Dossier

La transparence budgétaire au coeur des réformes de l’Etat

La réforme budgétaire des finances publiques est au cœur de la stratégie de modernisation adoptée par l’Etat. C’est la signification profonde de la Loi organique des finances (LOF) dont la mise en œuvre a été entamée en 2016, avec une phase transitoire qui prend fin cette année.

La transparence budgétaire de l’Etat constitue le socle effectif pour pouvoir ancrer solidement la confiance des citoyens et les réconcilier avec la politique. 

Au départ, il a fallu presque 15 ans pour réformer l’ancienne Loi organique des finances régissant les finances publiques de l’Etat et datant de 1998. En effet, depuis 2001, a commencé à être expérimentée dans certains ministères la réforme du processus budgétaire sur la base d’une nouvelle approche basée sur les résultats.

Cette réforme s’est appuyée sur la globalisation des crédits, la déconcentration budgétaire et le contrôle modulé de la dépense, auxquels se sont ajoutés l’intégration de la dimension genre, en rapport avec les engagements internationaux du Royaume, la mise en place de nouveaux systèmes d’information, la gestion intégrée des dépenses, le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT)  et l’audit de performance. C’est là un chantier stratégique et déterminant dans la réforme de l’ensemble de l’Etat.

Mais c’est surtout, à partir de 2011 que les réformes vont s’accélérer avec l’adoption de la nouvelle Constitution et l’introduction de nouveaux principes constitutionnels encadrant les finances publiques. Tout en maintenant le principe de préservation de l’équilibre des finances de l’Etat, de nouveaux mécanismes vont dans le sens du renforcement de la transparence, de la participation et de la bonne gouvernance. De même, le rôle du Parlement sera renforcé à travers le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Pour la première fois, le projet de la LOF sera élaboré, dès le début, en étroite collaboration avec les deux Chambres de l’instance parlementaire. Un travail intense de vulgarisation et de sensibilisation sera mené avant le dépôt officiel du projet de LOF au niveau du Parlement, le 5 février 2014. Ce projet sera adopté le 24 novembre 2015, mais le Conseil Constitutionnel (CC) demandera au pouvoir législatif de revoir la copie du texte adopté. Après intégration des modifications nécessaires pour se conformer à la décision du CC, ledit projet de la LOF sera définitivement adopté, le 28 avril 2015, avec promulgation le 2 juin 2015, suivi de l’adoption d’un décret d’application, le 15 juillet 2015.

La première année d’application de la LOF 2015 sera donc l’année 2016. Tout en reconduisant les principes budgétaires classiques, à savoir l’annualité, l’unité, l’universalité et la spécialité, vont être adoptés de nouveaux principes budgétaires modernes : la sincérité, la transparence, la performance, la responsabilité, l’équilibre et la stabilité.

Ce processus de réforme budgétaire n’est pas propre au Maroc. Nombreux sont les Etats dans le monde à l’avoir entamé dès les années 1980. Il est question non pas seulement d’évoluer vers «moins d’Etat», mais vers une «meilleure qualité de l’Etat ».

Trois principaux axes ou leviers pour une transparence budgétaire de l’Etat ont été fixés : le renforcement de la performance de la gestion publique ; la consécration des principes et règles financiers et le renforcement de la transparence des finances publiques ; l’accroissement du rôle du Parlement et de son contrôle sur les finances publiques. 

Ainsi le nouveau mécanisme d’assouplissement en rapport avec la performance de la gestion publique, a trait à la programmation pluriannuelle, avec quatre objectifs : clarifier la vision stratégique à moyen terme du gouvernement pour la réalisation des objectifs définis ; fixer les priorités des politiques publiques et les mettre en cohérence ; améliorer les conditions de préparation de la Loi de finances, et permettre aux gestionnaires de disposer d’une meilleure visibilité dans la gestion des programmes, tout en fournissant un outil de pilotage des dépenses publiques. La gestion budgétaire axée sur les résultats exige une refonte de la nomenclature budgétaire. Pour cela, l’Etat passe d’une approche normative des dépenses (articles, paragraphes, lignes) à une nouvelle classification structurée autour des programmes déclinés en projets/actions, avec la mise en exergue de la dimension régionale. Cette nouvelle démarche budgétaire s’inspire de celle prévalant dans le secteur privé sans pour autant la transposer mécaniquement. Les «programmes » doivent être une déclinaison de la stratégie sectorielle avec une perspective pluriannuelle. Les objectifs doivent être représentatifs des aspects essentiels du programme et mesurables, en termes de résultats à atteindre. Enfin, la définition d’indicateurs doit permettre l’appréciation de la performance. Au lieu de «contrôler » la conformité des dépenses, il sera plutôt question d’«évaluer » la performance des dépenses à travers les résultats atteints. La gestion des crédits devient plus souple, avec une liberté de redéploiement des crédits entre projets/actions d’un même programme et d’une même région ou entre lignes budgétaires d’un même projet/action. De même, pourront être redéployés sans limite, les crédits entre régions pour un même programme, mais avec un accord préalable du ministère de l’économie et des finances (MEF). Entre programmes, le redéploiement est aussi possible, mais plafonné à 10% et avec accord préalable du MEF. 

