La liberté d’entreprendre entre technologie et droit
Les nouvelles technologies de l’information bousculent tous les secteurs d’activité, notamment ceux qui bénéficient d’un régime de monopole ou de protection comme la banque et le transport. Dans l’incapacité de suivre le rythme des innovations technologiques, les pouvoirs publics tentent dans pas mal de pays, souvent sous la pression des lobbies qui cherchent à préserver leurs intérêts, de réduire leurs effets à travers l’adoption de nouvelles lois. La question est de savoir si le droit peut résister au rouleau compresseur de la révolution technologique en cours. par C.A.H.
Récemment, exactement le 22 du mois précédent, le Conseil Constitutionnel français, a eu l’occasion de se pencher, dans le cadre d’une question prioritaire d’inconstitutionnalité (QPI) – procédure qui permet à toute personne de contester la constitutionnalité d’un texte de loi- sur quelques aspects de la menace que présente la technologie pour le secteur du transport.
La décision rendue par le juge constitutionnel français en réponse à une question posée par UBER, entreprise américaine qui a révolutionné le transport à travers le monde grâce à ses solutions technologiques, nous intéresse nous marocains, à plus d’un titre. D’un côté, un projet de loi organique sur la procédure de l’«exception d’inconstitutionnalité (l’équivalent de la question prioritaire d’inconstitutionnalité en droit français) est en cours d’élaboration, de l’autre, la start-up américaine n’a pas été autorisée à exercer son activité à Casablanca, sachant que la nouvelle constitution marocaine stipule dans son article 35 que « l’Etat garantit la liberté d’entreprendre ».
Par son recours, la société américaine défend que l’article du Code de transport français, ajouté en 2014, qui sanctionne tout système mettant en relation des clients avec des personnes qui se livrent au transport de passagers à titre onéreux, est contraire à la liberté d’entreprendre consacrée par la constitution de 1958. Les sages du conseil ne sont pas de cet avis et déclarent cet article conforme à la constitution.
Seulement, il convient de souligner que la société UBER même si elle est déboutée, une grande porte lui est ouverte ainsi qu’aux autres sociétés technologiques, dans la mesure où le Conseil Constitutionnel reconnaît dans sa décision qu’il n’est pas interdit d’organiser des systèmes de mise en relation des personnes souhaitant pratiquer le covoiturage ( système de transport où le chauffeur choisit la destination et partage les frais avec les voyageurs) . Les sociétés de transport traditionnelles voient dans cette reconnaissance, une possibilité offerte aux entreprises utilisant les nouvelles technologies pour envahir le secteur du transport, grâce aux prix extrêmement bas qu’elles pratiquent.
Le droit risque de se trouver «déconnecté » de la réalité
Quelle que soit la lecture qu’on peut réserver à la décision du Conseil Constitutionnel français, il faut admettre que le débat n’est pas clos, car les entreprises de technologie ont le potentiel qu’il faut pour l’exploiter en leur faveur. Le droit ne peut pas contrecarrer leur puissance d’innovation et leur poids financier. UBER, une start-up créée il y a à peine cinq ans, pèse déjà 50 milliards de DH; c’est énorme quand on sait que le PIB de nombreux pays n’atteint pas ce chiffre.
Les nouvelles technologies n’attendent pas ; elles avancent à une vitesse inégalée. C’est un tsunami qui menace tous les schémas classiques de l’organisation économique. Les dirigeants politiques donnent l’impression d’être débordés, car ils n’arrivent pas à suivre le rythme et à canaliser ce phénomène. Le problème, c’est que le droit risque de se trouver «déconnecté» de la réalité.