Interview

Ahmed Azirar : « La réforme fiscale doit aller à terme. Les réformes structurantes doivent continuer. Tout recul sera couteux ».

2023 semble être l’année de toutes les attentes. En attendant le spectre des crises boulevers les prévisions économiques. Dans cet entretien avec Challenge Ahmed Azirar, Docteur d’Etat, économiste, professeur universitaire et fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprise (AMEEN), esquisse une cartographie des enjeux qui pointent à l’horizon en 2023.

Challenge : A l’aune de cette nouvelle année qui s’annonce quelle lecture faite-vous de la situation économique en Europe et USA ?

Ahmed Azirar :  La croissance mondiale devrait, selon de récentes projections (octobre 2022), se replier de 6% en 2021 à 3,2% en 2022 et 2,7% en 2023. La crise hybride, qui frappe durement l’économie mondiale, impacte négativement le coût de la vie, les conditions financières des Etats et des ménages et l’approvisionnement général, et en énergie et en aliments, en particulier, que la guerre en Ukraine et les effets persistants de la Covid-19 aggravent.

Selon le FMI, « il s’agit du profil de croissance le plus morose depuis 2001, si l’on excepte la crise financière mondiale de 2008 et le pic de la pandémie de Covid-19 ». Les grandes puissances économiques sont toutes marquées. Le PIB américain a ralenti au premier semestre de 2022, et dans la zone euro au 2ème semestre, sachant que la hausse des contaminations au COVID-19, multiplie les confinements de masse en Chine, sur fond de crise grave du secteur immobilier.

Lire aussi | Décret : Fiscalité, douane et Loi de Finances déléguées à Fouzi Lekjâa

Aussi l’inflation mondiale, que beaucoup espéraient passagère, est-elle en train de rester soutenue. Elle s’élèvera de 4,7% en 2021 à 8,8% en 2022, avant de pouvoir revenir à 6,5% en 2023 et 4,1% en 2024. L’effet et la durée de la hausse des prix mondiaux sont d’autant suivis que de nouveaux chocs sur l’énergie et les denrées alimentaires sont à craindre, vu les conditions climatiques et géostratégiques tendues dans de nombreuses régions du monde. Le non alignement des politiques monétaire et budgétaire et les difficultés entravant l’engagement des réformes nécessaires dans de nombreux pays retardent le rétablissement de la stabilité des prix et exacerbent les tensions sociales.

Cet état de fait mondial rappelle la STAGFLATION des années 1970-80. Situation qui gêne énormément les échanges commerciaux et les mouvements des capitaux et pousse à la hausse les taux d’intérêt, aggravant les crises d’endettement dont souffrent les pays déjà surendettés et qui affrontent, en plus, les crises conjuguées du climat, de la santé et de l’alimentation. La clôture mi-figue mi-raisin de la COP 27 déprime d’autant le climat mondial des affaires et entame davantage la confiance des consommateurs et investisseurs, ce qui réduit les transferts financiers privés et les IDE.

Le FMI attire l’attention au fait que « le durcissement des conditions de financement à l’échelle mondiale pourrait être à l’origine d’une vague de surendettement dans les pays émergents ». Il appelle à « une amélioration sensible des cadres de résolution de la dette » et, de manière plus générale, à « une coopération multilatérale efficace (qui) évitera une fragmentation qui pourrait anéantir les progrès accomplis en matière de bien-être économique grâce à 30 ans d’intégration économique ».

Challenge : Comment s’annonce 2023, la relance sera-t-elle effective ?

A.A : L’économie marocaine sera impactée par cet état de fait de l’économie mondiale et régionale. Mais ce n’est pas une situation inédite. Le cycle économique est ainsi fait. Les indicateurs macroéconomiques nationaux sont en berne. Le tout est de faire en sorte que nos politiques conjoncturelles soient à la hauteur des défis, qu’elles soient synchronisées au mieux, et appliquées efficacement. Il faudrait aussi que les réformes structurantes engagées soient poursuivies. Tout recul sera coûteux. Il est vrai que les finances publiques seront mises à rude épreuve avec même un risque de report de nombreux investissements publics surtout si le coût d’endettement continue à grimper et que les rentrées classiques se réduisent (Fiscalité, tourisme, transferts privés, contributions du secteur public).

Lire aussi | PLF 2023. Les principaux amendements de la première partie adoptés à la Chambre des représentants

L’économie marocaine a fait preuve de résilience notoire sous Covid-19, étant donné la gestion efficace qui en a été faite et grâce à la diversité et agilité de beaucoup de secteurs d’activités. Mais les effets négatifs sur les ménages et sur les TPME notamment, sont toujours là, aggravés par le poids de l’inflation persistante, le chômage et la sécheresse exceptionnelle qui sévit. La loi des Finances 2023 apporte des éléments de mobilisation financière, notamment fiscaux. Il faudrait les appliquer promptement. Car la réforme fiscale doit se faire telle que les Assises nationales l’ont souhaitée. Tout en donnant aussi l’exemple, côté administration et secteur public, de bonne et efficiente gouvernance de crise. La mise en place du Fonds Mohammed VI et l’entrée en application de la nouvelle charte des investissements, sont de nature à soutenir la relance et à inciter le secteur privé à faire preuve de plus de dynamisme.

