Le déficit sauvé par Maroc Telecom
Le déficit budgétaire à fin mai 2014 est nettement plus important qu’une année auparavant. Cette situation s’explique en partie par une baisse des recettes de monopole qui tardent à être versées par les entités concernées. Mais, elle aurait pu être plus délicate n’eut été l’amélioration de l’impôt sur les sociétés notamment grâce à la cession de Maroc Telecom par Vivendi qui a donné lieu à une forte plus-value. De même, le budget a bénéficié de l’amende transactionnelle payée par Maroc Telecom dans le cadre de son redressement fiscal.
S’il y a un indicateur que suivent les observateurs concernant la santé du Trésor public, c’est bien le déficit budgétaire. Même si grâce au recours régulier à l’endettement, les finances publiques gardent leur équilibre, le déficit budgétaire persiste. Il s’aggrave même un peu, du fait essentiellement du retard enregistré dans l’encaissement de certaines recettes.
En effet, d’après les dernières statistiques de la Trésorerie générale du Royaume (TGR), à fin mai 2014, le déficit budgétaire a atteint 33 milliards de dirhams, contre 29,1 milliards de dirhams, pour la même période de l’année précédente. S’agit-il d’un creusement du déficit ? Oui, mais pas tout à fait. Puisque la réalité est un peu plus complexe. En effet, Il faut déjà commencer par noter que l’Etat n’est plus ce mauvais payeur qu’il était l’année dernière. En effet, les ordres de paiement en instance de visa et de règlement ne sont que de 1,4 milliard de dirhams, contre 3,6 milliards l’année précédente. Il s’agit donc d’une différence de 2,2 milliards de dirhams mise en attente de paiement qui aurait réduit ce déficit budgétaire à fin mai de 2,2 milliards de dirhams, et l’aurait donc porté à 30,8 au lieu de 33 milliards de dirhams. Mais, en même temps, si le Trésor a pu mieux honorer ses engagements vis-à-vis des fournisseurs et prestataires de l’Etat, c’est également parce que les dons ont été un peu plus importants que pour la même période de 2013. En effet, l’Etat a bien reçu 2,29 milliards de dirhams de dons des pays du Golfe. Alors qu’au même moment en 2013, le Trésor marocain n’avait encore rien reçu au titre de tels dons. C’est dire que la véritable raison tient au solde ordinaire du budget.
Car, ce déficit est surtout la résultante d’une situation dans laquelle les recettes sont nettement moins importantes que les dépenses. Et concernant les recettes ordinaires, il faut faire la différence entre les recettes fiscales qui s’améliorent de 3,1% et les recettes non fiscales qui chutent de 35% par rapport à la même période de l’année précédente. Ainsi, les recettes fiscales cumulent un total de 72 milliards de dirhams à fin mai 2014, contre 69,9 milliards de dirhams à fin mai 2013. Cette nette amélioration s’explique par la bonne tenue de l’impôt sur les sociétés (IS). Peut-on y voir le signe que la reprise de l’activité économique est bien actée, puisque l’IS a fait un bond de 15,9% passant de 13,8 à 16 milliards de dirhams ?
En réalité, cette forte augmentation de l’IS s’explique par plusieurs recettes exceptionnelles, toutes liées à Maroc Telecom. En effet, il y a d’abord eu le redressement dont l’opérateur de télécommunications a fait l’objet et qui porte sur plus d’un milliard de dirhams. De même, la cession de la participation du Français Vivendi à l’Emirati Etisalat a donné lieu à une retenue à la source au titre de l’impôt sur la plus-value de cession.
Ces deux versements ont même pu compenser la forte baisse des impôts de ces gros contribuables. Car, faut-il le rappeler, la conjoncture a touché OCP Group qui a réalisé un résultat nettement moins important en 2013 qu’en 2012. Le résultat net 2013 n’a été que de 7,1 milliards de dirhams contre 13,6 milliards de dirhams en 2012. Cela donne bien une idée sur le manque à gagner du Trésor public concernant l’impôt sur le résultat d’OCP. Un manque à gagner de 1,6 milliard de dirhams, puisque le groupe minier avait effectivement payé pour 2012 quelque 3,76 milliards de dirhams d’IS, contre 2,10 milliards de dirhams pour 2013. Il faut qu’une partie de l’impôt sur les sociétés soit acquittée l’année qui suit sa réalisation. C’est ce qui explique que la baisse de l’impôt de 2013, vient impacter le budget 2014.
