La formule de la CNSS pour installer la confiance
Invité des « rendez-vous sociaux » mensuels de la Commission Emploi et Relations Sociales de la CGEM, Said Ahmidouch, directeur général de la CNSS, a débattu, mardi 11 novembre, de comment passer de la défiance à la confiance. Loin d’être anodine, la thématique est d’une actualité brûlante. par A. ALAMI
En fait, l’intitulé du sujet traité par M. Ahmidouch est révélateur de la transition qu’avait traversée et que traverse encore la CNSS dans la gestion des assurances sociales des salariés et de leurs ayants droits. Si, en effet, défiance il y a, c’est que pendant plusieurs années, la gestion de la Caisse avait soulevé une vague d’indignations parce qu’elle avait servi de « vaches à lait » à ses dirigeants. La commission d’enquête parlementaire sur la CNSS, initiée en 2002, avait conclu, dans son rapport final, à une série de dilapidations de deniers publics. Les détournements opérés par les ex-dirigeants de la Caisse ont été évalués, durant une trentaine d’années, à 115 milliards de dirhams. La somme, telle qu’elle ressort du rapport de la commission d’enquête, équivalait à près de deux années d’intervention de la Caisse de compensation et à la totalité des recettes de l’Etat au titre de l’année 2001.
Cet historique peu glorieux de la Caisse a alimenté, pendant longtemps, ce climat de défiance de l’opinion publique à l’égard de la CNSS . L’indispensable sursaut de celle-ci est venu avec la nouvelle équipe dont l’objectif premier est la remise à plat de la gouvernance de la Caisse, en s’attaquant aux nouveaux chantiers de la protection sociale des salariés dans le but de redorer le blason de l’institution. D’ailleurs, lors de cette conférence, la Présidente de la CGEM, Mme Meriem Bensalah Chaqroun n’a pas manqué de saluer l’accélération de cette dynamique que connaît aujourd’hui, la CNSS.
C’est dans cette optique où il faut placer l’initiative prise par la CGEM en invitant le patron de la CNSS pour sensibiliser les membres de cette Confédération sur les nouveautés de la sécurité sociale notamment, l’Indemnité pour Perte d’Emploi-IPE-, l’extension de l’AMO, l’intégration des Travailleurs Non Salariés- TNS-, la lutte contre l’informel, la transparence des contrôles, l’élargissement de la base d’assiette des cotisants, le traitement des réclamations des entreprises, etc.
Une première, l’assurance chômage au Maroc
Mesure phare du programme de la coalition gouvernementale actuelle qui avait mis l’accent sur les thèmes sociaux dans sa campagne électorale, une « indemnité pour perte d’emploi » va être opérationnelle à partir du 1er Janvier 2015. En fait, les tractations pour la mise en œuvre d’une telle mesure trainent depuis plusieurs années, faute d’accord entre les partenaires sociaux et le gouvernement sur les modalités de financement de ce dispositif. Si les cinq centrales syndicales ( CDT, FDT, UGTM, UMT, et UNMT) avaient donné leur accord au principe d’une IPE, dans le cadre du dialogue social, depuis Novembre 2011, la CGEM n’a émis son aval définitif qu’en Août 2013 en arrachant, au gouvernement deux concessions majeures : primo, porter la participation du budget de l’Etat à 500 millions de dirhams sur les trois premières années afin d’assurer, selon la CGEM, à l’IPE un financement plus pérenne et secondo, « associer l’indemnité à un programme d’accompagnement du chômeur par l’ANAPEC (Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences) pour trouver un nouvel emploi ».
Pour sa part, le Conseil d’Administration de la CNSS a entériné le projet de l’IPE, en juillet 2013. La loi ayant institué cette nouvelle prestation sociale a été promulguée et publiée le 11/09/2014. D’après M. S. Ahmidouch, DG de la CNSS, toute la logistique pour la gestion de l’IPE, au niveau de la Caisse, est prête et l’opérationnalité de la mesure serait, en toute vraisemblance effective à partir du 1er Janvier 2015.
