Jean-Michel Huet :«71% des entreprises marocaines que nous avons interrogées, estiment que la crise du Covid-19 est un accélérateur pour repenser leur modèle économique»
Pour Jean-Michel Huet, associé au sein du cabinet BearingPoint, la crise de la Covid-19 a renforcé l’internationalisation désormais initiée par les entreprises marocaines pour l’adoption de modèles économiques nouveaux et complémentaires. Dans cette interview, il analyse les tenants et les aboutissants de cette nouvelle tendance des sociétés marocaines.
Challenge :Les investissements directs marocains à l’étranger se sont situés à 13,13 milliards de DH à fin septembre, soit le plus haut niveau atteint durant la même période au titre des cinq dernières années. Comment expliquez-vous le fait que la Covid-19 n’ait pas impacté les projets d’internationalisation des entreprises marocaines ?
Jean-Michel Huet : La crise pandémique a renforcé l’internationalisation désormais initiée par les entreprises marocaines pour l’adoption de modèles économiques nouveaux et complémentaires. En effet, 71% des entreprises marocaines que nous avons interrogées estiment que la crise du Covid-19 est un accélérateur pour repenser leur modèle économique.
Bien que la crise actuelle ait impacté l’activité des entreprises en Afrique, elle a également été un accélérateur à travers l’adoption du digital comme transformateur de business. L’émergence de plateformes digitales représente le facteur le plus disruptif dans l’hybridation des modèles économiques soutenus par la croissance d’une nouvelle ère digitale en Afrique. A cet effet, le paiement mobile représente la success story africaine d’un modèle hybride par essence.
Les entreprises marocaines ont un rôle à jouer dans cette transformation et se positionnent sur ces sujets. Les leaders l’ont déjà compris avec des renforcements, notamment dans le domaine de l’agro-business, de l’industrie mais aussi des services.
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Challenge : Depuis quelques années, les entreprises marocaines ne semblent plus craindre l’aventure en dehors de leurs frontières. Pourquoi ?
Les entreprises marocaines continuent de marquer leur empreinte en Afrique et d’y gagner du terrain. En effet, le développement en Afrique est aujourd’hui inscrit dans les gènes des entreprises marocaines : 84% des entreprises considèrent que le développement en Afrique fait partie du Top 3 des priorités stratégiques en cette décennie.
Alors qu’en 2015, l’Afrique de l’Ouest était le terrain de jeu privilégié des entreprises marocaines, elles explorent désormais l’Afrique de l’Est, l’Afrique Centrale et Australe. Cette présence renforcée s’explique principalement, par la réintégration du Royaume au sein de l’organisation panafricaine en 2017 et par l’engagement de sa Majesté le Roi Mohammed VI à faire de l’Afrique une priorité nationale.
En 5 ans, les principaux modes opératoires restent les mêmes dans les grandes masses avec deux principaux changements : un mode de développement en Afrique plus rigoureux avec une prise de risque plus importante, mais aussi une dynamique de gestion du temps plus importante. Le développement du numérique n’est pas étranger à cette évolution.
De manière générale, la logique de filiale l’emporte désormais au détriment de la simple représentation commerciale pour 55% des acteurs marocains. Quant aux modalités de gestion, les entreprises marocaines s’orientent de plus en plus vers une gestion décentralisée avec une autonomisation plus forte des filiales vis-à-vis du siège (pour 40% des entreprises).
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Challenge : Les entreprises marocaines ont-elles besoin d’étendre leur présence dans d’autres cieux, afin de conforter leur position de leader ?
C’est un moyen d’avoir de nouveaux marchés au moins géographiques, mais dans certains cas, en proposant des modèles économiques différents. Le succès d’acteur comme quelques grandes banques marocaines, de l’OCP ou de Maroc Télécom, sont aussi un élément du «soft power» marocain et donc les entreprises leaders qui se développent en dehors du Royaume, contribuent à valoriser la «marque» Maroc.
Aller vers d’autres cieux, c’est aussi un moyen d’aller chercher d’autres financements possibles mais aussi d’autres ressources … dans certains cas, des ressources naturelles pour les entreprises dans l’exploitation minière par exemple, mais aussi des ressources … humaines et notamment certains talents.
Autre impact de la crise du Covid-19, il est un facteur de réindustrialisation du pays et par là, de renforcement des exportations vers l’Union Européenne, donc ne pas oublier les entreprises exportatrices qui sont aussi un fer de lance de l’économie. Celles-ci devront aussi s’adapter aux obligations internationales, notamment sur le suivi des dépenses carbones qui est un des chantiers majeurs des prochaines années.
Bio express
Jean-Michel Huet est associé au sein du Cabinet BearingPoint, après avoir travaillé chez France Télécom et chez PwC. Il accompagne depuis plus de 20 ans, les opérateurs télécoms et utilities, médias, gouvernements et institutions internationales dans leur stratégie de développement.
Il intervient notamment, dans la transformation digitale des organisations. Il dirige les activités «Africa & International Development» (A&ID) de BearingPoint et intervient depuis une dizaine d’années, dans plus de la moitié des pays du continent africain pour leur développement et leur transformation. Il a ouvert le bureau de Casablanca du cabinet en 2011 et l’activité à Abidjan en 2019. Jean-Michel Huet est l’auteur d’une vingtaine de livres, dont Stratégie Internationale (2015) chez Dunod, le Digital en Afrique aux éditions Michel Lafond (2017) et le développement de l’entreprise à l’international chez Pearson (2018). Il pilote aussi depuis 2010, l’Observatoire du développement international, observatoire sur le développement international des entreprises, en partenariat avec HEC et la Tribune.
Par ailleurs, il copréside le groupe de travail sur l’Afrique de l’Institut Montaigne, il préside la commission digitale du CIAN, et est au comité de direction de l’association, et membre du groupe de travail sur la famille prioritaire à l’exportation sur les Industries Créatives et Culturelles. Jean-Michel est diplômé de Sciences-Po Paris et de Neoma Business School.