La médiasphère de Mohammed ou la fin de la radiotélévision
Plus de radio? Plus de télé? Plus besoin ou possibilité de les « réguler »? Plus besoin de « Cahiers des charges »..?
Fort possible, quasi certain même, à condition que vous laissiez votre imagination enfourcher les supports technologiques et usages en cours de nos jours et qui, quotidiennement, muent d’invention en innovation, surprenant sans cesse les plus branchés à Los Angeles, Helsinki, Manille, Dakar…aux quatre coins de la médiasphère, de la planète terre…
A Casablanca, Mohammed, modeste jeune employé municipal de son état, s’arrange tous les matins, en bon lève-tôt, à consacrer une heure de son temps à préparer d’avance sa « nourriture médiatique » du jour avant d’aller au travail. Des cinq bourses mondiales « TSI » (Texte, Son, Image), il préfère fréquenter de plus en plus la bourse « EUSA » (Europe/USA) qui offre plus de contenus en langues autres que l’anglais, langue qu’il ne parle pas hélas..! La « TSI/EUSA » offre surtout plus d’informations, de magazines et de documentaires sur la région d’Afrique du Nord, dont le Maroc donc, plus de fictions courtes d’action à l’américaine, doublées à souhait en plusieurs langues mais avec l’inconvénient de fréquentes coupes publicitaires…Tout cela, en plus de magazines et d’enquêtes radio sur les événements du jour ou de la semaine, de fichiers documentaires d’éclairage, d’ouvrages (E-books) de référence et une foultitude de musiques du monde entier, offerts en « Stored » (Stock mémorisé) que les mélomanes appellent communément (« Clé-fontaines ») appréciant par là que ces stocks soient gratuits, téléchargeables à souhait…Mohammed, avec dextérité enviable, alimente donc sa « PS » ( en français : « Station Personnelle ») usant de « Cloud computing » pour stocker, en fichiers informatiques, sa pêche quotidienne de différents contenus informatiques, textuels, audiovisuels, iconographiques ( selon la définition du National Institute of Standards and Technology –NIST-, le « cloud computing » est l’accès via un réseau de télécommunications, à la demande et en libre-service, à des ressources informatiques partagées configurables). Le « cloud computing » permet surtout de stocker des fichiers, avec différents contenus (texte, son, image…), à distance, et qui sont consultables à partir de n’importe quel outil connecté à Internet (ordinateur, téléphone, etc.)…
Dans ces « clouds » donc (« nuages », en français), Mohammed range, selon des rubriques ou dossiers par ses soins ordonnés, ses multiples choix ou emplettes du jour : nouvelles d’actualité en texte, magazines radio, musiques, fictions, films et sitcoms en VO, links de référence bibliographique, documentations diverses (textes et documentaires audiovisuels) qui concernent des destinations touristiques (Mohammed voudrait visiter cette année la Turquie…) etc.
Couffin médiatique et ordinateur à l’Œil
Bref, Mohammed remplit son « couffin médiatique » pour le jour et assez pour le reste de la semaine… Un couffin qui ne coûte pour Mohammed que la mensualité d’abonnement à l’Internet, hormis bien sûr le coût de son ordinateur portable, acheté il y a un an, qui se fait déjà vieux, quoique sans fil ni clavier et à énergie solaire bien sûr, mais qui est déjà dépassé par l’arrivée- enfin- sur le marché marocain, il y a deux mois, du « Eye-Laptop » (« ordinateur portable de l’œil » que les anglophones abrègent en prononçant « IL », alors que les francophones préfèrent l’appeler « Elle » en hommage à la chinoise qui l’a conçu et qui a un nom de prédestinée : Zhu Quiao, c’est-à-dire « Perle intelligente »)… « Elle » exécute vos ordres dès l’arrêt, juste 2 secondes, de votre pupille sur le large menu de fonctions qu’il vous affiche à l’écran… « Vitesse et confort personnalisés ! » scande la publicité d’« Elle »…
Mohammed, séduit par cette pub, a d’ailleurs commencé à faire des économies de côté pour s’acheter un « IL », surtout qu’il est maintenant familiarisé avec ce procédé de la pupille, puisqu’il a déjà pu intégrer les cordonnées de son compte bancaire, sur intervention d’un spécialiste de sa banque, dans la puce – de la taille d’un globule blanc- qui stocke dans sa pupille droite ses données personnelles (carte d’identité, permis de conduire, passeport, numéro de sécurité sociale etc.). Depuis, Mohammed paie ses courses, au super marché du quartier, juste en laissant un lecteur laser (sans risque aucun) à la caisse débiter, en direct, de son compte, la somme de ses achats…Procédé lancé, il y a plusieurs années, en Finlande, soit durant l’été 2013.
