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La Loi organique sur les collectivités : Un avant-projet qui fait peur… pourquoi ?

L’Association Marocaine des Présidents des Conseils Communaux, présidée par le maire de Tanger, Fouad El Omari.

C’est un sujet qui peut être autant politique que polémique. Les vérités des uns peuvent être des contrevérités pour les autres. Gérer la commune, la région, le parlement et le ministère est un acte considéré comme légitime pour certains et improductif pour d’autres. Etre présent partout ou seulement dans un seul lieu n’est pas qu’une question de volonté personnelle, c’est surtout une culture « politique » de réseaux.

L’avant-projet du ministre de l’Intérieur relatif à la Loi organique des collectivités territoriales  fait peur à une grande partie de la classe politique. La peur exprimée concerne autant la droite que la gauche, la majorité  que   l’opposition. Elle est plutôt une peur élitaire ayant un lien direct avec les intérêts de certains notables  et  les réseaux qu’ils ont installés depuis bientôt quarante ans. Si la nouvelle loi arrive à passer à travers les résistances des pouvoirs établis, ça sera le début de la fin des présidents de Conseils multidimensionnels. Le maire, ministre,  président de Région, président de Chambre professionnelle et parlementaire fera partie souhaitons-le,  d’un passé institutionnel et politique. Le président  serait un homme qui aurait  choisi, en toute conscience,  un  destin communal et enterré les ambitions liées aux postes ayant une dimension nationale. Les  projecteurs  et les caméras nationaux ne s’intéresseraient que rarement à ses prestations. Les séances retransmises à la télévision. Le lieu qu’il a choisi pour servir le peuple n’aurait  plus besoin d’un relais médiatique, mais d’un engagement auprès des quartiers et du petit peuple. Les présidents  de Conseils et leurs adjoints ne seraient plus élus parmi ceux ou celles  qui seraient résidents en dehors du territoire national. Le draft du ministre de l’Intérieur aurait pu aller au-delà, en étendant cette interdiction à ceux qui ont une autre nationalité et qui sont  porteurs de passeports étrangers.

Le président devrait limiter ses ambitions : Le destin national hors de portée

Ce n’est  plus une question simple. L’élection au poste de président de Commune est certes importante et vitale pour l’image du parti politique au niveau local, mais elle serait privative d’accès à l’étage supérieur de la représentation politique. L’article 60 de l’avant-projet présenté par le ministre de l’Intérieur aux partis politiques  est un article « assassin » pour les ambitions souvent «démesurées »  d’une classe politique qui fait du siège du président d’une commune, un ascenseur sûr  vers des cieux nationaux.   Conduire une commune ou choisir un autre destin, tel est le choix fatal auquel serait confronté tout acteur politique ayant développé les capacités d’occupation des postes à outrance.

Nous sommes un pays où le jeu politique n’a pas atteint un degré de maturité  intégrant des choix  logiques et  des pratiques transparentes. Les alliances gouvernementales ne se prolongent que rarement au niveau du pouvoir local. Cette situation implique un  jeu politique fébrile et porteur de toutes les contradictions dont la compréhension requiert une connaissance de la  généalogie culturelle, plutôt qu’une lecture rationnelle des schémas  institutionnels « modernes ». C’est en pensant à cette réalité que nous avons  procédé à la lecture des travaux de la quatrième session du Conseil d’administration de l’Association marocaine des présidents de conseils communaux. Présidée par le PAM en la personne de Fouad Al Omari et comptant parmi ses membres des ténors du RNI, du MP, de l’USFP et même du PJD.  Pour rappel, cette association a été créée  le 29 mai 2013 dans le cadre des préparatifs pour l’organisation, du 1er au 4 octobre 2013, du 4ème Congrès des cités et gouvernements locaux unis (CGLU). 

L’association a tenu, depuis sa création récente, à plaider pour plus de moyens et de pouvoirs pour les collectivités territoriales. Lors de sa dernière réunion, le ton semble monter dans la communication ou de la « confrontation » avec le ministère de l’Intérieur. Les élections communales s’approchent et la casquette de président est toujours sur la  tête de beaucoup de parlementaires. L’heure des bilans s’approche et il n’y aurait  aucun mal à exploiter la carte du pouvoir excessif des gouverneurs et walis pour justifier les retards dans la réalisation des projets. L’occasion est aussi propice pour démanteler les ressorts de l’avant-projet de Loi organique sur les collectivités.  Ce document  est presque qualifié d’anticonstitutionnel.

