La somnolence, ce danger qui vous guette au volant
Somnoler occasionnellement, n’indique pas nécessairement une maladie sous-jacente. En revanche, que cela se produise lorsque l’on se retrouve au volant de son véhicule peut engendrer un accident de la circulation. Justement, la somnolence constitue la première cause de mortalité sur le réseau autoroutier. Comment expliquer ce phénomène d’endormissement ? Peut-on en atténuer les effets? Tel est l’objet du présent article pour lequel un spécialiste issu d’une équipe scientifique suisse, à savoir le Capt. Edward E. Barbey, nous livre son appréciation et ses explications sur ce phénomène physiologique et les conséquences qui en résultent sur tout un chacun.
Nombreuses sont les études qui en attestent: le facteur humain est responsable à plus de 90% des accidents de la circulation. Et les causes sont multiples! Nous en faisions l’écho précédemment dans un article relatif à l’usage du téléphone portable au volant. La vitesse excessive, l’alcoolémie, la fatigue ou la somnolence, sont autant de facteurs d’accidents. Précisément, pour que le message de sensibilisation lié à la sécurité routière ait plus de portée, il est intéressant d’envisager une nouvelle approche plus axée sur la science et s’appuyant sur un modèle pédagogique standardisé et simplifié du cerveau, afin que les phénomènes physiologiques ou psychologiques pouvant impacter sur la performance mentale et la sécurité puissent être non seulement compris, mais surtout pris en compte sans que cela ne requière des connaissances médicales particulières. C’est d’ailleurs ce que propose le MACOPS©, une nouvelle approche scientifique et modélisée que nous dévoile, au fil de ses articles, Edward E. Barbey team leader de l’équipe CS2R Swiss Team du laboratoire de neurosciences de l’université de Fribourg en suisse et dont il en est le concepteur.
Des chiffres évocateurs
Selon une enquête de la Fondation Vinci Autoroutes publiée en novembre 2019 et intitulée «Le premier baromètre marocain de la conduite responsable», 28% des conducteurs du Royaume reconnaissent avoir déjà eu l’impression de s’être assoupis durant quelques secondes au volant. 23% d’entre eux avouent avoir empiété sur la bande d’arrêt d’urgence ou sur le bas-côté à cause d’un moment d’inattention ou d’assoupissement. 55% admettent s’être déjà sentis très fatigués, mais ont tout de même pris le volant. Enfin, 39% identifient la somnolence comme l’une des principales causes d’accidents mortels sur les autoroutes.
Tenir compte de la pénibilité opérationnelle
«Qu’il s’agisse de somnolence, de fatigue, de porte d’endormissement ou de micro-sommeil, le niveau de vigilance requis, ou le mode attentionnel requis, répond à postulat que nous appelons dans le MACOPS© la pénibilité opérationnelle», nous explique Edward Barbey. Et de poursuivre: «prises en compte individuellement ou collectivement, ces notions s’intègrent dans ce que l’on appelle les facultés opérationnelles affaiblies». Concrètement, la durée d’éveil prolongé crée un effet de pénibilité conduisant à un état de fatigue pouvant être sévère dès lors que l’on se retrouve au volant, et met évidemment la vie du conducteur en péril. Or, toujours selon M. Barbey, le processus du traitement de l’information nécessite des ressources attentionnelles et elles ne sont pas illimitées, bien au contraire. Car, si l’autonomie de l’éveil efficiente se situe de 12 à 17 heures de temps de service maximal pour le personnel navigant d’un avion par exemple, l’autonomie de la mémoire de travail à pleine capacité est de 40 à 45 minutes (c’est le cas d’un contrôleur aérien) devant son écran avec un trafic dense. Des données valables également, s’agissant de la sécurité routière. Rappelons toutefois, que l’horloge biologique possède les fonctions clés de notre survie et génère un certain nombre de réactions biologiques régulées par des cycles, tels que le «circadien». Pour rappel, son centre se situe au niveau d’un organe à peine plus gros qu’un petit pois, à savoir l’hypothalamus. Ce dernier gère plusieurs mécanismes de notre corps, dont le stress, la reproduction, la faim, la soif, les ondes cérébrales, la thermorégulation et bien entendu, l’éveil et le sommeil.
