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«Pourquoi j’ai rompu avec le Polisario». L’ancien ministre Hadi Ahmed Barikallah dévoile la face cachée du mouvement séparatiste

L’ancien ministre et ambassadeur du Polisario, Hadi Ahmed Barikallah a accordé une grande interview à Jeune Afrique dans laquelle il livre un témoignage rare sur le fonctionnement interne du mouvement indépendantiste. S’il a fini par quitter les rangs du Front, I’ex-diplomate n’a pas pour autant rallié le Maroc. Morceaux choisis du récit de ce « nationaliste sahraoui » devenu opposant, et qui voit dans Ie plan d’autonomie proposé par le Maroc une bonne base de discussion.

C’est au sein de son siège à Paris que le magazine panafricain « Jeune Afrique » a reçu Hadj Ahmed Barikallah (Hach Ahmed Baricalla sur ses papiers espagnols), un opposant pas comme les autres, pour une grande interview. L’ancien ministre et ambassadeur du Polisario a ainsi révélé la face cachée des séparatistes.

Le Polisario est « gangrené par la corruption et voué à disparaître, au même titre que I’IRA en Irlande »

A la différence des nombreux autres Sahraouis qui ont quitté les camps de Tindouf, base arrière du Polisario, cet ancien haut responsable des séparatistes ne s’est pas installé au Maroc, mais en Espagne, dans les Asturies, selon Jeune Afrique. Un choix qui reflète sa volonté de se positionner comme une alternative politique crédible au Front Polisario, que cet ancien ministre du Polisario estime « gangrené par la corruption et voué à disparaître, au même titre que I’IRA en Irlande ». Ce qui l’a poussé à fonder, en avril 2020, le Mouvement sahraoui pour la paix (MSP), confie Barikallah. Face à « la stagnation persistante », au « manque de perspectives » et au « bellicisme, des dirigeants du Polisario, le mouvement de Hadj Ahmed propose une « voie de sortie pacifiste ». Ses adhérents, issus de la diaspora sahraouie ou anciens membres du Front ayant quitté l’organisation en raison de conflits internes, œuvrent à trouver une solution de compromis viable et durable au problème du Sahara occidental ».

« Le plan d’autonomie proposé par le Maroc une bonne base de discussion »

Contrairement a Polisario, le MSP soutient ouvertement le plan d’autonomie marocain, dont il voudrait « négocier les termes », sans pour autant rallier le royaume comme d’autres ont pu le faire. Une nouvelle ligne politique soutenue par des personnalités politiques de haut rang, comme l’ex-chef du gouvernement espagnol José Luis Zapatero, visant à résoudre un conflit qui dure depuis plus de quarante ans, souligne le magazine panafricain précisant que cette démarche, à l’opposé de ce que prônent les dirigeants du Polisario, est évidemment perçue comme un acte de haute trahison. Ce qui a fait passer Hadj Ahmed Barikallah du statut de haut cadre du Polisario à celui de persona non grata et de féIon.

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« Pourquoi nous sommes partis de Dakhla »

 Selon Jeune Afrique, Hadj Ahmed Barikallah est né en 1957, à Villa Cisneros (Dakhla aujourd’hui), bourgade sur la côte atlantique de quelques milliers d’habitants – alors siège du gouvernement de la province sahraouie espagnole du Rio de Oro. Son père, membre de la tribu des Ouled Garaa, est officier dans I’armée espagnole. Sa mère, fille de notable, est issue de la tribu guerrière des Ouled Delim – considérée à l’époque comme alliée de l’occupant espagnol. Elle est la cousine d’Ahmedou Ould Souilem (ancien haut responsable du Polisario devenu ambassadeur du Maroc en Espagne en 2010 après avoir quitté les rangs de la RASD). Après une jeunesse sans histoire, passée à l’ombre de son grand frère et mentor, futur représentant de la RASD auprès de I’ONU, Ahmed Boukhari, il emménage au début de 1975 avec sa famille en Mauritanie, puis sur les îles Canaries, retrace le magazine. « Nous sommes partis de Dakhla car il y régnait un climat d’instabilité et de peur. Mon frère, qui était étudiant en droit à Madrid, s’était vu retirer sa bourse car il se retrouvait avec d’autres étudiants pourparler de tout cela. Et toutes sortes de rumeurs circulaient sur notre devenir si la région passait sous drapeau marocain », se souvient Hadj Ahmed Barikallah qui était alors lycéen.

