La monarchie, institution pivot
Fête du Trône, Fête de la Jeunesse, fête de la révolution du Roi et du peuple, le hasard du calendrier concentre ces trois commémorations. Ce qui les lie, c’est le rôle historique mais aussi institutionnel de la monarchie. Celle-ci est à la fois un symbole et un prescripteur. C’est ce qui lui permet d’évoluer, tout en faisant évoluer toute l’architecture institutionnelle donnant à l’expression «le changement dans la continuité» tout son sens.
L
’actualité politique cette année, nous a offert plusieurs occasions pour saisir l’interprétation que le Roi donne au texte de la loi fondamentale, la constitution du 1er juillet 2011. C’était important parce que la pratique fait office de jurisprudence dans l’interprétation des textes, surtout quand ils sont ouverts sur plusieurs interprétations.
Deux éléments retiennent plus particulièrement l’attention. Ce que l’on a appelé la crise des cahiers des charges dans les médias publics et le divorce Istiqlal-PJD.
Dans le premier cas, le souverain a reçu le Chef du gouvernement et le ministre concerné. Ceux qui ne s’attachent qu’à l’écume, ont lié cette intervention à un éventuel désir du contrôle du secteur et à une prétendue proximité de ses dirigeants avec le palais. La réponse vient de la bouche de Benkirane lui-même «S.M le Roi a attiré notre attention sur certaines erreurs ». En fait, c’est l’application même de l’article 42. Le Roi est intervenu parce que le gouvernement se substituait à une institution indépendante : la HACA. Il suffit de voir les changements opérés par Mustapha Khalfi, le ministre de la Communication sur son projet initial, pour constater que l’intervention Royale a défendu les prérogatives de la HACA, institution constitutionnelle. Ce qui relève des compétences de l’exécutif est resté, même s’il fait l’objet de controverse.
Par contre, quand Hamid Chabat a fait appel à l’arbitrage Royal, dans son différend avec le Chef du gouvernement et la décision de son parti de quitter la majorité, il faisait une interprétation extensive de l’article 42. Politiquement, cela nous ramenait à une époque où l’institution monarchique intervenait dans la vie interne des structures partisanes. Cette interprétation extensive de l’article 42 contredisait l’esprit de la constitution du 1er juillet et du consensus autour du discours du 9 mars.
Le Roi a tranché en refusant d’intervenir. Mieux, il a rappelé à Hamid Chabat, selon les propres mots de celui-ci, que «le parti de l’Istiqlal, comme tous les autres, était souverain dans ses décisions ». De la même manière, la palais n’a indiqué aucune préférence entre les deux choix qui s’offraient au PJD, à savoir reconstruire une majorité ou aller vers des élections anticipées. C’est le conseil national du PJD qui a tranché.
Nous sommes face à une interprétation démocratique, d’un article sensible parce qu’il fixe les relations entre l’institution monarchique et les autres. Le Roi en a défini concrètement les contours, en défendant la HACA contre la tentation hégémonique et en s’interdisant toute intervention dans la vie interne de l’exécutif. Cela contredit tous ceux qui laissent à penser que l’application démocratique, le fameux « Tanzil », serait l’occasion d’un bras de fer avec le Palais. Celui-ci a une interprétation qui va plus dans le sens de la démocratie que les partis politiques, y compris le PJD.
Une monarchie prescriptrice
Que les commentateurs ne saisissent pas cet aspect, est étonnant, parce qu’il est essentiel. Mais cette attitude royale est en adéquation avec la nature de l’institution et ce que l’on sait de celui qui l’incarne, Sa Majesté Mohammed VI. La monarchie marocaine a de tous temps cherché à coller aux aspirations populaires. Elle ne s’en fait pas l’écho, ne les instrumentalise pas comme des slogans, mais les décline en projet national. L’événement le plus éclatant a été la lutte pour l’indépendance. Dès le début des années 40, le mouvement national a trouvé auprès du souverain de l’époque, le plus grand des soutiens. Le discours de Tanger en 1947, la grève de signatures puis la révolution du Roi et du peuple ont scellé, ou plutôt renouvelé le pacte entre la Nation et l’institution. La légitimité historique de la monarchie ne procède pas de sa durée, mais de sa capacité à être en adéquation avec son temps, les aspirations du peuple et à s’ériger en force prescriptrice, en définissant un cap et des modalités des rythmes, qui sont rarement des ruptures sèches.
Les convictions démocratiques de celui qui l’incarne aujourd’hui sont indiscutables. Dès son intronisation, il a décliné son projet qui tient autour d’un triptyque : démocratie, développement, modernité. Pour qui sait lire avec honnêteté, tout est dans les premiers discours. L’adhésion à la conception universelle des droits de l’homme et de la démocratie, un développement centré sur l’humain dans le respect de la cohésion sociale et de l’environnement, une modernité dans le respect de nos valeurs mais sans aucune concession au conservatisme rétrograde, au nom de la spécificité.
