Tribune et Débats

Le Maroc accélère son économie de la mer [Par Charaf Louhmadi]

Le Maroc dispose d’un emplacement géographique stratégique. Au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, le Royaume s’appuie entre autres sur deux secteurs clés et complémentaires : la mer et l’agriculture. L’économie de la mer y revêt donc un rôle central.

Cette dualité, maritime-agricole, rend le Maroc incontournable dans la région. Sa proximité géographique avec l’Europe, un de ses principaux partenaires économiques, représente un atout majeur. En outre, le volet maritime fera part et de manière croissante de l’ambitieuse politique marocaine d’investissement expansionniste en Afrique lors des prochaines décennies.

Le Royaume utilise pleinement ses larges côtes maritimes atlantique et méditerranéenne pour booster son économie. Des ports, dotés de moyens logistiques sophistiqués et dont certains rivalisent avec les premiers ports mondiaux, poussent aux quatre coins du pays.

Tanger Med : premier port d’Afrique et de Méditerranée

Le port Tanger Med est incontestablement une réussite. Ce hub portuaire donnant sur le détroit de Gibraltar se hisse à la 24ème position mondiale des ports à conteneurs, selon le classement d’Alphaliner. Premier port d’échanges conteneurisés de Méditerranée, il place ainsi le Royaume parmi les grandes nations maritimes. Inauguré en 2007 et situé à seulement 14 km de l’Europe, son positionnement géostratégique est central, la Méditerranée étant rappelons-le un carrefour de flux et de trafics maritimes et commerciaux.

Lire aussi | Tanger Med réalise un nouveau record avec plus de 7 millions de conteneurs en 2021

Tanger Med est bien plus qu’un simple port, c’est une zone industrialo-portuaire continentale avec la présence de fleurons de l’industrie, plus d’un millier d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires global de plusieurs milliards d’euros. Ce poumon de l’industrie portuaire marocaine, connecté à plus de 180 ports internationaux, a permis la création d’un peu moins de 100 000 emplois. On y retrouve notamment des antennes de leaders mondiaux du transport maritime, citons à titre d’exemple le français CMA-CGM ou encore le danois Maersk.

Cette vitrine du Royaume, leader au sein du bassin méditerranéen en termes de trafic de conteneurs, détient une capacité hors-normes : plus de 7 millions de passagers, près de deux millions de voitures et de camions et surtout, 9 millions de conteneurs ou «boîtes» pour utiliser leur nom d’usage. En outre, Tanger Med revêt une utilité particulière en ce qui concerne les exportations du Royaume, notamment de fruits et légumes vers l’Europe.

En 2021, 80% de la capacité maximale de conteneurs a été atteinte, soit plus de 7 millions de conteneurs, ce qui représente un record et une croissance de 24% par rapport à 2020. Cela démontre également le dynamisme engendré par les récents terminaux mis en place :  TC4 en 2019 puis TC3 en 2021. On dénombre également, sur la même année, un tonnage global, représentant 50% du tonnage national à hauteur de 101 millions de tonnes, soit une hausse de 25% par rapport à 2020. Les trafics des vracs solide et liquide sont également en hausse sur l’année 2021 : environ 343 mille tonnes de vrac solide, en hausse de 13% par rapport à 2020 et 8,7 millions de vrac liquide, soit +9% comparé à l’année précédente.

Lire aussi | Tanger Med. Une panoplie de services digitaux déjà disponibles

Tanger Med est à la fois un très grand port à l’échelle mondiale, mais également une locomotive pour les autres projets portuaires du Royaume, citons à titre d’illustration, Dakhla Atlantique, Nador West Med, le port de Safi entre autres. Le Maroc accentue sa volonté de leadership maritime dans la région à travers ces grands projets de construction de complexes portuaires.

Dakhla Atlantique : un pont stratégique vers l’Afrique de l’Ouest

Le Maroc se lance dans le chantier de l’ambitieuse construction du port de Dakhla Atlantique. Là encore, il s’agit d’un futur hub régional, aux portes de l’Afrique subsaharienne.  Ce projet d’ampleur dont la livraison est prévue à horizon 2030, pour un budget dépassant 12 milliards de dirhams, a vocation d’accentuer les IDE dans la région, le Royaume étant un des premiers pays d’Afrique en termes d’attrait des investissements étrangers.

