Karim Cheikh : «l’aéronautique au Maroc a fait preuve d’une bonne résilience pendant la pandémie»
Le président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS), Karim Cheikh, a accordé une interview à la MAP sur l’évolution du secteur de l’aéronautique au Maroc durant cette année de crise et les perspectives de relance. Nous publions in extenso l’interview.
Quel est l’état des lieux de l’aéronautique durant cette année qui arrive bientôt à terme ?
Karim Cheikh : Le secteur aéronautique a été durement frappé par la crise sanitaire au niveau mondial. Selon l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA), le trafic mondial ne retrouvera pas son niveau d’avant-crise avant 2024, en raison notamment des incertitudes sur les ouvertures des frontières qui pèsent sur les voyages internationaux. Au Maroc, le secteur qui a connu 20% de croissance avant Covid-19, a enregistré une baisse d’activités par effet domino, mais cette baisse est bien en dessous de celles enregistrées ailleurs dans le monde.
Qu’est-ce que la crise actuelle va-t-elle changer pour l’aéronautique au Maroc ?
Karim Cheikh : L’aéronautique au Maroc a fait preuve d’une bonne résilience pendant la pandémie. L’élément le plus visible de cette résilience est notre capacité à nous adapter, à nous diversifier et à innover dans des conditions très complexes, et apporter des solutions immédiates. Nous avons continué à travailler pendant toute la période de confinement et ceci n’a pas été le cas pour les plateformes aéronautiques concurrentes. La conception et production des respirateurs artificiels hautement technologiques par l’écosystème aéronautique en forte collaboration avec le ministère de l’industrie en est le parfait exemple.
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La crise a aussi changé notre façon d’appréhender les marchés. Par notre expertise, dans un domaine complexe à très haute valeur ajoutée, nous sommes bien outillés pour aller vers de nouveaux marchés et vers de nouvelles filières industrielles, notamment la défense, et de développer des solutions innovantes pour le marché national. Par ailleurs, un tournant technologique majeur pour le secteur à l’échelle mondial provoqué par la crise est la décarbonation de l’industrie. Le Maroc ne passera pas à côté de cette transition énergétique.
Comment les acteurs de ce secteur, lequel est considéré comme fleuron de l’économie nationale, se préparent-ils pour la relance post-covid ? Et que propose le GIMAS pour amorcer cette relance ?
Karim Cheikh : Le Plan de relance dédié à l’aéronautique a été élaboré par le GIMAS en collaboration avec l’ensemble de ses membres industriels, notre ministère de tutelle (ministère de l’Industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique) et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Ce plan consiste prioritairement à sauvegarder les emplois et préserver les acquis de 20 ans de succès industriel dans un domaine hautement technologique. Nous abordons la relance avec l’idée que toute crise pour nous est synonyme d’opportunités à saisir pour nous préparer à la phase de croissance qui succédera à la crise.
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Comme l’a bien exprimé le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Économie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy, lors de notre dernière assemblée générale, « cette pandémie est favorable pour le Maroc ». Les nouvelles orientations stratégiques du GIMAS sont la décarbonation de notre production, la digitalisation de nos processus, l’évolution vers l’Industrie 4.0 par les technologies avancées, la Recherche & Développement appliquée et la conquête de nouveaux marchés tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord. Nous comptons également sur la commande publique (civile et militaire).
Quid de la place qu’occupe le « Made in Morocco » dans l’aéronautique ?
Karim Cheikh : De 2000 à 2019, plus de 142 entreprises opérant dans l’industrie aérospatiale se sont implantées au Maroc, employant 17.500 salariés qualifiés (dont 40,6% de femmes) et représentant 1,9 milliard de dollars à l’export avec plus de 38% de taux d’intégration. Vingt années marquées par une aventure humaine et technologique, qui positionne le Maroc parmi les destinations les plus compétitives et les plus attractives de la carte mondiale de la construction aéronautique et confirme l’ambition du Royaume dans ce secteur à forte valeur ajoutée.
Annoncé en novembre 2016, le partenariat stratégique avec le ministère de l’Industrie renforcé par la signature d’un plan d’accélération industrielle, a permis à notre industrie de s’engager dans sa nouvelle phase de développement avec des objectifs ambitieux à l’horizon 2020 : Tripler le nombre d’employés pour atteindre 30.000, doubler le nombre d’entreprises 200 et réaliser 42% d’intégration locale. La gestion de la crise sanitaire par l’Etat et l’étroite collaboration avec le GIMAS ont prouvé la solidité et la résilience de la base Maroc.
Récemment, l’entreprise américaine Spirit AeroSystems a acté la reprise, au Maroc, des sites de Bombardier. Quelle est votre lecture de ce rachat ?
Karim Cheikh : Nous avons accueilli cette décision avec beaucoup d’enthousiasme dans le secteur aéronautique. Nous remercions Bombardier pour sa contribution à l’évolution du secteur au Maroc et, toujours dans notre rôle, nous soutiendrons Spirit AeroSystems, Inc. et les équipes locales dans la continuité de leurs activités au Maroc. Spirit AeroSystems est un leader mondial de l’aérostructure et un des plus grands équipementiers qui fabrique des éléments de structure d’avions comme les fuselages, ailes et supports de réacteurs. Depuis 2005, Spirit AeroSystems est un sous-traitant de Boeing pour l’ensemble de ses appareils. Le groupe emploie plus de 15.000 personnes à travers ses différents sites en Amérique du Nord, en Europe et en Asie et a enregistré en 2018 un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards de dollars. Cette installation confirme la confiance que témoigne les investisseurs en notre plateforme et la reconnaissance de sa compétitivité et la qualité de ses ressources humaines. Spirit Aerosystems vient d’ailleurs d’achever une extension de son usine à Nouasseur en passant de 10.000 m² à 25.000 m², ceci en perspective de l’augmentation de ses activités au Maroc.
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2021 sera une année du début des mutations car il est évident que les cartes de la chaîne de valeur mondialisée de l’aéronautique seront redistribuées différemment. Nous préparons en étroite collaboration avec les partenaires publics en s’inscrivant dans les sujets évoqués précédemment. A ce titre, je les en remercie au nom de tous les industriels du GIMAS. Notre objectif commun est de reprendre rapidement et de sortir gagnant de cette crise.