Tout compte fait, Mohammed a bien amorti son ordinateur portable et puis, étant célibataire, il n’a pas besoin d’un écran plasma de TV qui est maintenant du volume d’une feuille, pliable, qu’on peut coller sur n’importe quelle surface (murs, tables, sols…), comme son collègue et ami Rachid…Certes, Rachid « magasine » lui aussi comme Mohammed sur la « TSI/EUSA » mais, étant marié, souvent en voyage comme routier, il a besoin de projeter ses choix stockés sur écran TV pour pouvoir partager à loisir certains avec sa petite famille (films et documentaires) et d’autres avec ses deux plus jeunes enfants (dessins animés, cours de langues étrangères) et certaines émissions politiques et débats culturels avec son aîné, déjà bachelier . L’écran TV ne servant donc plus qu’a ce partage en famille de produits et contenus « magasinés » individuellement, chacun selon son goût et ses besoins. Déjà, chaînes Hi Fi, lecteurs CD et DVD ont disparu depuis bien longtemps, depuis qu’ordinateurs, Smartphones et tablettes les dépassèrent par la qualité de son et d’image dont ces machines se distinguaient du temps du père de Mohammed, autour de 2015 ! Mohammed a donc les soucis et habitudes d’un célibataire. Nul besoin de téléviseur, puisqu’il n’a personne avec qui partager ses choix…Il est totalement satisfait de sa consommation à la carte, qui lui permet de faire librement ses choix, au moment qui l’arrange, de fureter et fouiner comme il veut dans l’infinie médiasphère et les innombrables contenus qu’elle offre sur différents supports et sous divers formats. Il a de vagues souvenirs d’enfance du temps médiatique révolu quand ses parents devaient se pointer à heure fixe devant un écran pour choisir une des chaines TV qu’on leur destine, via satellite ou via la TNT et se retrouvaient obligés de faire avec, de consommer sans qu’on leur demande leur avis au préalable, alors que lui peut maintenant décider du dénouement qu’il préfère à une histoire dont on lui offre différents scripts ou scenarii possibles…avant de le satisfaire par la version « personnalisée », par lui souhaitée !
Les nuages inquiètent européens et américains
Ses parents étaient obligés de consommer sur plusieurs écrans, d’investir dans la télévision, dans l’ordinateur, l’iPad, la Hi Fi, le CD/DVD et l’offre de la vidéo sur demande (VOD) était limitée, à ses débuts et coûteuse… Pourtant, reconnait-il, à l’époque, le futur s’annonçait déjà puisque, en 2015 par exemple :
Dès la fin de la première décennie du 21ème siècle, contenus et services basés sur le « cloud computing » étaient déjà offerts aux consommateurs des contenus, médiatiques notamment, par les majors de l’Internet (Amazon, Google, Apple…), de sorte que même des organismes gouvernementaux avaient commencé à recourir aux services du cloud, tout en se posant des questions inquiétantes pour les gouvernements sur la sécurité et la protection des données (annonce en 2012 d’une « Stratégie européenne de cloud computing » par la Commission Européenne alors que le Congrès américain demandait, en Avril 2011, à son gouvernement, dans un projet de loi, « Cloud Computing Act », de négocier, à l’échelle intergouvernementale, des « lois cohérentes relatives à la sécurité en ligne et le cloud computing »)
– En 2015, la puce informatique de la taille d’un globule blanc datait déjà de plus de cinq ans
– L’écran TV pliable et accrochable datait de plus de cinq ans, en 2015 toujours
– Le numérique était désormais le seul mode de diffusion dans le monde entier pour la télévision et largement pour la radio
– En 2013, la télévision était la 1ère source d’information pour 58% des français et pour 47% des américains, mais la source Internet avançait à grand pas : l’adulte américain, par exemple, s’y abreuvait 5h par jour, contre 4h30 devant la télévision
– La même année (juin 2013), en Afrique, on relevait qu’il y avait, au Maroc par exemple, pays de 33 millions d’habitants à l’époque : 20 millions d’internautes; 5 millions d’abonnés à l’Internet dont près de 84% à accès 3G; 5 millions de comptes Facebook; 112 000 comptes Linkedin…
– En 2012, les supports médiatiques personnels les plus utilisés par les consommateurs médias en France étaient : l’ordinateur personnel à 69% (68% aux USA), le téléphone portable ordinaire à 52% (46% aux USA), les Smartphones à 45% (44% aux USA), les Tablet ou iPad à 15% (20% aux USA)…Au total, ces quatre supports, hors donc le canal de la télévision classique linéaire, concentraient 93% de la consommation des contenus audiovisuels en France et 94% aux USA ! La VOD était également, la même année, sur une courbe ascendante (20% de la part de la consommation télévisuelle, 29% aux USA), alors que la diffusion du télévisuel directe sur le Net (« Live Broadcasting »), accaparant plus de 50% de la consommation TV en Europe et en Amérique du Nord (Canada compris), atteignait 90% au Royaume Uni..! Autant dire que la télévision ne passait plus que par la « Toile »…L’araignée Internet permettait déjà à de plus en plus de consommateurs, surtout les jeunes, à se « fabriquer » leur propre télé, leur propre programmation …sur mesure! C’était déjà l’usage devenu commun chez la génération baptisée à l’époque « génération C » (pour génération connectée).