« Passé l’engouement romantique des premières semaines à Tindouf, mon désenchantement »

Quelques mois après les accords tripartites de Madrid, le 14 novembre 1975, signés entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie sous la pression directe de la Marche verte, la famille embarque en 1977 à bord d’un vol pour Madrid, puis pour Alger et enfin pour Tindouf, sur proposition du fils aîné, désormais en contact avec les Sahraouis originaires de Nouakchott et de Tan-Tan, pères fondateurs du Polisario. Destination les camps, dans l’Ouest algérien, où la République sahraouie autoproclamée a pris ses quartiers. S’ensuivent alors pour Hadj Ahmed Barikallah, comme pour tous les jeunes Sahraouis arrivés dans les camps nichés dans le désert algérien, six mois d’entraînement militaire, rapporte Jeune Afrique. Des oripeaux révolutionnaires qui en ont séduit beaucoup, portés et financés par un Mouammar Kadhafi anti-Hassan II et par une Algérie en quête de leadership régional.

Mais Hadj Ahmed déchante rapidement : « Passé l’engouement romantique des premières semaines, je retiens de cette période avant tout un choc, à la fois thermique et environnemental, confie-t-il. Après le confort et la qualité de vie que nous avions à Dakhla et plus tard à Las Palmas, nous devions faire face, dans les camps, à des conditions de vie très dures : le climat est très aride, avec des températures extrêmes qui dépassent souvent les 50 °C à l’ombre le jour et qui peuvent descendre au-dessous de 0°, des tempêtes de sable, des habitations très sommaires – tentes ou constructions en terre d’adobe avec des toits le plus souvent en tôle -, pas d’eau courante, de l’électricité par intermittence, et encore moins de distractions… Le tout dans une ambiance de guerre où régulièrement des amis trouvaient la mort sur le champ de bataille. »

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De Cuba au Venezuela en passant par l’Espagne

Hadj Ahmed Barikallah, qui avait dû abandonner ses projets d’études, est affecté, en 1978, au « pôle médias, du Polisario, désireux de s’adjoindre des supports pour diffuser ses informations et ses idées. Après un stage de formation d’un an au Département d’orientation révolutionnaire (DOR) du Cuba de Fidel Castro, un des grands soutiens du front séparatiste, il devient journaliste, puis responsable des programmes en espagnol à Radio Sahara, diffusée dans la région des camps, ainsi qu’en Algérie et en Espagne, et travaille au journal Sahara libre. Le système médiatique du Polisario, Hadi Ahmed le connaît bien, il en est même une des principales chevilles ouvrières. A la fin des années 1980, il fait ouvrir un bureau de la délégation sahraouie à Madrid. Sa carrière de diplomate est lancée. En 1996, il est nommé ambassadeur du Polisario au Venezuela.

« Les gens qui gravitent autour des aides en tirent leurs revenus et n’ont donc aucun intérêt à ce que ce conflit soit résolu »

Depuis Caracas au Venezuela, et avec peu de moyens, Hadj Ahmed Barikallah va développer un vaste réseau en Amérique latine, rapporte Jeune Afrique. Son titre d’ambassadeur sera d’ailleurs élargi à tout le continent sud-américain, haut lieu de confrontation avec la diplomatie marocaine. Comment est financée cette entreprise ambitieuse (très surveillée, par ailleurs, par les diplomates algériens en Amérique du Sud) ? Hadj Ahmed assure qu’il recevait 5000 dollars mensuels. De l’argent, dit-il à Jeune Afrique, envoyé par virement tous les mois depuis un compte du Polisario ouvert dans une succursale de la Banque nationale algérienne (BNA) située à Alger, pour couvrir tous les frais de la chancellerie, logement, salaires du personnel et émoluments compris. Mais aux côtés des financements algériens, Hadi Ahmed pouvait compter sur ses nouveaux et nombreux amis latino-américains : Hugo Châvez, alors président du Venezuela, son successeur Nicolas Maduro, les présidents bolivien Evo Morales et de la République dominicaine Leonel Fernandez… « Cette grande toile du Front Polisario dont le but à l’origine était de venir en aide aux Sahraouis qui vivent dans les camps, est aussi son talon d’Achille », se désole aujourd’hui l’ancien diplomate.

