Inscrire les énergies renouvelables dans une stratégie de flexibilité en fera le moteur économique du Maroc et du continent [Tribune]
L’Afrique a le potentiel de devenir un des prochains gagnants de l’économie mondiale, avec plusieurs pays africains enregistrant une forte croissance économique durant ces dernières années. Cependant, pour qu’un avenir meilleur puisse s’écrire, la modernisation du système d’approvisionnement et de distribution de l’énergie sur le continent reste une question clé. Pour le Maroc, la transformation engagée de son système électrique doit s’inscrire dans une logique de flexibilité visant à s’adapter aux contraintes d’intermittence et de saisonnalité du vent et du soleil.
En 2017, la NASA a publié une série d’images satellites nocturnes de la Terre. Les images illustrent l’énorme disparité intercontinentale en matière d’éclairage. Dans le cas de l’Afrique, le manque de lumière reflète une réalité qui donne à réfléchir : plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, et encore plus n’ont accès qu’à une électricité chère et intermittente. En Afrique du Sud, les blackouts (pannes de courant massives) et les blackouts (chutes de tension du système électrique) ne sont pas inhabituelles. Au Zimbabwe, les habitants ne peuvent compter que sur 8 heures d’électricité par jour depuis mars 2019 ! Bien qu’il existe des différences majeures entre les pays, le continent dans son ensemble a un énorme besoin d’électrification.
Un problème complexe
Les défis de l’Afrique en matière d’électricité sont d’autant plus marquants si l’on considère le fait que l’économie africaine est en croissance constante. Les données de la Banque africaine de développement montrent que le PIB du continent a atteint 3,5% en 2018 et devrait atteindre 4,1% en 2020, un chiffre qui pourrait être revu à la baisse en raison de la crise sanitaire. Alors pourquoi, malgré cela, de grandes parties de l’Afrique sont-elles encore privées d’un accès basique à l’énergie ? Tout simplement parce que l’offre n’a pas suivi le rythme de la demande. Cela est dû à un certain nombre de facteurs, comme la croissance démographique et l’urbanisation rapide, les coûts élevés de la production électrique existante et l’incapacité à réaliser les investissements nécessaires.
En effet, le continent africain a le taux d’urbanisation le plus rapide au monde. On prévoit que d’ici 2040, plus de la moitié de la population africaine vivra dans les zones urbaines. Cependant, les infrastructures de soutien – y compris les réseaux électriques – n’ont pas suivi le rythme, que ce soit au niveau des capacités de production mais aussi du réseau de distribution. De ce fait on observe de nombreuses perturbations du réseau électrique.
Les coûts d’exploitation des services publics nationaux constituent également un défi, car bien souvent, les coûts de production sont plus élevés que ce qui peut être facturé légalement aux consommateurs. En conséquence, ils doivent être continuellement subventionnés, ce qui va à l’encontre d’une logique de créer un marché de l’électricité pérenne. De plus, l’augmentation des prix n’est pas une solution viable, car cela pourrait miner la profitabilité des industries, le budget des ménages et ne permettrait pas une croissance économique saine. D’autant que le prix approximatif de l’énergie est déjà deux à trois fois plus élevé en Afrique qu’en Europe, alors que dans le même temps, le pouvoir d’achat de la population est nettement inférieur. Ce phénomène conduit naturellement à une situation de blocage.
L’option des énergies renouvelables
Grâce à leurs ressources naturelles et aux nouvelles technologies, en particulier les énergies renouvelables, de nombreux pays africains ont toutefois une nouvelle opportunité pour poursuivre un développement durable. En effet le continent dispose d’un gigantesque potentiel de ressources solaires, éoliennes, ou hydrauliques. A titre d’exemple, le bassin du Congo dispose à lui seul d’un potentiel hydroélectrique suffisant pour alimenter l’ensemble du continent africain.
De manière générale, l’optimisme quant à l’avenir du secteur énergétique africain est justifié. Comme pour le secteur de la téléphonie, le continent pourrait effectuer un bond en avant, en mettant directement en place les nouvelles technologies disponibles sur le marché. De la même manière que pour le secteur des télécoms, où les téléphones portables se sont directement imposés sans passer par les lignes fixes, l’Afrique pourra se tourner vers les renouvelables sans avoir eu à se doter d’abord d’une grande capacité fossile ou de lourdes infrastructures de transport.
Des solutions d’énergies renouvelables décentralisées peuvent rapidement être mises en place, accompagnées de capacités de stockage limitant les coûts d’infrastructure de transport et de solutions thermiques flexibles pour gérer l’intermittence et soutenir la stabilité des réseaux. Le gaz naturel, présent dans de nombreux pays, va jouer un rôle prépondérant dans ce développement.
