La guerre de l’huile de foie de requin fait rage
Pêche. L’huile de foie de requin n’est plus considérée comme le produit de prises accessoires, mais le produit principal de la pêche de requins. Aujourd’hui, c’est un marché de 8 milliards de DH qui est en jeu et que se disputent actuellement une quarantaine de palangriers et six opérateurs industriels pour son contrôle. par Adama Sylla
C’est un véritable bras de fer qui s’est engagé entre les industriels opérant dans l’huile de foie de requin et les armateurs. Pourtant, il y a seulement deux ans, cette nouvelle niche tournée essentiellement vers l’export était méconnue au Maroc même si treize ans auparavant, deux opérateurs marocains s’étaient lancés dans l’exportation des ailerons de requin. Il faut dire qu’outre la chair du requin et ses ailerons, son foie dont l’huile est extraite, et qui peut constituer près du quart du poids de ce poisson pas comme les autres, n’intéressait pratiquement personne au Maroc, hormis le secteur informel. L’huile de foie de requin constitue la matière première d’une industrie, celle du squalène, qui fournit très largement les secteurs cosmétique et nutraceutique. Avec les ailerons, elle est le produit issu des requins qui atteint les prix les plus élevés sur les marchés internationaux. Le prix de la tonne d’huile de foie de requin est généralement compris entre 12.000 et 15.000 dollars et dépend de son pourcentage en squalène. Au Maroc, si le kilo d’huile de foie de requin s’échangeait environ à 5 DH, aujourd’hui, il vaut seize fois plus, soit 80 DH. Avec une production nationale annuelle pouvant atteindre les 1 000 tonnes, c’est un marché de 8 milliards de DH qui est en jeu et que se disputent actuellement une quarantaine de palangriers et six opérateurs industriels. Car, aux deux industriels, quatre autres sont venus, entre temps, grossir les rangs avant que ne leur emboitent le pas, il y a de cela six mois, deux autres. Et cette tendance risque de continuer. C’est dire que depuis que l’huile de foie de requin n’est plus considérée comme le produit de prises accessoires, mais le produit principal de la pêche de requins, les 6 industriels et les 40 armateurs qui opèrent un agrément du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime avec également un cahier des charges, se mènent une bataille sans merci. Les premiers, dénoncent les armateurs de réaliser les transactions en mer d’une manière informelle, ce qui est à l’encontre de l’article 54 de la loi sur la concurrence. «Cette disposition interdit à tout producteur, importateur, grossiste ou prestataire de service de ravitailler les grossistes, semi-grossistes ou détaillants de poissons destinés à la consommation et vendus en l’état et qui ne seraient pas passés par le carreau des halles», explique un industriel qui précise que comme le stipule leur cahier des charges, ils veulent acheter l’huile de foie de requin de façon formelle au niveau des halles du Maroc, pour pouvoir la travailler dans leurs unités industrielles avant de l’exporter.
Quant aux deuxièmes, en l’occurrence les armateurs, ils mettent en avant la « nécessité » d’éviscérer à bord, afin d’éviter que le requin ne s’abime.
Dans ce dialogue de sourds, la réplique des industriels est immédiate : « que font-ils de l’huile de foie de requin tirée de cette opération ? ». Selon les industriels qui précisent que le cahier des charges les oblige à acheter du requin en entier, les palangriers arrivent avec l’huile dans des fûts qu’ils vendent en quai au noir, aux intermédiaires des Espagnols qui se contentent tout simplement de changer d’étiquette et d’appliquer une majoration de 20 %. Ainsi, 400 à 800 tonnes transitent par ce circuit. Rappelons que l’Espagne est le premier exportateur d’huile de foie de poisson vers le Japon. Elle assure la moitié des importations vers le pays du Soleil Levant, qui capte également l’essentiel des exportations marocaines via les industriels locaux. En effet, l’Espagne occupe une place centrale dans le négoce d’huile de foie de requin. L’entreprise espagnole Squalop Oil, à elle seule, affiche une capacité de mise sur le marché de 80 tonnes d’huile par mois et peut fournir à elle seule, le quart du marché mondial d’huile de foie de requin.
Arbitrage ministériel
A noter, que si les importations sont également très importantes en provenance de pays producteurs et exportateurs d’huile de foie de requin comme le Portugal, l’Inde, l’Indonésie et les Philippines, depuis quelques années, les importations d’huile en provenance de pays africains (Maroc, Mozambique, Angola, Libye, Namibie) témoignent du glissement vers le Sud de la production d’huile de foie de requin. « Aujourd’hui, les Espagnols sont en train de casser notre marché », s’alarment les industriels qui multiplient les plaintes auprès du ministère de tutelle.
Aujourd’hui, pour trouver une solution, la tutelle a réuni le 29 avril dernier à Rabat, les deux parties, en présence de Taoufik El Ktiri, directeur de la Pêche Maritime et de Sabah Lazrak, directrice des industries de la pêche. Selon une source proche du département de la Pêche, il a été convenu que les armateurs abandonnent leurs pratiques actuelles consistant à opérer leurs transactions en mer. « Ils ont jusqu’au 31 août prochain pour cela. A partir de cette date, ils ont l’obligation de réaliser leurs transactions à l’intérieur des halles comme cela se passe partout au Maroc », indique la source. Mais encore faudrait-il que le ministère dispose de moyens pour faire appliquer la mesure. En effet, c’est la quatrième fois qu’une telle disposition est prise sans qu’elle ne soit appliquée par les armateurs.
Quoi qu’il en soit, lors de cette réunion houleuse entre les deux protagonistes, et à laquelle se sont invités paradoxalement les opérateurs de la sardine, le département de la Pêche a également demandé aux armateurs de mettre à profit ces quatre mois avant la date butoir pour disposer d’autorisation sanitaire. Aujourd’hui, les industriels proposent la création d’une bourse dédiée à l’huile de foie de requin.