« Non seulement les gens qui gravitent autour en tirent leurs revenus, ainsi que leur raison d’être socialement, et n’ont donc aucun intérêt à ce que ce conflit soit résolu, mais ces aides sont en grande partie dilapidées du fait de la corruption endémique qui sévit au sein du Polisario, et ne parviennent que très partiellement à ceux qui en ont véritablement besoin », explique Hadj Ahmed Barikallah qui fut nommé, en 2011, ministre de la Coopération par l’omnipotent secrétaire général du Polisario et président du mouvement séparatiste, Mohamed Abdelaziz. Et au Polisario, les missions du département ministériel de la Coopération consistaient avant tout à chercher des sources de financement, des aides, envoyées vers des comptes de la Présidence et du Premier ministre ouverts auprès de la Banque nationale algérienne à Tindouf. Mais aussi d’importantes aides en nature, qui arrivaient par des caravanes, deux fois par an – dans certains cas, elles pouvaient compter plus d’une centaine de camions, remorques et véhicules remplis de produits.

« Le Polisario est une mafia qui n’a qu’une seule envie : s’enrichir sur le dos des populations sahraouies »

Mais il y a également du soutien en espèces sonnantes et trébuchantes, certains comités préférant fournir leurs contributions en cash. « En tant que diplomate, puis plus tard en tant que ministre de la Coopération, j’ai été témoin de cas d’associations et de comités de soutien qui apportaient leur aide dans des enveloppes remises aux gestionnaires d’antennes locales du Polisario », se souvient Hadi Ahmed. Du cash qui «devait ensuite être acheminé jusqu’aux camps, à la présidence et au Premier ministre, qui se chargeaient de le répartir. C’est ainsi que l’ancien journaliste, passé par la case diplomatie, s’est retrouvé à jouer les porteurs de valises pour le compte du Polisario : à trois reprises, lorsque j’étais ambassadeur à Caracas, puis chargé de toute l’Amérique latine, j’ai dû moi-même m’occuper du transport d’argent en espèces. Je me souviens en particulier d’une opération, en 2006, quand j’ai dû apporter moi-même jusqu’à Tindouf une aide directe de l’État vénézuélien d’un montant de 7 millions de dollars en billets, destinés à financer une école et la couverture des besoins en eau dans les camps. » Dans ce rôle, il prendra la mesure du fonctionnement du Polisario. « Une mafia», assure-t-il, qui n’a qu’une seule envie : s’enrichir sur le dos des populations sahraouies qui vivent dans le dénuement dans les camps ».

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« Pourquoi j’ai rompu avec le Polisario »

Son travail à la tête de ce département précipitera d’ailleurs sa rupture avec le Polisario. « Je mobilisais beaucoup d’argent, des millions de dollars. En tant que ministre, j’étais responsable de la coopération décentralisée, c’est-à-dire de la récupération de toutes les aides destinées au Polisario qui provenaient non pas du gouvernement central, mais des municipalités, des régions, des organisations non gouvernementales, des centrales syndicales, des organisations humanitaires de pays comme l’Espagne, la Norvège, la Suède, l’Afrique du Sud, l’Italie… Cela représentait des sommes importantes : en Espagne, par exemple, la coopération décentralisée peut atteindre 40 millions de dollars par an », confie-t-il. Et de poursuivre : « C’est ce qui m’a poussé à présenter ma démission au bout de six mois, le 5 mai 2012, car je ne pouvais pas accepter de voir les réfugiés dans les camps souffrir pendant que les aides bénéficiaient surtout aux hauts cadres du Polisario, qui se servaient au passage pour financer leur train de vie et celui de leur famille, qu’ils envoient vivre en Europe, ou ils achètent des maisons pendant que le peuple endure des conditions de vie et sanitaires totalement indignes. Et le pire, c’est que je devais rédiger des rapports le plus souvent faussés pour les ONG et pour les autres donateurs pour justifier l’utilisation des aides. Bien sûr, j’en avais fait part à Abdelaziz, mais sans résultat. »