Compte à rebours d’une disparition annoncée
En somme, le monde de Mohammed était déjà en marche en 2012/2013…Un monde qui présente une offre télévisuelle avec dynamique de non linéarisation , avec diversification de plateformes ou supports de visionnage, aboutissant à des contenus personnalisés, de haute qualité technique (image, son, débit…), adaptés à chaque consommateur selon ses choix de supports de consommation, ses moments préférés pour consommer tel ou tel type de contenus, selon sa propre programmation, tenant compte de sa ou ses langues d’accès etc. A l’origine de ce bouleversement, par rapport aux débuts du 21ème siècle, fût l’Internet qui vite s’engouffra dans le grand écart qui existait alors entre ce que les consommateurs médias demandaient et ce que l’industrie médiatique, télévision en tête, proposait… « On regardera toujours la télévision de manière linéaire, en direct, pour la finale du championnat du football américain ou pour les événements d’actualité, mais si vous êtes le propriétaire d’une station de télévision, vous êtes dans la même position qu’un journal, il y aura d’autres moyens de regarder les contenus et vous allez rencontrer des difficultés », prévenait alors, en 2013, comme par prophétie, un analyste américain (Jim Nail) réputé spécialiste de la médiasphère mondiale. Pas si prophétique que cela finalement puisque, en 2013 déjà, audiences et annonceurs à travers le monde devenaient de plus en plus nombreux à prendre leur chemin vers ces supports « personnalisés », qui offrent « vitesse et confort personnalisés », pour reprendre le slogan publicitaire d’ « Elle », le laptop- œil chinois qui a tant séduit Mohammed.
Alors, vous, qui êtes de ce jour, en l’an de grâce 2013, êtes-vous en mesure de lire dans vos technologies et usages actuels, les signes avant-coureurs du monde de demain, le monde de Mohamed? Un monde qui conjugue au passé télévision câblée, télécommande (canne d’assisté de l’homme du 20ème siècle!), équipements d’appoint ou de secours (1er écran, 2ème écran, plasma TV, iPad…). Un monde dépassé où la satisfaction de vos besoins en contenus audiovisuels est planifiée d’avance par des politiques (« politiques publiques » pour « Radiotélévision de service public »), par des régulateurs, avec une offre soumise à une programmation dans le temps, à un plan d’offre (diffusion) qui ne vous demande guère votre avis et qui, comme les trains, décide seul des horaires de départ et d’arrivée, des escales (pubs) comme de changements d’horaires saisonniers…
Vous pouvez dès maintenant entrevoir la marche du futur, le monde du jeune Mohammed, un monde qui parlera au passé des chaines satellitaires « on line » (à quelques survivants près, peut-être pour le sport et les actualités politiques et boursières), de la DSL (« Digital Subscriber Line »), des câblodistributeurs qui, pour l’instant, font le bonheur de la VOD et une probable faillite des chaines traditionnelles…IL vous suffit d’y croire… Toute performance envisagée au futur, n’a-t-elle pas à l’origine une foi, la croyance de ceux qui l’envisagent ou rêvent qu’ils sont capables de l’atteindre? Demandez à l’Homme qui foule de ses pieds la surface de la lune et bientôt Mars… Demandez à l’ingénieur/peintre médiéval Léonardo Da Vinci, ancêtre des aviateurs… Demandez à Usein Bolt qui risque d’être celui qui annonce de nos jours le futur d’un coureur de 100m à moins de 9 secondes, 8, 7… Compte à rebours pour la disparition de la télévision, radio, régulation, cahiers des charges, grille des programmes, etc. … Ne raisonne-t-il pas déjà dans vos oreilles ce compte à rebours? Sommes-nous à 100 mètres de la disparition de notre présent audiovisuel actuel ? A vous de jauger, juger, mesurer et chronométrer…L’inouï qui arrive!
Pr. Jamal Eddine NAJI.
Fondateur de la Chaire Unesco en communication publique et communautaire.Rabat.