Entreprises & Marchés

La pratique des bons de commande : souplesse ou détournement ?

Acheter des stylos ou des cartables, payer des restaurants et notamment ceux qui sont appréciés par certains directeurs des administrations ou établissements publics, pouvoir répondre à une situation d’urgence comme garnir une salle de réunion avec des bouquets de fleurs avant l’arrivée des ministres, et surtout pouvoir assurer au quotidien des plateaux de petits gâteaux sucrés et salés et pourquoi pas, du chocolat de renommée auprès d’une franchise suisse … toutes ces priorités peuvent être «stratégiquement» assurées au moyen du bon de commande. par D.A.

C

e n’est pas tout… et ce sont des centaines de millions de dhs qui sont en jeu. Cette facilité de procédure profite aux ministères et leurs services extérieurs, aux établissements et entreprises publics et aux collectivités territoriales. Les ordonnateurs réservent un amour sincère au bon de commande.

 Ça sert à quoi un bon de commande ? 

C’est un moyen de faire appel aux fournisseurs pour effectuer un service ou livrer une marchandise à l’administration, sans passer par la procédure longue et périlleuse des marchés publics. La limite ou la frontière formelle entre le bon de commande et le marché public est le montant. Lorsqu’une dépense ne dépasse pas 200 000 DH, il est possible, sous certaines conditions de forme, de passer par le bon de commande. L’essentiel est de respecter les procédures et notamment, de ne pas procéder à des fractionnements de marchés pour échapper aux contrôles et à la publication des achats d’une administration. Les plus humbles des responsables publics donnent au respect des procédures une acception trop large et finissent par devenir la risée de leurs collègues qui ouvrent toutes les portes grâce à l’ingéniosité et au professionnalisme que requiert le bon de commande. L’article 88 du décret du 20 mars 2013 relatif aux marchés et l’annexe 4 dudit décret fixent les conditions et les biens et services qui peuvent faire l’objet d’un bon de commande. Le plafond d’un bon de commande peut, exceptionnellement et sous certaines conditions, atteindre 500.000 DH.  

Les restaurants connaissent bien les bons de commande

Les maitres d’hôtel de la capitale et même de certaines de nos grandes villes réservent les signes de révérence à ceux qui, par un clin d’œil, font comprendre au personnel des restaurants que la facture est à imputer sur le bon de commande. A la fin du repas, bien servi et souvent bien arrosé, le pourboire fait figure de paiement. Les petites factures s’accumulent et finissent par devenir grandes et les lignes budgétaires sont ainsi faites. La réception des hôtes et notamment ceux de l’extérieur est un devoir « diplomatique » qui permet de prolonger la fête sur les reliquats des bons de commande. Dans certains pays, les hôtes étrangers même les plus prestigieux sont invités dans les restaurants du ministère. Ceux qui connaissent les institutions comme les Nations Unies, la Banque Mondiale ou le FMI ne peuvent que confirmer la rigueur avec laquelle l’hospitalité est respectée. Plusieurs Princes et Chefs de gouvernement sont servis dans les restaurants de ces institutions dans une ambiance chaleureuse et respectueusement modeste.  

C’est souplesse nécessaire…quand même

Le bon de commande est une manière de dépenser qui reste, malgré tous les dépassements, une manière souple pour répondre à des besoins réels de l’administration. Les machines de traitement des documents, l’entretien du matériel informatique, les petites pannes de robinetterie, les problèmes liés au nettoyage des bureaux, le transport de certains documents et les travaux urgents, sont autant de situations qui doivent nous pousser à user et ne pas abuser de cette souplesse procédurale.  

Le recours à la vraie concurrence doit guider l’urgence en matière d’acquisition de biens et de services. C’est un devoir constitutionnel qui a été consacré par la constitution de 2011. La méthode est simple, avant d’acheter une marchandise ou obtenir un service, l’ordonnateur ou le sous-ordonnateur, c’est-à-dire la personne responsable d’un service ou d’un ministère, doit consulter au moins trois établissements privés pour obtenir le meilleur prix et la meilleure prestation. La concurrence est donc exigée pour pouvoir dépenser l’argent public avec cette facilité que représente le bon de commande. Dans la pratique, la consultation est généralement une pure forme pour contourner les procédures. Les devis contradictoires portent mal leur nom. Ils sont plutôt le symbole de l’amitié entre certains fournisseurs. S’échanger les services et aider celui qui a pu dénicher « l’affaire » est une chose connue et difficile à détecter. Présenter au contrôle trois consultations matérialisées par trois devis est la plus facile des tâches. Certains attributaires de la commande publique par le procédé des bons de commande disposent donc d’un pouvoir miraculeux pour vous fournir les offres, souvent supérieures à l’offre retenue. Ces concurrents peuvent être des employés ou les propres fils ou même les gérants d’entités appartenant à la même personne. Le marché connaît ses pratiques et rares sont ceux qui osent exposer leur méconnaissance des procédés habituels. Cela dit, il existe toujours une marge pour les bonnes pratiques, comme il existe des fournisseurs qui refusent de traiter avec l’administration ou l’établissement public et ne veulent pas que leurs caisses soient débitées de recettes provenant des caisses publiques.

C’est possible de cadrer la pratique des bons de commande

Les administrations doivent disposer d’un référentiel de prix des différents biens et services qui les concernent et pour lesquels ils mobilisent les crédits dont elles disposent. Il arrive que le prix d’un bien acquis au moyen d’un bon de commande soit le double ou le triple du même bien sur le marché. Une attention particulière doit guider les bonnes volontés et les auditeurs pour éluder les pratiques qui nuisent à la bonne gouvernance et à la gestion des deniers publics.

Un code de conduite en matière de dépense publique est nécessaire pour limiter les appétits de certains responsables qui trouvent normale toute attitude, même symbolique de se payer des avantages sur le dos du citoyen et son argent public. Le Chef du gouvernement a appelé à limiter le train de vie de l’administration et à faire subir une cure d’amincissement au budget de fonctionnement. Il a raison de le dire, mais il aura encore plus de crédibilité si le citoyen voit réellement les résultats de ses dires sur le terrain. Les voitures de « service » ou même celles qui ne portent pas le M rouge mais sont louées, continuent de faire subir des atrocités à l’image de l’administration publique. Les parkings des plages, des grandes surfaces, les routes et les autoroutes lors du week-end et les différents centres de shopping, sont des lieux d’étalage du pouvoir du responsable public. D’autres pays très développés n’ont qu’un parc automobile très limité ne dépassant pas le dixième de notre parc et pourtant, leurs services administratifs marchent bien et donnent satisfaction au citoyen. 

 
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