Challenge :  Que dire de l’Exécutif face aux défis structurels ?

A.A : Le gouvernement actuel, ramassé et à large majorité harmonieuse, devrait, avec aisance normalement, engager les réformes et faire face aux contestations, comme celles que certaines professions engagent actuellement contre la retenue fiscale à la source appliquée au chiffre d’affaires. Avec aisance, dis-je, car ce gouvernement dispose de tous les pouvoirs, et se dit proche des milieux d’affaires et des professionnels. Il a des dépenses incompressibles élevées à assumer et des réformes structurelles déjà engagées à financer et des promesses sociales à honorer. Il faut de la hauteur.

 Challenge : Justement quid du financement de la couverture sociale généralisée ?

A.A : Le financement et la bonne gestion sont les clés de succès. Le plan stratégique en prévoit les modalités dans le détail. Le gouvernement en applique, d’ailleurs, minutieusement les stipulations, tant le chantier est Royal, et que SM le Roi Mohammed VI en suit personnellement l’exécution. Un Policy paper en publication par l’IMIS (dont l’auteur est Hicham Kasraoui), insiste sur la nécessité de « Développer les structures et les mécanismes de recouvrement social ». Le système de protection sociale repose à la base sur les financements qui permettront de payer aux bénéficiaires les prestations et les allocations. Pérenniser le système impose la sécurisation des trois types de ressources financières qui l’alimentent, c’est-à-dire, les contributions publiques, qui doivent être mobilisées ; les cotisations salariales et patronales, qui sont les plus structurantes du système et qui nécessitent un effort de recouvrement notamment auprès des indépendants ; et les prélèvements fiscaux appropriés.

Bien plus, il s’agit de regrouper les diverses entités de gestion existantes, en un organisme de taille, doté des moyens humains et matériels suffisants, pour qu’il soit apte à fédérer les diverses parties concernées et pour, in fine, gérer efficacement cette « révolution » sociale. Dans son exposé devant la Commission parlementaire des secteurs sociaux, en mars 2021, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’administration, avait annoncé que la somme des contributions publiques et des financements fiscaux représente 23 milliards de dirhams sur les 51 milliards nécessaires à la mise en œuvre de la réforme, soit 45% de son coût global. Une proportion qui demeure équivalente à celle qu’on observe en France à titre de comparaison (H. Kasraoui, IMIS).

Lire aussi | Charte de l’investissement. 3,3 milliards de DH supplémentaires pour sa mise en œuvre [PLF 2023]

Challenge : Quid des marges budgétaires ?

A.A : Tout est dans le dynamisme de la croissance qu’il faut retrouver rapidement. Autrement, il n’y a pas de mystère. Les rentrées fiscales doivent être assurées. Les secteurs faiblement contributeurs malgré leurs chiffres d’affaires importants doivent contribuer. Des privatisations et la rationalisation de la gestion du secteur public sont programmées, le tout est de les mener à bonne fin. Reste aussi la bonne gouvernance des dépenses publiques, centrales et territoriales qui doit être assurée. Les PPP peuvent également soulager le budget de l’Etat bien entendu. Les marges disponibles d’endettement interne et externe ne manqueront pas d’être actionnées. Il faudrait juste faire en sorte que « le tout fiscal » ne s’installe durablement. Trop d’impôts tue l’impôt. Et encore et toujours, mobiliser l’investissement national et étranger.

Challenge : A propos, comment réduire les disparités spatiales entre régions en matière d’attractivité de l’investissement ? Comment renforcer l’attractivité du Royaume pour les investissements étrangers ?

A.A : Chacun sait que la crise actuelle refroidit les ardeurs des investisseurs en général. Mais ceci n’empêche pas que les fonds nationaux et étrangers restent toujours à la recherche des écosystèmes les plus attractifs. Et là le Maroc se positionne excellemment. Surtout qu’il offre des projets porteurs dans divers secteurs novateurs (Energies, hydraulique, Chimie, automobile, aéronautique, agroalimentaire, infrastructures…), des incitations adaptées et un cadre d’accueil rénové, dans le cadre de la nouvelle charte et des CRI’s (Centres régionaux d’investissement, ndlr). Les nouveaux partenaires étrangers intéressés en demandent. Il faudrait les accueillir convenablement. L’Etat, ses bras actifs, ainsi que les décideurs locaux, devraient profiter du nouvel écosystème incitatif pour mieux équiper les régions attardées et y insuffler une dynamique de développement en rapport avec les particularités et les besoins locaux.

Lire aussi | Impôt sur les sociétés : les nouvelles mesures fiscales proposées dans le PLF-2023

A cet effet, les diasporas marocaines, avec leurs moyens et compétences, devraient être associées efficacement à l’effort de développement que les régions et le pays engagent. Les diasporas demandent, néanmoins, de la clarté, du concret et la continuité dans le travail avec elles. Et beaucoup de transparence au niveau des régions. C’est le privé dynamique et l’investissement novateur qui aideront à résoudre la problématique épineuse de l’emploi.

 
Article précédent

Maroc-Arabie Saoudite : signature d’un MoU pour une meilleure coopération

Article suivant

Évolution du coronavirus au Maroc. 170 nouveaux cas, 1 268 136 au total, vendredi 25 novembre 2022 à 15 heures