La rentrée de tous les doutes
Attentisme autour du remaniement et de ses risques, une situation économique qui ronronne et des conflits sociaux latents, tel est le paysage de cette rentrée.
Le discours du Trône avait annoncé un remaniement qui doit amener aux responsabilités des compétences pointues. Le chef du gouvernement a attendu le mois de septembre pour entamer ses consultations et cela ne se passe pas très bien. Avant même d’entamer la question des personnes et donc des compétences, la structure de l’équipe pose problème. Il faut dégraisser, et les partis politiques de la coalition sont attachés à ce qu’ils considèrent comme un équilibre comptable né des rapports de force initiaux.
Il est presque acquis que les secrétaires d’Etat vont passer à la trappe. Les rapports entre ceux-ci et les ministres ne sont pas au beau fixe. Mais cela pose un autre problème. Il s’agit essentiellement de femmes et il est nécessaire d’avoir une présence féminine conséquente.
Le chef du gouvernement devra ensuite convaincre ses alliés d’abandonner des portefeuilles, ce n’est pas chose aisée, surtout quand il s’agit de ministères importants. La preuve de la difficulté de la chose c’est qu’il n’a pas évoqué, pour le moment, ce sujet avec la direction de son propre parti.
Le gros morceau restera la question des compétences. Les grosses pointures ne sont plus dans les partis depuis longtemps. Même celles qui étaient intéressées par le service public, avaient d’autres modes de cooptation que l’action partisane. Pour répondre aux vœux du Roi, il faudra que les partis acceptent de se faire violence et d’adouber des profils de l’extérieur. Pour certains, le RNI et le MP, par exemple, c’est assez habituel. Mais pour le PJD cela risque fort d’avoir du mal à passer.
Le doute qui s’installe est dangereux, seule une vision peut ramener l’optimisme premier ingrédient des facteurs de croissance
El Otmani est face à un bonneteau très compliqué, mais il ne peut pas mettre des mois à constituer son nouveau gouvernement, car cette incertitude a des conséquences sur l’économie et la situation sociale.
Objectif relance
Le monde des affaires attendait cette rentrée avec impatience, non pour suivre le jeu de chaises musicales mais parce que deux gros dossiers doivent être tranchés : le code du travail et la fiscalité. Sur le premier point, cela fait des décennies pour chaque gouvernement préfère laisser la patate chaude dans les tiroirs. Le droit de grève, le coût des licenciements, la flexibilité, en général, sont des points litigieux entre le patronat et les syndicats. Pourtant, il faudra bien trancher si la relance de l’emploi continue à être prioritaire et elle l’est, vu que le taux du chômage ne baisse pas depuis des années.
La Loi de finances est très attendue parce que la promesse de l’argentier du Royaume c’est d’y inclure des aménagements fiscaux réclamés lors des assises de Skhirat. Là aussi, il s’agit d’un véritable monstre de Loch-Ness. Le patronat et les syndicats réclament depuis plus d’une décennie une baisse de la pression fiscale.
On attend de voir comment le gouvernement peut tenir cette promesse et faire face à des engagements très coûteux. La formation professionnelle, chantier consensuel et essentiel, nécessite des investissements très conséquents. Près de deux milliards de dirhams seront nécessaires dès 2020. L’application de l’accord issu du dialogue social, même si les concessions sont minimes aura son impact budgétaire.
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La grande inconnue reste le taux de croissance attendu. Si la pluie continue à déserter le ciel marocain autant dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Plusieurs indicateurs sont négatifs. Le déficit commercial se creuse, les réserves changes sont en petite forme, la création d’emplois patine, à l’inverse, le nombre de faillites est en accroissement.
Mais l’opinion publique attend ce qu’elle considère comme plus stratégique : le nouveau modèle de développement. La mise sur pied d’une commission, les débats qui s’en suivront, seront à coup sûr plus suivis que les péripéties de la constitution d’un nouveau cabinet, El Othmani II.
Eviter la poudrière
La rentrée sociale constitue une crainte encore plus importante. Les dossiers s’accumulent dans les secteurs les plus importants de la fonction publique. A l’éducation nationale aux contractuels, qui menacent de reprendre leur grève, s’ajoute une crise sérieuse avec les professeurs universitaires. Le SNESUP (Syndicat national de l’enseignement supérieur) menace lui aussi de débrayer, ce qui serait une première depuis des décennies. Ce syndicat toujours dirigé par l’USFP, privilégie la négociation. Mais la situation sociale des profs des universités s’est réellement dégradée.
La santé publique n’est pas en reste. Médecins et paramédicaux réclament à la fois une revalorisation et de meilleures conditions de travail. Le ministre de la Santé avait promis d’accéder en partie à leurs demandes, mais c’est resté lettre morte. Il faut éviter à tout prix un conflit social dans ce secteur qui a déjà d’énormes difficultés à assurer l’accès aux soins des citoyens. Même si les contraintes budgétaires demeurent. Au sein de la justice, les greffiers, rouage essentiel des tribunaux, sont vent debout parce que les promesses n’ont pas été tenues.
Pour que la poudrière ne soit pas en feu, que ces luttes sociales ne coagulent pas et se transforment en crise politique, il faut du doigté. Cela manque cruellement à l’exécutif qui maltraite les partenaires sociaux. Dans le privé, malgré la pression du chômage, les conflits, parfois avec occupation d’usines se multiplient. Tous les syndicats dénoncent les attaques contre les droits syndicaux. Si l’exécutif ne peut interférer dans la gestion des entreprises, il est de son devoir de défendre des droits constitutionnels et il ne le fait pas au grand dam des représentants des salariés.
Au-delà des annonces électoralistes, nous avons un taux de chômage stabilisé aux alentours de 9,5 %, nonobstant le mode de calcul en milieu rural. C’est une vraie bombe à retardement.
Quelle que soit la qualité des hommes et des femmes qui composeront le nouveau gouvernement, ils ne pourront pas répondre à tous ces défis en gardant la même trajectoire.
Les attentes populaires nécessitent une nouvelle vision. Les dogmes néo-libéraux, la fameuse théorie du ruissellement n’a marché nulle part et surtout pas au Maroc. Les « champions nationaux » sont bien là, ont construit des fortunes mais le stock de Marocains sous le seuil de la pauvreté n’a pas baissé. Malgré toutes les incitations, nos entreprises sont peu compétitives sur les marchés internationaux. L’artisanat, véritable vivier de l’emploi, est à l’abandon. Les problématiques s’amoncellent et il ne peut y avoir de solution que d’ordre systémique.
Le doute qui s’installe est dangereux, seule une vision peut ramener l’optimisme premier ingrédient des facteurs de croissance. Pour y arriver il faut redéfinir le rôle de l’Etat, en dehors des lubies ultra-libérales et des dogmes mondialistes.