En effet, chaque ministère doit élaborer un projet de performance pour accompagner le projet de budget sectoriel. Ce projet doit refléter la stratégie du ministère déclinée en programmes avec allocation respective des crédits. Pour chaque programme, doivent être définis les objectifs, les responsables des programmes et les indicateurs de performance. Ensuite, chaque ministère doit procéder à l’élaboration d’un rapport permettant une comparaison entre les réalisations et les objectifs définis au départ, avec une analyse explicative des écarts constatés. L’ensemble des rapports devront ensuite être consolidés dans un rapport annuel de performance par le MEF et présenté au Parlement à l’occasion de l’examen du projet de règlement de la Loi de finances (LF). L’inspection générale des finances, en coordination avec les inspections générales des ministères, devra, à son tour, élaborer un «rapport d’audit de performance», sur la base d’une appréciation des dispositifs des systèmes de contrôle interne, de l’analyse des programmes, des actions engagées et des résultats atteints.

Par ailleurs, de nouvelles règles financières ont été introduites pour la maitrise de l’équilibre budgétaire. En effet, dorénavant, il est interdit d’inscrire les dépenses de fonctionnement dans le budget d’investissement et vice-versa, et le report de crédit est plafonné à 30%. Pour les dépenses relatives au personnel de l’Etat, les crédits ouverts sont limités et les cotisations de l’Etat, au titre de la prévoyance sociale et de la retraite, doivent être intégrées dans les dépenses du personnel ; les révisions de salaires doivent être préalablement évaluées et autorisées par la LF de l’année, avec possibilité de redéploiement des postes. Enfin, au niveau des recettes fiscales, un chapitre relatif aux remboursements, dégrèvements et restitutions fiscaux, va permettre une ventilation desdites recettes en brut et en net. Les «charges communes» ne seront plus un «fourre-tout», dans la mesure où leur nature sera définie et détaillée. La création et le mode de gestion des services de l’Etat gérés de manière autonome (SEGMA) seront rationalisés, avec notamment l’interdiction de versement d’un SEGMA vers un autre SEGMA ou Compte spécial du Trésor (CST). C’est aussi le cas des CST dont le nombre devra être réduit par fusion ou suppression, avec des conditions strictes de création.

La sincérité budgétaire corrélée à la sincérité comptable devra être renforcée par l’application rigoureuse de six principes : 1. La pertinence des hypothèses présidant à la préparation du projet de LF ; la régularité des comptes de l’Etat et leur sincérité pour donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière. 2. En cas de variations significatives des données initiales, des priorités et des hypothèses de départ, le gouvernement doit présenter une LF rectificative. 3. La consécration de la comptabilité budgétaire. 4. La mise en place de la comptabilité générale : inventaire du patrimoine de l’Etat et de ses dettes, et suivi de son évolution. 5. L’introduction d’une comptabilité d’analyse des coûts permettant la connaissance du coût réel des politiques publiques et l’appréciation de leur performance. 6. La certification par la Cour des Comptes de la régularité et de la sincérité des comptes de l’Etat.

La LOF est entrée en vigueur le 1er janvier 2016, avec une mise en œuvre progressive s’étalant sur 5 ans. L’année 2020 devrait être une année d’évaluation de cette mise en œuvre. En 2018, a été prévue la mise en place d’une comptabilité générale. Or, celle-ci dépend étroitement de l’adhésion et de la collaboration effective de l’ensemble des ministères. De même, au cours de cette même année, doit être mis en place le pilotage par les objectifs et les indicateurs de performance. En 2019, c’est l’application de la programmation pluriannuelle. Enfin, en 2020, la mise en place de la comptabilité analytique doit permettre à la Cour des Comptes d’apprécier le coût réel de l’action étatique et de procéder à la certification des comptes de l’Etat et à l’IGF d’établir un rapport d’audit de performance. L’application rigoureuse et exhaustive de la LOF devrait permettre à chaque citoyen de connaitre ce que possède l’Etat, comment sont collectés les impôts, ce qu’emprunte l’Etat, et comment sont effectuées les dépenses. C’est là un nouveau rendez-vous déterminant à ne pas rater pour pouvoir donner une assise solide au «prochain nouveau-né» tant attendu collectivement lors du «prochain accouchement» de «dame commission chargée du nouveau modèle de développement».

 
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