Le niveau de vigilance «opérant» qu’il faut avoir
Ce niveau correspond à un état d’éveil complet, son autonomie se voyant influencée par la pénibilité opérationnelle ou «Operational Arduousness». La performance mentale est à son pic en soirée (acrophase) entre 19 à 21 heures et à son plus bas sous l’effet de la mélatonine (hormone de l’endormissement) en fin de nuit entre 4 à 6 heures (batyphase) (Fig: 1). Edward Barbey nous précise son propos : «vous savez, il n’y a pas de mystère ! La clé de sécurité par rapport au risque de somnolence et d’endormissement au volant n’est autre qu’un bon sommeil de nuit complet et réparateur de 6 à 8 heures par jour en moyenne, tout en n’étant pas sous certaines médications ou sous l’emprise de substances». Pour ce qui est du niveau de vigilance «opérant», l’autonomie se situe entre 12 heures en période de nuit et 17 heures en période de jour. Toutefois, des conditions routières et météorologiques difficiles peuvent diminuer cette autonomie ! Et si l’on se réfère au mode attentionnel «activé», l’autonomie se situe entre 90 min de nuit et 150 min de jour, raison pour laquelle il est recommandé d’effectuer une pause comprise entre 2h00 et 2h30, notamment lors d’un long trajet autoroutier.
L’état de fatigue, une conséquence de l’effet de pénibilité
La fatigue représente un sérieux risque pour la sécurité opérationnelle. À titre d’exemple, une compagnie aérienne ou un organisme de contrôle aérien, gère le risque fatigue sur la base d’un système intitulé «Fatigue Risk Management System (FRMS)», un document de l’AOCI (9966), régulant les périodes en fonction «duty time» et les périodes de repos «rest time». Toutefois les notions d’heures et de fatigue seules, ne suffisent plus pour évaluer le risque. Une nouvelle notion, de «pénibilité opérationnelle» se situant bien en amont a été conceptualisée et mise au point en 2017 par Edward Barbey. Après avoir mené une étude scientifique «in situ» en poste de pilotage sur plusieurs centaines d’heures de vol de nuit, ce dernier suggère aux instances et autres opérateurs d’inclure dans l’équation cette notion «Operational Ardoudness©», laquelle prend en compte les facteurs endogènes et exogènes. Il est donc crucial de faire la distinction entre pénibilité opérationnelle et fatigue, insiste M. Barbey.
Faut-il préciser que pour la même durée d’éveil continu, l’effet de pénibilité consistant à demeurer éveillé durant 17 heures en continu, ne sera pas le même selon l’heure à laquelle débute l’heure du réveil. Si cette période débute à 6h00 du matin et se prolonge jusqu’à 23h00 le soir, le niveau de pénibilité sera de l’ordre de 4.6 sur l’échelle de Barbey & Missonnier, alors qu’en débutant à 15h00 et en se prolongeant jusqu’au lendemain à 8h00, elle s’élèvera à 8.2 (Fig. 2). Il faut être particulièrement attentif à ces «signes observables» lors de la conduite (Fig.3). Au-delà de cette durée, vous allez irrémédiablement manquer deux portes d’endormissement, une qui exposera au micro-sommeil automatique. Les portes se situent entre 14 et 15 heures, 22 heures et minuit et de 4h00 à 6h00 du matin.(Fig,4) Si vous ressentez des signes précurseurs d’assoupissement (Fig.3), mettez à profit la prochaine pause et pensez à bien aérer votre véhicule en évitant les températures excessives. Et M. Barbey de conclure : «nous savons tous qu’il est dangereux de conduire en étant fatigué, car nos temps de réaction sont altérés, et ce, jusqu’à nous endormir au volant. Mais les effets plus subtils de la privation de sommeil sur la sécurité ne sont malheureusement pas suffisamment pris en compte par le grand public».