Le leadership régional du Maroc
Le Maroc est engagé dans une transition majeure vers les énergies propres, avec pour objectif d’intégrer 52 % d’énergies renouvelables dans le mix des capacités de production installées d’ici 2030. Depuis 2009, le Maroc a fait d’importants progrès dans le développement d’un marché de l’énergie moderne, en ouvrant et en réformant davantage le secteur de l’électricité, en fixant des objectifs clairs en matière d’énergies renouvelables, en créant des entités spécialisées pour mettre en œuvre les programmes nationaux et en facilitant l’obtention des moyens réglementaires et financiers nécessaires.
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De l’annonce d’un objectif de 52 % d’énergies renouvelables en 2030 lors de la COP 21 à la réalisation de ce qui était à l’époque la plus grande centrale solaire CSP du monde (580 MW) dans le cadre du projet Noor Ouarzazate, le Maroc s’est positionné à l’avant-garde du monde des énergies renouvelables en mettant en action une stratégie énergétique précise et engagée, avec les énergies propres au cœur de celle-ci.
Au-delà des enjeux nationaux, le pays est moteur dans la promotion de l’intégration des marchés énergétiques régionaux avec l’Europe et l’Afrique. En tant que leader Africain dans le domaine, le Maroc s’appuie sur sa propre expérience en matière de transition énergétique afin de soutenir les transitions vers les énergies propres dans les pays d’Afrique subsaharienne, en soutenant leur développement durable, l’accès à l’énergie et le développement des ressources. De même, le Maroc cherche à faciliter le commerce de l’électricité renouvelable (et de l’hydrogène) avec l’Europe et ses voisins régionaux en Afrique en se positionnant en tant que hub énergétique pour les coopérations Sud-Sud et Nord-Sud.
La flexibilité au cœur de la transition énergétique au Maroc
Un réseau électrique avec une part élevée d’énergies renouvelables génère de l’instabilité du fait de leur nature intermittente. Il nécessite donc de multiples formes de flexibilité, c’est-à-dire des capacités de production et des moyens contractuels permettant de réagir en temps utile aux variations de l’offre et de la demande d’électricité. Le réseau électrique marocain dispose aujourd’hui de plusieurs moyens de flexibilité, grâce à l’hydroélectricité par pompage, aux centrales CSP avec stockage intégré et aux importations d’électricité (qui ont doublé au cours des dix dernières années). Le Maroc prévoit également une troisième interconnexion avec l’Espagne et une nouvelle avec le Portugal d’ici à 2027, renforçant ainsi les ingrédients nécessaires pour la mise en place d’un marché électrique régional.
Toutefois, les besoins d’équilibrage du système électrique vont augmenter, la part des énergies renouvelables intermittentes dans la production d’électricité devant dépasser 20 % d’ici 2030 grâce aux ambitieux programmes éoliens et solaires du pays. Dans ce contexte, il devient primordial de penser le système électrique national futur dès aujourd’hui de façon à intégrer davantage de flexibilité, permettant ainsi d’assurer la sécurité énergétique nationale et d’optimiser les coûts d’exploitation du réseau. Un mix de solution de stockage d’énergie et de technologies à base de moteurs, qui sont celles qui assurent les meilleurs temps de réponse, permettrait au système électrique de s’adapter efficacement aux excès ou déficits soudain de production renouvelable.
Le COVID-19, une simulation en temps réel d’une forte pénétration d’énergies renouvelables dans le mix énergétique
De manière intéressante, la crise du COVID-19 nous donne un avant-goût de ce qui nous attend en 2030 au Maroc. Nous avons créé au sein de Wärtsilä le Energy Transition Lab pour aider notre industrie, les décideurs politiques et le public à comprendre l’impact du COVID-19 sur les marchés européens de l’électricité et à analyser ce que cela signifie pour la conception et l’exploitation futures des systèmes énergétiques. Grace à cet outil, nous avons pu observer en temps réel une simulation grandeur nature des effets d’une forte pénétration de renouvelables dans le mix de production énergétique. En effet, en avril, la demande d’électricité a été particulièrement faible du fait des mesures de confinement et nous avons connu des journées très ensoleillées avec beaucoup de vent en Europe centrale et du Nord – c’est-à-dire des conditions parfaites pour produire de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables.
