Entreprises & Marchés

La fiscalité des associations, entre le brouillard juridique et la fausse tolérance

Le financement des associations a souvent été à la base de discours politiques divergents. Dernièrement, on a assisté à un conflit politique ouvert entre un certain nombre d’associations et le gouvernement. Le secteur associatif et notamment, dans le domaine des droits de l’homme reçoit, pour certaines de ses activités, des financements extérieurs. Cette question n’a pas toujours été traitée avec l’objectivité nécessaire. Certaines associations oublient souvent qu’elles sont redevables à l’égard de l’administration fiscale. Ce travail se propose d’apporter un éclairage sur cette question. par MOHAMED AMINE

Bien que concernées par les impôts directs ou indirects comme les autres personnes morales, les associations méconnaissent souvent leurs droits et leurs obligations dans le domaine fiscal. En fait, la situation actuelle est caractérisée par une fausse tolérance administrative en matière d’obligations fiscales déclaratives. Cette fausse tolérance crée une situation juridique précaire, menaçant l’existence des associations en situation fiscale irrégulière.
L’Administration fiscale, à défaut de pouvoir régulariser systématiquement et de manière exhaustive les presque 100 000 associations qui existent, procède aux relances, selon une démarche sélective, dominée par le pouvoir discrétionnaire, avec donc un risque d’arbitraire, voire d’instrumentation à des fins politiques.
Un état des lieux même sommaire des dispositions fiscales relatives aux associations permettrait d’éclairer les acteurs associatifs indépendants en vue d’être plus prudents.
En matière d’Impôt sur les Sociétés (IS), la plupart des associations confondent exonération fiscale et dispense des déclarations fiscales. En effet, si elles sont exonérées de l’IS au titre des activités ou opérations conformes à l’objet défini dans leurs statuts (article 6 –A-1° du Code Général des Impôts), elles ne sont nullement dispensées des obligations déclaratives prévues explicitement au niveau de l’article 20 du Code Général des Impôts (Déclaration du résultat fiscal et du chiffre d’affaires). Et c’est d’ailleurs à travers cette déclaration que le fisc est censé exercer un contrôle pour vérifier si l’association exerce ou non des activités conformes à son objet.
En vertu de l’article 2-I-3° du Code Général des Impôts (CGI), les associations sont considérées comme des personnes morales assimilables aux sociétés. Elles sont certes exonérées de l’Impôt sur les Sociétés (Art. 6-I-A-1° du CGI). Mais le même article introduit une importante nuance, qui, presque, annule cette exonération : «Toutefois, cette exonération ne s’applique pas en ce qui concerne les établissements de ventes ou de services appartenant aux associations et organismes précités ».
La « non lucrativité » ou but non lucratif a donc une définition restreinte. C’est le caractère de l’activité qui prévaut et non pas le but. Le droit fiscal est donc plus hermétique que le droit des associations qui retient comme critère le « non partage des bénéfices » (Art.1 du Dahir du 15 novembre 1958 réglementant le droit d’association).
En matière de TVA, les associations sont fiscalement traitées comme des consommateurs finaux. Et si elles procèdent à des opérations taxables relevant du champ d’application de cette taxe (article 89 du CGI), elles deviennent légalement redevables comme n’importe quelle autre entreprise. En effet, les termes de l’article 87-3° du CGI sont assez explicites : « La taxe s’applique aux opérations visées à l’article 89 du CGI, effectuées par les personnes autres que l’Etat non entrepreneur, agissant à titre habituel ou occasionnel, quels que soient leur statut juridique, la forme et la nature de leur intervention ». Seules les prestations fournies par les associations à but non lucratif reconnues d’utilité publique sont exonérées en vertu de l’article 91-IV-2° du CGI.
En matière de Droits d’Enregistrement et de Timbre, les associations sont imposables à travers leurs divers actes et opérations (acquisition d’immeubles, contrats, actes juridiques…), sauf dérogation explicitement prévue par le CGI.
En matière de Taxe Professionnelle et de Taxe de Services Communaux, les associations y sont assujetties au titre des activités exercées ayant un caractère lucratif. Là, les choses sont encore plus claires. Il s’agit du caractère et non du but. Et le caractère lucratif est synonyme de caractère marchand.
En matière d’IR retenu à la source sur les salaires ou sur les rémunérations versées à des tiers, l’association y est assujettie comme n’importe quel autre employeur.
Ainsi, la notion de « lucrativité » est le concept clé déterminant le régime fiscal des associations. Ce concept, dans la législation fiscale marocaine, est synonyme de caractère marchand. Cette conception restrictive a notamment pour conséquence immédiate, la limitation des possibilités d’indépendance financière des associations. Celles-ci, en dépendant étroitement des subventions publiques, subiront plus facilement un contrôle direct ou indirect de la part des pouvoirs publics.
Dans le contexte actuel, caractérisé par un affaiblissement de la crédibilité des syndicats et des partis politiques, les associations constituent souvent une alternative aux militants actifs. C’est même l’espace où la participation citoyenne peut être réhabilitée et développée concrètement.
Or la notion actuelle de « lucrativité » peut devenir une véritable camisole de force pour des associations indépendantes et dynamiques. En fait, un décalage important existe entre les nouvelles dispositions constitutionnelles visant à encourager et à impliquer la société civile et le traitement fiscal des associations. Cette notion devrait être revue à la lumière de ces nouvelles dispositions et des expériences démocratiques internationales où le « but non lucratif » a une signification plus large, intégrant plutôt le non partage ou la non distribution directe ou indirecte de l’excédent (bénéfice), le désintéressement des  membres de l’association, la nature du produit ou service, le caractère non concurrentiel de l’activité de l’association (…), autant de critères permettant aux associations de développer leurs propres ressources avec bien sûr un droit de regard et de contrôle exercé par les pouvoirs publics pour éviter les fraudes et autres déviations possibles.
Pour cela, les obligations comptables et les obligations fiscales déclaratives doivent être scrupuleusement respectées. L’Administration fiscale a le droit d’exercer un contrôle sur ces déclarations et sur la comptabilité tenue par lesdites associations. Un plan comptable spécifique aux associations est nécessaire, avec une adaptation selon qu’il s’agit d’une petite, moyenne ou grande association. Les associations recevant de l’argent public doivent rendre compte en certifiant leurs comptes et en les mettant à la disposition des citoyens.
Les associations pourraient ainsi donner le meilleur exemple et devenir des écoles authentiques de transparence et de démocratie.
En plus des normes comptables et fiscales, les pouvoirs publics sont aussi appelés à mettre en place une procédure administrative garantissant l’accès transparent et équitable au financement public national ou international.
La fausse tolérance administrative est pareille à cette eau tiède où la grenouille s’y plait. Mais au moment où l’eau deviendra chaude, il lui sera trop tard pour pouvoir sauter.

 
Article précédent

Bank Al Maghrib dresse son diagnostic

Article suivant

La BERD en quête de nouveaux locaux au Maârif