Un ministre, membre du bureau de cette association  a été virulent dans sa critique du draft préparé par son collègue de l’Intérieur. Il aurait  considéré que le projet constitue un retour en arrière dangereux et fort  en matière des pouvoirs des présidents. Venant d’un ministre au gouvernement, la critique est pleine de signification politique. Les autres intervenants lors de la réunion du Conseil d’administration de l’association des présidents de communes sont tous allés dans le sens  de la critique du caractère régressif du projet et  de son non-conformité aux dispositions constitutionnelles. Les principes de la nouvelle constitution sont « certes énoncés dans le préambule du projet,  mais non traduites  dans le contenu du texte ». Les propos tenus sont graves et ôtent au projet toute ouverture pour permettre les réalisations des aspirations de la population à un développement local réel.  

La tutelle n’est pas le vrai enjeu

Le principal point qui constitue le désaccord entre l’autorité de tutelle et les détracteurs de son avant-projet doit  porter, en principe, sur le poids du contrôle exercé par le gouverneur  et ses représentants et sur les ressources qui doivent être allouées aux communes pour accomplir leurs missions. Les vrais enjeux sont ailleurs et ont une portée qu’on peut qualifier de politicienne. L’article 65 du projet énumère 25 attributions du Conseil. Celles-ci couvrent des domaines nombreux et variés qui vont  de la préparation du budget et son vote, jusqu’à l’étude et l’approbation des dispositifs de la construction  communale, de la protection sanitaire à la salubrité en passant par le droit de donner un avis sur les documents d’urbanisme. Le président de Commune est par ailleurs doté du pouvoir de gestion du Conseil, de celui de l’ordonnancement des dépenses et de la représentation officielle liées aux activités administratives, civiles et judiciaires et ce, conformément aux dispositions de la Loi organique et de la règlementation en vigueur. Ses attributions et ses pouvoirs ne peuvent s’exercer sans le contrôle  de l’autorité de tutelle. 

L’étendue de ce pouvoir de tutelle peut limiter leurs initiatives, mais peut aussi s’avérer nécessaire pour encadrer les actions qui présenteraient des risques de non-conformité à la loi. Le rôle du gouverneur  est certes nécessaire dans un Maroc en transition managériale, mais peut parfois constituer un blocage au développement communal. Mais les élus ne sont pas tous dans la capacité de gérer d’une manière professionnelle et propre leurs attributions. Les calculs politiciens et  l’incompétence peuvent nuire aux conditions de vie des populations et causer beaucoup de dégâts au paysage communal. Les revendications pleuvent dans beaucoup de cas de mauvaise gestion communale sur les provinces et les manifestations contre les blocages des services communaux ont souvent lieu devant les préfectures et sont souvent présentés comme un dysfonctionnement des autorités de tutelle. 

L’étendue des pouvoirs des élus dépend, en grande partie, des données sociologiques et culturelles qui caractérisent leur exercice. La personnalité du président est parfois un vecteur du succès de sa mission et détermine sa préséance au niveau des structures du pouvoir local. Certains présidents et notamment dans le monde rural et dans les petits centres urbains sont dans l’incapacité de se mettre au même rang qu’un fonctionnaire moyen  de la province. Et pourtant, les pouvoirs qui sont dévolus aux présidents et aux communes sont énormes et nombreux. Neuf des articles  de l’avant-projet (66 à 73)  dressent un champ très large de compétences qui sont au nombre de 12 relatifs à l’application des décisions du Conseil  et  de 27 dans le domaine de l’exercice de la police administrative. Les seules exceptions à l’exercice de cette police sont énumérées par l’article 73 qui délimite les champs qui revient de droit aux gouverneurs, pachas et caïds. 

