Journalistes ou délateurs ?
Reda Ryahi a été un grand joueur de football qui a eu une carrière très longue. A El Jadida sa ville, il est aussi connu pour sa gentillesse et sa discrétion. Il a perdu sa femme en Avril dernier. Sur la pierre tombale, il a fait inscrire que « Ali est un saint de Dieu ».
La presse a lancé ses chars, « Reda est chiite », le même titre sur tous les journaux. L’intéressé préfère le mutisme et on le comprend. Admettons que cela soit vrai, le citoyen Ryahi n’a commis aucun crime, ni délit. Même les religieux irréductibles ne peuvent l’attaquer pour apostasie, puisqu’il est toujours musulman.
Cet exercice journalistique, celui de la délation, n’a aucune place dans le métier. Ryahi ne faisant pas de prosélytisme, il s’agit d’un choix individuel, donc de la stricte sphère privée. Les mêmes journalistes nous annoncent qu’il y a 5000 convertis au chiisme parmi nous et qu’ils ont réussi à infiltrer des associations et des organes de presse, sans la moindre preuve, le début d’une enquête. Non seulement on balance un homme, mais il devient partie prenante d’un complot téléguidé par Téhéran. C’est tout simplement indigne, surtout qu’il est en pleine période de deuil, avec des enfants en bas âge.
Tout aussi indigne, un quotidien a publié un article non signé, réservé aux « vedettes » du 20 février. Non pas pour débattre de leurs idées ou même leur parcours politique, mais pour fouiller dans leurs poubelles. La galerie de portraits nous apprend qu’ils ont des difficultés financières, qu’en majorité, ils n’ont pas réussi à construire un projet professionnel et parfois même on apprend quel membre de leur famille les soutient. Sous couvert d’anonymat, on met sur la place publique la vie privée de jeunes, qui ont eu la mauvaise idée de participer au Mouvement du 20 février. Le message ? Oui il y en a un, il consiste à les présenter tous comme des ratés, alors que des centaines de milliers de jeunes de leur âge peinent à entrer dans la vie active.
Ce sont des journaux respectés qui ont porté cette dérive. C’est donc celle d’une profession et non pas d’individus isolés. Les ventes sont en chute libre depuis des années et la réponse par le sensationnel a démontré ses limites, son incapacité à stopper l’érosion du lectorat. Le respect strict de la déontologie, en recrédibilisant la presse écrite, est un meilleur choix, sauf que ce n’est pas l’option de la majorité. Cette dérive est un handicap pour la construction démocratique dans son ensemble. Les forces vives ont le devoir de la dénoncer autrement que par la grève de lecture. Reda Ryahi et les jeunes du 20 février ont subi la dictature de ceux qui voudraient constituer un quatrième pouvoir en violant les droits des autres. C’est inacceptable et il faut le crier haut et fort.