A côté de l’impôt sur les sociétés, on constate également la hausse des recettes de TVA à l’importation qui progressent de 1,6% et de la taxe intérieure de consommation (TIC) sur les produits énergétiques qui s’améliore de 14,4%. En revanche, les droits de douanes stricto-sensu poursuivent leur forte baisse et reculent de 3,1%.
Baisse des recettes de monopole
Les droits de douane ne sont pas les seules recettes à s’inscrire en forte baisse. En effet, les recettes non fiscales s’inscrivent en repli de 35,1%, une baisse qui résulte en grande partie de la diminution des recettes de monopole qui sont dix fois moins importantes pour les cinq premiers mois de l’année en cours qu’en 2013. En effet, au lieu de 4,29 milliards, le Trésor n’enregistre que 429 millions de dirhams de recettes de monopole.
Il convient de rappeler que ces recettes de monopole proviennent d’entités diverses comme Bank Al Maghrig, Maroc Telecom, OCP, l’Agence de la Conservation foncière, ou encore la CDG. Cette année, le budget 2014 a prévu quelque 10,84 milliards de dirhams, mais visiblement, les entités concernées ne sont pas encore disposées à payer. Il faut par exemple noter qu’OCP group devrait verser quelque 3 milliards de dirhams au titre du monopole, la Conservation foncière 2,5 milliards de dirhams, Maroc Telecom 1,9 milliard de dirhams et Bank Al Maghrib 894 millions de dirhams. Pour le moment seule la Banque Centrale a versé 329 millions de dirhams, les 100 millions restants proviennent d’entités diverses ayant également des recettes liées à l’exploitation d’un monopole.
Mais, même si les entités concernées par les recettes de monopole ne se sont pas encore acquittées des sommes prévues à fin mai 2014, cela ne saurait tarder. En effet, la moitié de la somme prévue dans le budget, soit un peu plus de 5 milliards de dirhams devrait prochainement faire l’objet de versement dans les comptes du Trésor. Cela permettra de soulager d’autant les caisses de l’Etat qui vient, faut-il le rappeler, de solliciter les marchés financiers pour se financer.
Cette situation des monopoles, pointe d’ailleurs l’un des problèmes du budget au début de l’année. Les dépenses sont réalisées dans leur grande majorité dès le début de l’année, alors que les recettes tardent à venir. Les contribuables, y compris ceux qui sont sous le contrôle entier de l’Etat, ne sont souvent pas enclins à verser les sommes dues avant l’échéance. Et s’il s’agit de dividende par exemple, cela peut davantage tarder, puisque c’est gérer en fonction de la trésorerie disponible de chaque entité.
Au niveau des dépenses, le retard n’est pratiquement jamais permis. Et 5 mois seulement se sont écoulés, mais les dépenses prévues dans le budget ont été réalisées à 43%. Les dépenses liées aux investissements et à la dette ont d’ailleurs un taux de réalisation de 49%. Ainsi, pour les investissements sur les 49,5 milliards de dirhams prévus dans le cadre du budget, 24,2 milliards, soit près de la moitié, ont déjà été émis. De même, pour la dette, sur les 57 milliards de dirhams projetés au titre du remboursement 27,8 milliards sont déjà émis, représentant aussi près de la moitié du budget affecté à la dette. Dans ces conditions, il est naturellement difficile d’avoir un équilibre budgétaire. Surtout que le ministre des Finances, Mohamed Boussaid met un point d’honneur à respecter les échéances de règlement. C’est qu’il soulignait récemment lors de sa rencontre avec la presse nationale et internationale, en affirmant que «c’est un devoir de régler les dépenses en temps et en heure».