représentants du secteur à accélérer la mise en œuvre des solutions qui sont déjà dans un contrat-programme que nous avions signé pour sauver les emplois et les entreprises et qui couvrent la période 2020-2022.
Malheureusement, depuis juillet dernier, les mesures de soutien ont été interrompues. Il est aujourd’hui urgent de sauver les emplois et de mettre en place les mesures sociales, les mesures bancaires et les mesures fiscales. Il faut bien prendre conscience qu’il n’y aura pas de relance si on ne préserve pas et on ne sauve pas l’écosystème touristique et les entreprises, car ce sont elles qui créent les emplois.
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Challenge : Comment les grands pays mondiaux ont-ils réussi à se relever de cette crise ?
La première décision de ces pays a été d’accepter cette réalité, que le virus est encore là pour quelques temps. Ils ont, comme nous l’avons fait au Maroc, mené des campagnes de vaccination massives et ensuite ils ont décidé d’ouvrir l’ensemble des activités pour les personnes vaccinées ou avec test PCR. Et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, partout dans le monde, les stades sont pleins, les évènements artistiques ou professionnels ont repris. Ces pays ont appris à vivre avec le Covid.
Ce qui est frustrant pour nos professionnels du tourisme, c’est que le Maroc a été exemplaire dans la gestion de la crise sanitaire sous la vision éclairée de notre Souverain, mais la fermeture des frontières avec certains pays n’est pas adaptée aux enjeux et aux difficultés que traversent l‘économie en général, et le tourisme en particulier. On peut gérer en même temps les enjeux sanitaires et ceux économiques. Nous pouvons remettre le secteur en activité et prendre toutes les mesures sanitaires nécessaires pour éviter une propagation du virus.
Challenge : Le tableau que vous dressez est très critique… Restez-vous néanmoins optimiste pour l’avenir ?
Le secteur est à genoux, mais il n’est pas mort. Les fondamentaux de notre métier restent bons. L’envie de voyage sera toujours là. Parmi les leçons que nous avons retenues de cette crise, c’est que la reprise dans le tourisme est très rapide sur le segment loisirs. Certains pays, comme je vous le disais, sont déjà à des niveaux d’activité pas très loin de 2019. C’est une bonne nouvelle pour l’industrie mondiale. Par contre, au niveau national avec les contraintes existantes, la reprise ne peut avoir lieu.
Le secteur a besoin d’une stratégie de relance forte et dotée de moyens suffisants, une volonté des pouvoirs publics et une mobilisation de tous les acteurs. Ce sont les conditions indispensables pour permettre à l’industrie touristique marocaine de survivre, renouer avec la croissance, et de retrouver sa place dans l’économie nationale, dans un délai raisonnable.