Le vrai enjeu, c’est le prochain statut du président

L’étau se resserrerait autour des présidents  si  les dispositions de l’avant-projet arrivaient à emporter le oui du législateur. La gestion d’une ville ou d’une commune rurale deviendrait plus contraignante. Faire de la fonction du président d’une commune une des tâches qui meublent le quotidien politique et administratif d’un homme politique, ne serait plus possible. La présence dans le quotidien citoyen ne serait plus une question subsidiaire qui peut être traitée le week end après les autres devoirs liés à la représentation nationale dans les commissions du parlement ou dans les bureaux ministériels. L’occupation de la fonction de président n’est pas qu’un rôle à remplir au niveau local, mais un moyen d’assurer l’assise nécessaire à la conquête des mandats nationaux. La carte politique du Maroc montre l’importance de l’équation  de la représentation locale dans le poids de groupes parlementaires. Perdre la direction de  la gestion locale se reflète négativement sur le poids politique des partis.  La professionnalisation du travail de la gestion communale exige plus de disponibilité et plus  d’engagement dans les actes de gestion des dossiers de développement local.  

Les principes de bonne gouvernance seraient imposables aux présidents

L’avant-projet introduit une nouvelle composante dans la responsabilité des présidents. Il s’agit du devoir de rendre compte tout au long de l’année du bilan des réalisations et des méthodes de gouvernance. Le huitième chapitre du draft du ministre de l’Intérieur introduit une nouveauté de taille, il s’agit  de l’introduction dans l’édifice juridique des collectivités territoriales des règles de la bonne gouvernance. 

La libre gestion portée par la constitution pour renforcer le rôle des collectivités ne peut prendre son sens sans un cadre juridique renforçant la primauté de la loi, des principes démocratiques, de la moralisation, de la transparence, de la probité, de l’efficacité et de l’engagement à la protection du droit d’accès des citoyens à l’information. Ces principes doivent trouver un contenu concret dans la gestion. Celle-ci doit être axée sur le résultat, sur la programmation pluriannuelle et sur la mise en place d’un système de suivi des projets et des programmes. L’audit et le contrôle interne deviendraient des outils indispensables à l’évaluation. Le passage à un niveau de gestion reflétant le respect des principes de la bonne gouvernance s’étalerait sur une période de six années et serait appuyé par l’Etat. Le renforcement des capacités serait indispensable pour que les collectivités puissent atteindre le niveau  de performance souhaité. La notion de formation continue fait son apparition dans le langage juridique pour renforcer les capacités des ressources humaines. L’allusion au déficit flagrant en compétence et en professionnalisme qui a caractérisé la gestion depuis plusieurs années est grande. L’expérience de certains présidents et même de certains gouverneurs avec beaucoup d’élus, dont le niveau de connaissance frôle le degré zéro est traumatisante. La démocratie locale et même nationale n’est malheureusement pas un filtre qui peut éliminer les mauvais et permettre aux plus qualifiés de gérer les affaires publiques.  

Au-delà des positions politiciennes, le changement a besoin de sagesse

Les discours sur la démocratie et l’ouverture de la gestion publique aux élus présentés par les partis politiques n’est plus audible, ni ayant une portée crédible auprès des populations. La qualité de la majorité des dirigeants des collectivités territoriales a contribué au recul des taux de participation aux élections. Quelques centaines de voix ont fait beaucoup de présidents qui n’ont que rarement joué leur rôle dans le développement local. Il est temps de passer à une autre étape de la gestion communale. La fonction exécutive des Conseils communaux doit être attribuée aux cadres présentant des compétences avérées. Les élus devraient s’intéresser à la définition des besoins et à la programmation des projets et non de se contenir dans les petites tâches liées à différents papiers officiels demandés par les citoyens. La fonction de directeur général ou du directeur des collectivités pourrait constituer un moyen pour  faire un saut qualitatif dans la gestion des dossiers. L’avant-projet prévoit un rôle important pour le détenteur de cette fonction et ce, dans la mesure où le président du Conseil peut lui déléguer une partie de ses pouvoirs dans le domaine de la gestion administrative. Cette gestion ne pourrait plus être déléguée aux adjoints.

Espérons que le débat sera d’une qualité à la hauteur des défis économiques et sociaux que notre pays doit relever. Sans une collectivité locale dynamique et professionnelle, l’attente de la venue de l’investissement pour changer le quotidien des citoyens  ne pourrait être qu’illusion. Certains sages habitant certains partis et  ayant un regard serein sur la politique, préfèreraient un autre exercice de la démocratie locale à travers une présence de l’élu dans le contrôle, la programmation et la traduction des attentes des populations en projets faisables. Laisser l’exécution aux professionnels et leur demander des comptes, seraient un gage de réussite de la prochaine réforme.  

 
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