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Bien que ce scénario puisse sembler idéal, il a constitué en réalité un signal d’alarme pour l’industrie énergétique de plusieurs pays européens : même si les demandes en électricité auraient pu être satisfaites par des énergies renouvelables, les centrales au charbon et nucléaires ont continué à produire de l’électricité supplémentaire. En raison de leurs technologies inadéquates, elles ne pouvaient pas être mises en marche ou arrêtées de manière flexible. De plus, elles étaient nécessaires en tant que variables d’ajustement afin de prévenir rapidement toute éventuelle pénurie d’électricité et pour garantir la stabilité du réseau – ce que les énergies renouvelables ne sont pas en mesure de garantir du fait de leur intermittence. Tout cela a conduit à une quantité excessive d’électricité renouvelable sur les réseaux qui aurait pu avoir de lourdes conséquences (des balckouts, de fortes instabilités sur les réseaux, des conséquences financières…).
A titre d’exemple, l’Allemagne a battu ses records de production d’énergie verte en avril, les énergies renouvelables atteignant une part moyenne de 58 % de la production, soit une hausse de 11,4 % par rapport à l’année précédente. Si l’Allemagne avait pu arrêter ses centrales nucléaires et à charbon, elles auraient pu être remplacées par les énergies renouvelables disponibles pour couvrir 100 % des besoins énergétiques du pays. Au lieu de cela, l’Allemagne a dû payer d’autres pays (Norvège, Autriche…) pour exporter massivement son excès d’électricité (12GW) n’ayant pu ajuster ses outils de production « inflexibles ». Ces pays produisaient eux-mêmes suffisamment d’énergie pour répondre à la demande locale, mais leurs réseaux disposaient également d’une certaine flexibilité et pouvaient donc contrôler leur production d’électricité, faisant ainsi place à l’énergie allemande. Le même phénomène s’est également produit à plusieurs reprises au Royaume uni ou le prix de l’électricité sur le marché est devenu négatif pendant des journées particulièrement venteuses, le parc éolien fournissant jusqu’à 55% de l’électricité du pays. Le régulateur britannique n’a eu d’autre choix que d’arrêter toutes les centrales à charbon et de payer l’opérateur EDF pour qu’il réduise la production de la centrale nucléaire de Sizewell B.
Vers un continent Africain avec 100% d’énergie renouvelable ?
Tout cela soulève de sérieuses questions pour l’avenir. La rapidité de la transition énergétique impose des critères supplémentaires dans les choix d’investissement pour assurer la pérennité et la meilleure rentabilité économique du réseau énergétique. Avec l’augmentation des énergies renouvelables intermittentes sur le réseau marocain, la flexibilité du système et l’adéquation entre les types de technologies dans le mix énergétique seront essentielles pour maintenir la stabilité du marché de l’électricité et du système électrique. A cet effet, le Maroc prévoit d’accroître la part du gaz naturel à plus long terme. Plusieurs nouvelles voies d’approvisionnement en gaz sont en cours de discussion, notamment l’importation de gaz naturel provenant d’un gazoduc avec le Nigeria, et la construction de terminaux GNL, qui peut donner accès à la flexibilité des contrats et des sources de production d’électricité.
Le Maroc pourrait-il fonctionner en construisant uniquement de l’énergie solaire, éolienne et des batteries? Oui, mais cela nécessiterait plus de capacité que le système flexible, ce qui entraînerait des coûts système de 12% plus élevés. Le système fonctionnant uniquement à l’énergie solaire, éolienne et sur batteries doit en effet développer une capacité excédentaire pour traverser des périodes de mauvaises conditions météorologiques, tandis que le système flexible peut utiliser pendant ces périodes du gaz ou un carburant synthétique neutre en carbone. L’intégration de l’ensemble de ces solutions énergétiques permettront à terme un accès à l’électricité au plus grand nombre tout en réduisant les coûts de production du KWh et en améliorant la fiabilité du système énergétique.
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De nombreux scénarios sont envisageables quant à l’avenir énergétique de l’Afrique, cependant les choix politiques doivent emmener les pays vers des solutions durables et inclusives pour accélérer le développement social, industriel et économique. Les nouvelles technologies, le dynamisme du secteur énergétique africain, et la demande croissante soutenue à long terme, sont autant de points positifs pour le développement d’un système énergétique fiable dans de nombreux pays africains.
A propos des auteurs :
Frédéric Baralon et Tarik Sfendla sont Market Development Managers chez Wärtsilä Energy Business. Ils sont en charge des relations avec les différentes parties prenantes du domaine de l’énergie en Afrique, du suivi de l’évolution du marché et de la modélisation du marché de l’électricité pour optimiser les capacités supplémentaires et les LCOE. Avec leur équipe, ils jouent un rôle clé dans le développement des stratégies Energy Business en Afrique telles que l’évaluation du potentiel de nouveaux marchés et le développement de partenariats stratégiques dans la région.