Pour Hadi Ahmed, ces montants, qui auraient pu permettre de construire des habitats solides, de lancer des projets urbains structurants pour la population, de développer une agriculture adaptée, servaient avant tout l’intérêt du noyau au pouvoir. Et parfois à répondre, au coup par coup, aux revendications sociales. Bilan : près de cinquante ans après sa création, le Polisario ne compte pas d’hôpitaux dignes de ce nom, les projets agricoles ont tous échoué, il n’y a toujours pas d’eau courante dans les habitations, les réfugiés sont totalement dépendants des sacs de lentilles ou de riz fournis par les autorités algériennes pour préparer les repas, leurs enfants doivent se rendre à Alger ou à Cuba pour poursuivre leurs études au-delà du collège… Et encore, il faut être pistonné pour pouvoir accéder à des études supérieures. « La plupart des médecins sahraouis qui ont été formés sont des fils et des filles de dignitaires qui sont les seuls à accéder aux bourses d’études », fait-il remarquer soutenant qu’avec le Polisario il faut du piston pour tout et n’importe quoi : étudier, avoir un passeport, circuler librement…

«Les abus de pouvoir conduisant à des violences sexuelles et à des viols sont monnaie courante»

Après sa démission en 2012, Barikallah prend conscience de la réalité du pouvoir en place. Bien que le « Comité exécutif » ait théoriquement disparu en 1989, les mêmes personnages ont conservé leur influence à travers le « bureau du Secrétariat ». Et toute personne qui s’opposerait à eux s’expose au minimum à une mise à l’index, et plus généralement à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement et à la torture. « J’ai réalisé que plusieurs personnes, dont des amis d’enfance, que je croyais mortes au combat avaient en fait péri dans les geôles du Polisario », soutient-il. Les camps, poursuit-il, seraient régulièrement aussi le théâtre d’agressions sexuelles. « Les abus de pouvoir conduisant à des violences sexuelles et à des viols sont monnaie courante, au point que des blagues circulent sur le fait qu’il vaut mieux ne pas avoir de femme ou de fille trop jolie », pointe l’ancien diplomate.

Des vérités que le natif de Dakhla n’a pas supportées, malgré son statut privilégié de haut commis du Front issu d’une des familles sahraouies qui comptent. En décembre 2015, il décide d’exprimer ses réserves dans une lettre ouverte lue lors du 14 ème congrès du Polisario. Résultat: les leaders du mouvement le traitent en pestiféré et le mettent au placard. Dépité, convaincu que le changement n’aura jamais lieu, il jette définitivement l’éponge en novembre 2017 pour entrer dans une longue réflexion sur l’avenir du peuple sahraoui. Une réflexion qui l’amènera d’abord à lancer avec un groupe de militaires et de civils, dont l’ancien membre du secrétariat du Polisario Oulad Ould Moussa, l’Initiative sahraouie pour le changement (ISC), avant de décider, trois ans plus tard, en avril 2020, de bâtir une nouvelle voie politique, qu’il imagine comme la seule issue possible pour une jeunesse sahraouie en manque d’horizon.

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« Je compte bien négocier au nom de la population des camps avec le royaume sur la base du plan d’autonomie…»

« L’état de la population sahraouie dans les camps me fait mal au cœur. Les gens vivent dans la misère, l’essentiel de l’argent est détourné par une petite brochette de responsables. Le choix du Polisario d’entraîner les gens dans la guerre, présentée comme la seule solution, est absurde. Beaucoup de jeunes en sont conscients, surtout avec les nouveaux canaux de communication, et souffrent de l’absence de perspectives. Ils sont livrés à eux-mêmes. Faute de pouvoir émigrer en Europe, certains se lancent dans différents trafics, de drogue et de carburant notamment, quand d’autres s’engagent dans des groupes jihadistes qui opèrent au Sahel. Cette situation ne peut pas continuer », s’indigne Hadj Ahmed, qui compte désormais offrir une alternative de paix et de dignité au peuple sahraoui. « Je veux faire avancer mon peuple, trouver une solution à ce conflit qui n’a que trop duré. J’ai choisi de m’installer en Espagne pour garder une crédibilité. Je n’ai d’ailleurs aucun contact avec les autorités marocaines, ni avec les services, mais je compte bien négocier au nom de la population des camps avec le royaume sur la base du plan d’autonomie qui me semble être une solution du milieu à ce conflit. La victoire militaire est impossible, on ne peut pas continuer à courir derrière un mirage. Et le Polisario ne peut rien faire sans l’aval de l’Algérie, qui donne le pain, les lentilles et les laissez-passer aux Sahraouis. Notre peuple est pris en otage. Cela doit cesser. »

 
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