Le chômage peut ne pas être une fatalité
Indicateur de prospérité ou de déclin, de croissance ou de repli économique et régulateur de l’équilibre social, le taux de chômage est, depuis longtemps, au centre de tous les programmes politiques.
par Driss alandaloussi
Compter le nombre de personnes ayant l’âge de travailler et ne pouvant déployer leurs capacités pour accéder à un revenu qui peut leur assurer une vie décente, est une tâche difficile et surtout un moyen de mesurer les décalages entre le discours, les valeurs, les promesses et la réalité économique. Au Maroc , la création d’emplois est devenue une priorité et une raison d’être des programmes sectoriels et des politiques publiques présentés par le gouvernement comme étant des solutions fiables et pérennes pour sortir de la léthargie de la sous-production des postes d’emplois par notre économie. Scruter les statistiques du HCP sur le nombre des chômeurs est devenu un moment politique qui fait basculer les discours et les ardeurs des politiques.
Faible taux de croissance et marché de l’emploi
Lorsqu’on scrute les chiffres des créations d’emplois dans les différents secteurs de notre économie, on est frappé par notre faible capacité à ouvrir les portes de l’activité génératrice de revenus à nos jeunes et aussi à nos moins jeunes et surtout aux femmes. Entre 2000 et 2010, les créations annuelles d’emplois se sont situées à environ 156 000, faisant ainsi passer le nombre d’emplois de 8 ,845 à 10, 405 millions. La création d’emplois durant les quatre dernières années, a sensiblement diminué par rapport à la décennie (2000-2010) et ce, malgré le lancement d’un certain nombre de plans sectoriels dans les domaines de l’industrie, de l’agriculture et du tourisme. Les derniers chiffres du HCP ne sont pas rassurants. La population active occupée n’a évolué entre 2013 et 2014 que de 0,2%. Ces contre-performances sont loin des objectifs du gouvernement. Le passage du taux de chômage de 9,2% à 9,9% ne peut que susciter l’inquiétude des jeunes et notamment, des diplômés parmi eux. Faire baisser le chômage est encore loin des objectifs tracés, à savoir 6% en 2016. Les dépenses publiques visant à stimuler le marché de l’emploi sont énormes. Les subventions et les dépenses fiscales sont injectées en milliards de DH dans tous les plans stratégiques. Les résultats se font attendre tant dans le secteur secondaire, que dans le secteur primaire. Les taux de croissance qui doivent être enregistrés par notre économie doivent rompre avec le rythme actuel, pour rendre possible un réel changement du niveau de création d’emplois. Le taux prévu pour 2015 à savoir 4,5 % pourrait être dépassé, mais resterait sans réel impact sur le taux d’absorption des déficits d’employabilité de la population en âge d’activité. L’accélération des réformes et le bon pilotage des politiques publiques sont des facteurs déterminants dans la réalisation des performances en matière de création des richesses et des emplois. Une simple opération d’addition des objectifs des grands plans sectoriels en cours, fait apparaitre la possibilité de création de centaines de milliers de postes d’emplois. Les échéances pour l’atteinte des objectifs s’approchent pour le Plan Maroc Vert, les différents projets de l’émergence industrielle reformulés dans le Plan de l’Accélération (PAI), le plan Azur, le Maroc numérique…et les chiffres du chômage vont dans le sens inverse. La Turquie, qui semble emporter l’admiration de notre équipe dirigeante, a emprunté la voie de la réforme et a pu, de ce fait, être classée à la tête des pays du G 20 en matière de création d’emplois entre 2008 et 2011, selon l’organisation internationale du travail. Le ministre chargé du secteur et le gouvernement sont dans la phase de préparation de l’action pour redynamiser le marché. La réforme de l’ANAPEC, qui vient de connaître un changement au niveau de sa direction et la création de l’observatoire national de l’emploi. L’évaluation constante est aussi demandée pour les programmes IDMAJ, MOUKAWALATI et MOUBADARA. L’auto-entreprenariat a longtemps été présenté comme étant un levier dans la lutte contre le chômage et le secteur informel. Ses instruments sont en place et il ne reste que le pilotage et le suivi.