Et il a tenu parole. Le choix de la justice transitionnelle par le biais de l’IER et le renforcement continu du rôle du Conseil national des droits de l’homme est non pas pragmatique, mais stratégique. Il a permis de solder «les années de plomb» sans poser la question de l’impunité. Elle aurait occasionné des tensions ingérables et n’avait pas de pertinence, puisqu’il n’y avait pas de changement de régime. Par contre, dès le début, le processus, l’objectif final dépassant la réconciliation et posait les jalons d’un Etat de droit qui interdisait tout retour aux pratiques passées. Sur le plan institutionnel, la régularité des élections, le respect de la démarche démocratique, la stabilité des gouvernements dans le cadre des législatures, annonçaient un mode de gouvernance respectueux des autres institutions.
Les grands travaux et l’INDH déclinaient la vision du développement intégré. Le code de la famille, l’attention apportée à la promotion de la femme, à l’éducation des petites filles surtout en milieu défavorisé, les efforts consentis en faveur des handicapés, des prisonniers, de manière structurelle et continue posent le cadre de la vision d’une société moderne, solidaire, apaisée en construction.
La manière dont a été gérée la question du code de la famille est l’expression même du rôle de l’institution monarchique. Rappelons-nous de la division de la société autour du plan d’intégration de Saïd Saâdi. Celui-ci a été abandonné par son camp. Le Roi a nommé une commission et l’a dirigée vers un compromis positif, aux acquis nombreux pour les femmes, en particulier l’égalité juridique des époux. Quels que soient ses penchants personnels, celui qui incarne la monarchie doit tenir compte de l’ensemble de la Nation. A chaque carrefour historique, c’est ce qui a permis à l’institution d’être prescriptrice, sans diviser, ni s’aliéner une partie importante du peuple. C’est la tendance lourde de siècles d’histoire. Les exceptions, un cavalier seul du Souverain contre les aspirations, correspondent exactement aux périodes de troubles. C’est ce que l’histoire nous apprend.
Un dépositaire en mouvement
Quand on dit du Maroc que c’est l’un des plus vieux Etats-nations du monde, ce n’est pas un exercice de style, un trophée, ou une couche narcissique pour nos egos. C’est un véritable atavisme qui imprime, avec force, tous les processus de changement.
Tous les Rois du Maroc ont eu à gérer l’ambition de la Nation par rapport à sa place dans le Monde. Souvent en termes de rayonnement, parfois défensivement. Les tribus, même en froid avec le Palais, répondaient massivement à tous les appels pour défendre le pays. La Marche Verte est l’exemple contemporain de ce lien. Le Roi, symbole et incarnation de la Nation, ce n’est pas un slogan pour fête commémorative, mais un véritable poids historique. Le monarque est le dépositaire de la volonté de la Nation. C’est inscrit dans l’acte d’allégeance, qui est synallagmatique, depuis des siècles.
Mais cette charge, ce devoir du Roi, n’est pas une excuse pour l’immobilisme, bien au contraire. Le Trône a obligation de s’adapter aux aspirations populaires, à trouver les équilibres positifs. Même les souverains absolus ont, de tous temps, composé avec les Oulémas, les notables, leurs propres caïds, qui eux-mêmes étaient sous la pression des populations. C’est le seul moyen de comprendre pourquoi le Maroc a résisté pendant des siècles à la fois aux européens et au califat et qu’il a même pu s’étendre au sud, tout en maintenant en interne une stabilité relative, mais réelle.
C’est dans ce contexte qu’il faut resituer les processus actuels. Mohammed VI est un démocrate résolu, mais il est aussi celui qui incarne la monarchie. Le poids de l’histoire est une réalité.
La constitution de 2011 n’est pas uniquement le fruit du contexte régional et de ses ébullitions. C’est le produit d’une maturation qui a démontré que l’ancienne constitution devenait trop exiguë pour le processus de construction démocratique. L’USFP a réclamé une monarchie parlementaire, tout en étant au gouvernement et sans créer la moindre tension, preuve qu’au Palais la réflexion existait. Le texte, rédigé par une commission, alimenté par les propositions des partis et des associations, plébiscité par les électeurs, répond à deux contraintes :
– Celle de l’évolution démocratique en consacrant la souveraineté populaire, en renforçant les prérogatives de l’exécutif issu des élections.
– Le respect du rôle de l’institution monarchique, tel qu’il a évolué dans l’histoire.
C’est encore un équilibre positif très avancé, encadré par l’adhésion aux valeurs universelles qui fixent le cap et imposent à tous les acteurs, une lecture prospective.
L’interprétation donnée par le Roi à l’article 42, démontre sans surprise, que l’institution monarchique s’inscrit dans cet esprit et milite pour ce devenir. Les réticences des uns sont à contre-courant et finiront par être balayées. Les impatiences formulées par d’autres ne tiennent pas compte des différents courants qui traversent la société, et qui sont souvent contradictoires et du rôle réel, historique, de la monarchie, celui d’un dépositaire condamné à la synthèse positive, à la marche vers la concrétisation du projet national, avec l’adhésion de l’immense majorité.
Croire qu’on peut jeter l’histoire par dessus bord à coup de slogans est immature. Avec des pédigrées beaucoup moins chargés, ceux qui s’y sont essayés ont fini dans le drame.
Ce n’est pas un appel au passéisme, loin de là, mais à la prise en compte réelle de l’exception marocaine, à la fois une chance et un atavisme. La monarchie ne peut diriger les ruptures violentes, mais elle a fixé le cap : celui d’une véritable démocratie, solidaire.