La femme au-delà du vêtu/dévêtu
Rachid Sebti. Après plus d’une quinzaine d’années d’absence des cimaises de Casablanca, Rachid Sebti est de retour pour le bon plaisir des admirateurs de son œuvre. Après Laila Faraoui, qui l’avait accueilli au sein de la mythique Nadar, c’est Amal Laraki qui lui ouvre les portes d’Amadeus, galerie ayant pignon sur rue… Mozart ! par Mohamed Ameskane
Tout se ramène à l’enfance. Comment ne pas y croire quand on scrute, jusqu’au vertige, les toiles symphoniques de Rachid Sebti ? Natif de Larache, son enfance a baigné dans le Maroc Andalou. Le papa, Tayeb Sebti, originaire de Fès, est un ancien de la Qarawiyine. Très bon Calligraphe, il y copiait les manuscrits pour arrondir ses fins de mois ! A Larache, il dirigea une école où il avait comme élève Mohamed Sarghini, premier directeur marocain de l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan après Bertuchi. Erudit, possédant une riche bibliothèque, ouvert, il comprit dès le début, que son fils possède, dès son jeune âge, des dons artistiques. Ce dernier, arrivé au lycée Jabir Ibn Hayyan de Tétouan passa quelques mois essayant de se familiariser avec des études de commerce. Il ne tarda pas à les abandonner et à rejoindre l’Ecole des Beaux Arts sous le conseil d’une enseignante espagnole. Il y retrouve l’élève de son papa et le mari de l’enseignante. Ce dernier, l’initia à la sculpture, sa première passion qu’il a été obligé de délaisser faute de moyens matériels. Et c’est là que commence sa carrière artistique en compagnie des complices Mohamed Benyessef et le regretté Mohamed Idrissi.
Mais c’est l’univers des femmes qui va décider de sa destinée. Les broderies de sa mère, Lalla Zohra El Harrak. Le drapé de sa grand-mère, le fameux Hayk d’ssoukkar, d’une blancheur immaculée. Sans oublier les cousines et les voisines qui le choyaient le traitant d’ radio ! A six ans, on lui interdit d’accompagner la gente féminine au bain maure, au hammam. Qu’elle frustration ! Comment peut-on oublier ces scènes ?
Après la première expo à la légation américaine de Tanger, il expose à Rabat. Et c’est là qu’il fut remarqué par le philosophe Mohamed Aziz Lahbabi, qui lui conseille de continuer son cursus en Belgique à l’incontournable Académie Royale des Beaux Arts. Lauréat de cette prestigieuse institution, qui a formé, entre autres, Van Gogh, Paul Delvaux, James Ensor et René Magritte, il choisit dès le départ, à contre-courant de la tendance nationale, la figuration. Une figuration joyeuse, inclassable, avec une thématique et une technique qui lui sont propres.
Femmes, je vous aime !
Le hammam, les après midis de chants et de danse dans des patios où coulent des fontaines et où les murs sont décorés de Zelliges, l’art culinaire, la musique andalouse…C’es l’univers où a grandit l’artiste. Il en fait son thème. Pourquoi chercher midi à quatorze heure ? ne disait-il pas «qu’on est entouré d’un univers où tout le monde pose. C’est incomparable avec la vie trop active et mouvementée de l’Occident » ? La thématique de la femme reste obsédante. On est loin des odalisques, des scènes typiques, exotiques ou folkloriques. Chez Sebti, la femme est sublimée. Et de quelle manière ? Je l’imagine préparer ses toiles et ses châssis, importés de chez les spécialistes. Je l’imagine préparer ses couleurs et se mettre au travail comme un derviche tourneur. Certes, il travaille avec des modèles mais c’est pour capter l’essentiel. Quelques croquis. Le reste, c’est un corps à corps avec la toile jusqu’à l’épuisement. Au final, il nous offre des œuvres inépuisables de sens, traitées à la fois d’une manière académique et personnelle. Le drapé, la transparence, le volume, n’oublions pas son premier amour qui est la sculpture, et cette éblouissante lumière qui jaillit de partout ?
De l’ensemble, se dégage une atmosphère de quiétude et de bonheur qui nous fait oublier cette célébration de la grisaille et de la laideur. Au niveau formel, il y’a beaucoup à dire sur cette œuvre qui reste ouverte.
Amadeus Art Gallery 10, rue Mozart, 20000, CasablancaExposition du 7 mai au 7 juin 2015