Le chômage est aussi une question de droit du travail
Les débats autour de la création d’emplois se sont ouverts sur de nouveaux horizons. Il n’est plus « tabou » de parler de la souplesse nécessaire dans la relation contractuelle entre l’entreprise et ses salariés. La CGEM, comme les syndicats sont dans une logique d’une nécessaire révision du code de travail. Ne plus avoir peur d’embaucher est un objectif que beaucoup d’entrepreneurs ne cachent plus. Les problèmes que vivent certaines entreprises sont, parfois, le fait d’une pratique syndicale dévastatrice. Certains professionnels de la grève enfoncent la fragilité des comptes de certaines unités industrielles ou même touristiques et arrivent à détruire le travail. De l’autre côté, certaines pratiques patronales figent le statut de l’employé dans la précarité et vont jusqu’à toucher aux droits des travailleurs et parfois à les exclure de la couverture sociale par manque de déclaration auprès de la CNSS. Il est plus qu’urgent de lancer le chantier de la réforme du code du travail dans la sérénité, en privilégiant la culture des compromis sociaux et en s’éloignant le plus possible des règlements des problèmes devant les tribunaux. La faute doit être grave et le formalisme respecté pour que le licenciement ne soit pas qualifié d’abusif, alors que le choix de quitter l’entreprise sans rendre compte, est une pratique courante et sans conséquences sur le salarié. Des équilibres sont à rechercher dans ce domaine et dans le total respect des droits de toutes les parties au contrat du travail, y compris le droit de grève qui doit être encadré par des textes d’application dont l’attente est devenue interminable.
La formation pour l’emploi : une voie vers l’entreprise
Tout le monde est unanime autour de la nécessité de réformer profondément notre système d’éducation et d’enseignement. La deuxième question d’intérêt stratégique, après la question de l’unité nationale est celle de notre système scolaire. Nous avons réalisé des avancées très importantes dans la construction des ponts entre la formation et le marché du travail à travers une politique judicieuse de la formation professionnelle. 370 000 élèves et étudiants sont accueillis dans les différentes institutions de l’OFPPT. Les effectifs de cette institution publique de formation ont enregistré une évolution de 543% entre 2002-2003 et 2014-2015. Les lauréats de cette filière enregistrent un accès facile au marché du travail et sont très recherchés par les unités industrielles et même celles relevant du secteur tertiaire. Nous courons derrière les investisseurs et nous confectionnons des plans pour s’inscrire dans la vraie émergence et ceci, constitue un élément positif. Mais il est aussi primordial de renforcer les structures de la formation professionnelle et d’opérer les équilibres nécessaires entre le système général de l’enseignement et le système de la formation professionnelle, en les inscrivant dans une logique de complémentarité à travers des passerelles très larges.
Croissance et culture entrepreneuriale
La croissance économique est d’abord une volonté des politiques et des instruments dont l’évaluation est possible. Cette volonté doit d’abord aller dans le sens de la fondation d’une nouvelle culture entrepreneuriale, seule source de l’innovation et de la vraie émergence. Cette culture est tout autant l’affaire du gouvernement, que de la banque et du syndicat. La culture de l’entreprenariat est le contrepoids à la culture de l’assistance et à celle encore plus nocive de la confrontation des partenaires sociaux. Le compromis historique qui fait la spécificité de la gestion allemande publique et privée, permet de gratifier les efforts des salariés en période de croissance et de partager avec eux le poids durant les périodes difficiles. Casser l’instrument du travail n’est bénéfique ni pour l’investisseur et encore moins pour le salarié. C’est pour ces raisons que des assises du travail doivent être prévues pour tracer un cadre à long terme ,associant les partenaires sociaux et au-delà, la société civile et les institutions internationales spécialisées.