Concrètement, le mécanisme arrêté pour l’IPE bénéficierait à tout salarié qui a perdu son travail « de manière involontaire » ( les démissionnaires ne seront pas concernés) et qui aura justifié de 780 jours de cotisations sociales à la CNSS durant les trois années précédant la date d’arrêt de travail dont 260 jours durant les 12 derniers mois. Le salarié au chômage percevra une indemnité égale à 70% du salaire de référence dans la limite du SMIG sur une période maximum de six mois. Durant cette période de recherche d’emploi, le salarié sera accompagné dans ses démarches par l’ANAPEC et l’OFPPT. Enfin, en plus de l’apport de l’Etat, le financement de l’IPE sera assuré par un taux de cotisation de 0,57% du salaire plafonné dont 0,38% à la charge de l’employeur et 0,19% à la charge du salarié.
Le schéma retenu pour l’PE permet de dire, sans risque de nous tromper, qu’il manque d’ambition. En dehors d’une indemnité plafonnée au SMIG (donc pas grand-chose pour les salariés), et selon les simulations réalisées par la CNSS, seulement 34 000 salariés par an y seraient éligibles.
Mais il faut se rendre à l’évidence, comme l’a rappelé M. Ahmidouch, que nous sommes dans le cadre d’un régime assuranciel où l’équilibre financier du régime doit être pris en compte. Devant la préoccupation aussi bien du patronat que des syndicats de ne pas trop augmenter les charges des cotisations et par conséquent le coût du travail, le scénario retenu ne peut offrir un « taux de remplacement » meilleur.
L’extension de l’AMO aux soins dentaires
C’est la 2ème nouveauté dans les prestations sociales de la CNSS. Celle-ci, à l’occasion de son Conseil d’Administration du 21/04/2014, a décidé d’étendre le panier des soins de l’Assurance Maladie Obligatoire- AMO- aux prestations dentaires à partir du 1er Janvier 2015. Pour répondre à la revendication des partenaires sociaux mentionnée précédemment, la Caisse prendra en charge, pendant l’année 2015, le coût de l’extension de cette garantie ; ce n’est qu’à partir du 1er Janvier 2016 que les employeurs et salariés prendront le relais avec des taux de cotisation supplémentaires, respectivement de 0,35% et 0,26%. Le nouveau panier de soins couvrira : les consultations, les soins dentaires, les prothèses fixes et mobiles dans la limite de 3000 DH tous les deux ans et l’ODF remboursée pour les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans dans la limite de 6 semestres. Enfin, les prestations seront couvertes à hauteur de 70% de la tarification nationale de référence.
Ainsi avec l’extension de l’AMO aux soins dentaires, les acquis sociaux des salariés se trouvent renforcés. Cela n’a pas empêché le Président de la Commission des Affaires Sociales et de l’Emploi de la CGEM, M. Jamal Belahrach, à l’occasion de cette rencontre de tirer la sonnette d’alarme et de revenir sur la cherté du coût du travail dans notre pays et qui constitue, selon lui, un vrai handicap à la compétitivité de l’entreprise marocaine.
Qui justifie le passage de la défiance à la confiance ?
Tout modèle social ne peut être construit qu’à travers la confiance, la convergence des intérêts et la bonne gouvernance. Comment donc installer cette confiance, d’une manière durable, dans une institution, qui nourrit les préjugés chez une grande partie des entreprises marocaines. La raison selon M. Ahmidouch est simple, celles-ci connaissent peu la CNSS ou n’ont comme image de la Caisse que le côté répressif et contrôle ; il n’est donc pas étonnant que « les gens parlent de la CNSS dans des termes guerriers ». Alors, même si ce n’est pas la raison d’être de la Caisse, ce contrôle se justifie et devrait même être renforcé par une législation plus contraignante. Car, comment ne pas sévir lorsqu’on est en présence de centaines de milliers de salariés non déclarés, ne figurant pas sur « les tablettes de la CNSS » et donc ne bénéficiant pas d’un minimum de couverture sociale ?
Si l’objectif est en lui-même louable, celui de la sauvegarde des droits des assurés sociaux au bénéfice de leurs prestations, et si la lutte contre la fraude doit être menée sans concession, le contrôle ne doit pas perdre son « visage humain ». C’est cela qui ramène la confiance chez les entreprises qui sont de véritables « actionnaires » de la Caisse et explique les changements opérés par celle-ci dans son approche du contrôle dans le sens de missions ciblées et avec une productivité optimale.