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La justice n’est pas le monopole de l’Etat

Les péripéties judiciaires que vit le groupe Chaabi depuis plusieurs mois nous rappellent que la justice, traditionnellement considérée comme un pouvoir régalien de l’Etat, peut être aussi rendue par des juges privés avec le même effet exécutoire. par C.A.H.

Le monde des affaires ne s’accommode pas toujours des mécanismes de la justice étatique ; les entreprises ont souvent tendance à recourir, sous l’influence de la culture anglo-saxonne et aussi pour des raisons d’efficacité, à des mécanismes de règlement de litiges en dehors des circuits des tribunaux étatiques. De nos jours, les gros contrats commerciaux et d’investissement comportent souvent des clauses prévoyant le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits (MARC), en particulier l’arbitrage.
Cette pratique n’est pas contrariée par les Etats ; au contraire,  ces derniers encouragent les entreprises à opter pour la justice privée pour le règlement de leurs litiges. Au niveau international, des conventions ont été signées entre les Etats pour reconnaître les décisions rendues par des juges privés et faciliter leur exécution. Le Maroc qui a opté dès son indépendance, pour un régime économique libéral ouvert sur le monde, s’est inscrit dans cette politique en adhérant à plusieurs conventions internationales qui encouragent le règlement des litiges par la justice privée. C’est le cas notamment, de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales du 10 juin 1958 et aussi de la convention de Washington du 18 mars 1965, instituant le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

Des modes alternatifs de règlement des conflits

Sur le plan interne, le droit marocain (Code de Procédure civile) instaure des modes alternatifs de règlement des conflits qui peuvent être utilisés aussi bien par les entreprises, que par les particuliers. Deux systèmes méritent d’être soulignés à ce niveau ; la médiation et l’arbitrage. La médiation permet aux parties de désigner un médiateur qui a pour mission de faciliter la conclusion d’une transaction,  en vue de mettre fin au litige. Le médiateur ne prend pas de décision ; il est un simple facilitateur qui aide les parties  à trouver une solution à leur différend. C’est un mécanisme qui est utilisé notamment, par le secteur bancaire pour le règlement, sans recours aux tribunaux ordinaires, des litiges opposant les banques à leur clientèle. Pour encourager le recours à la médiation, la nouvelle loi bancaire est allée jusqu’à imposer aux établissements de crédit d’adhérer à un dispositif de médiation pour le règlement des conflits avec leurs clients.
A la différence de la médiation, l’arbitrage est un mécanisme qui se rapproche de la justice étatique, dans le sens qu’il débouche sur une décision qui s’impose aux parties. C’est un « tribunal arbitral » constitué  de juges privés désignés par les parties, qui a pour mission de trancher le litige en vertu d’une convention d’arbitrage (compromis d’arbitrage ou clause d’arbitrage). L’arbitrage n’est pas réservé au secteur privé ; l’Etat, les collectivités locales, les entreprises et les établissements publics peuvent aussi y recourir. La sentence arbitrale  rendue par les arbitres a la force de la chose jugée  et elle n’est pas susceptible de recours sauf dans des cas très limités, ce qui explique la célérité de l’arbitrage par rapport à la justice ordinaire. Toutefois, son exécution forcée ne peut intervenir qu’en vertu d’une ordonnance  d’exequatur, rendue par le président de la juridiction compétente.
Dans le but d’encourager les investissements étrangers et en parfaite harmonie avec ses engagements internationaux, le Maroc reconnaît les sentences arbitrales internationales. Le Code de Procédure Civile l’énonce clairement, en stipulant que les « sentences arbitrales internationales sont reconnues au Maroc » sauf lorsqu’elles sont « contraires à l’ordre public national ou international ». La loi marocaine prévoit aussi  que la décision arbitrale internationale peut être rendue à l’étranger et que les parties peuvent choisir la loi nationale applicable.

Reconnaissance de ses sentences arbitrales internationales

Il est donc clair, que les dirigeants des entreprises doivent être conscients du fait que l’insertion d’une clause d’arbitrage dans un contrat avec un partenaire étranger, n’est pas une chose anodine; elle est d’une grande importance et ses conséquences peuvent être lourdes. Sa rédaction mérite d’être bien examinée, notamment en ce qui concerne le mode de  désignation des arbitres, le lieu d’arbitrage, la loi applicable et la langue dans laquelle la procédure d’arbitrage devra se dérouler. Aucune échappatoire n’est possible, la loi marocaine reconnaît les sentences arbitrales internationales et les tribunaux marocains prononcent l’exéquatur en leur faveur. Le cas qui a défrayé la chronique récemment, celui de la décision prononcée par le Tribunal arbitral de Genève, condamnant une entreprise du groupe Chaabi au versement de 19,5 millions d’euros à une entreprise française, le montre clairement.
L’Etat marocain lui même et  des entreprises publiques (ONEE, Caisse Centrale de Garantie..), ont fait les frais de l’arbitrage international dans plusieurs affaires  au sujet desquelles les tribunaux marocains n’ont pas hésité à ordonner l’exéquatur. C’est un message aux entrepreneurs marocains pour être plus rigoureux dans la gestion de leurs contrats et aux partenaires étrangers pour faire confiance à la justice marocaine

 
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