L’entreprise marocaine SGTM chapeautera ce projet pharaonique. Celle-ci a remporté l’appel d’offres face au géant égyptien Arab Contractors ou encore au groupe français Eiffage. SGTM a par ailleurs participé à la construction de divers ports stratégiques du Royaume : Nador West Med ou encore le port de Safi.

Le nouveau port sera construit dans un rayon d’environ 40 km de Dakhla-Centre et s’étendra sur plus de 1650 hectares. Un des enjeux stratégiques du projet Dakhla Atlantique qui inclura un port de pêche, est le transport et la commercialisation des produits maritimes, car on sait que la région est particulièrement poissonneuse et offre une concentration halieutique largement au-dessus de la moyenne nationale. 

Lire aussi | Voici les risques auxquels le Maroc pourrait faire face [Banque mondiale]

Dakhla Atlantique sera également un hub industriel central dans la région-sud et attirera des entreprises marocaines et internationales. Cela permettra un dynamisme économique et une catalyse de création d’emplois dans la région Dakhla-Oued Eddahab qui dispose d’atouts considérables pour attirer à la fois investisseurs et talents. On assistera donc, à travers ce mégaprojet et dans les prochaines décennies, à un déplacement vers le sud du barycentre économique du Royaume, renforçant sa cohésion territoriale. Le Maroc confirme, par le biais de ce projet, à la fois une volonté de symétrie nord-sud en termes d’investissements et de rayonnement, un leadership régional et continental et in fine une perspective d’accélération de son développement économique.

Dakhla est une ville à fort potentiel touristique. Elle permet de relier mer et désert dans un cadre pittoresque. Le port-îlot actuel devrait se transformer en port de plaisance. Les sports nautiques s’y pratiquent et il y a possibilité de relier la ville aux îles voisines à travers des croisières.  De nombreux hôtels poussent et tout laisse à penser que ces investissements hôteliers seront extrêmement rentables dans les prochaines décennies.

Lire aussi | Cryptomonnaies. Le marché encaisse une perte de 1000 milliards de Dollars après le crash du Bitcoin

Les travaux et le chantier Dakhla-Atlantique coïncident avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2021 du projet de la «Zone de libre-échange continentale africaine» dénommée ZLECAF, dispositif contenant plus de 54 États signataires, dont le Maroc, qui permettra de faciliter les échanges commerciaux intracontinentaux et par ricochet baisser les coûts du fret entre pays africains, en l’état particulièrement élevés. 

Le futur grand port de Dakhla jouera fort probablement un rôle central et permettra, grâce à son positionnement stratégique, de desservir les autres grands ports du continent, en l’occurrence béninois et togolais, et de renforcer les échanges commerciaux intracontinentaux qui en l’état sont largement en deçà des niveaux observés sur d’autres continents. Ceci s’explique essentiellement par des déficiences observées au niveau des infrastructures ainsi que des taxes particulièrement élevées appliquées interpays.

L’Afrique représente aujourd’hui un marché de plus d’un milliard d’individus, avec à l’avenir, un très fort potentiel démographique : on estime que d’ici 2050, la population devrait doubler. Celle-ci est essentiellement jeune et le coût de la main-d’œuvre est inférieur à celui observé sur d’autres continents. Ces éléments auxquels on ajoute l’instauration de la ZLECAF devraient naturellement attirer de plus en plus d’investisseurs dans les prochaines décennies et Dakhla, muni de son futur port, se positionne d’ores et déjà comme un point d’entrée vers cet Eldorado africain.

Lire aussi | Le Datacenter du ministère de l’Economie et des Finances certifié “Tier III” d’Uptime Institute

Avec la baisse des couts du fret ainsi que la levée des barrières douanières, le port de Dakhla devrait accroitre les niveaux d’importation et d’exportation du Royaume avec le continent africain, les deux étant actuellement et respectivement en dessous de 4% des niveaux d’échanges à l’échelle mondiale.

Le projet Dakhla Atlantique est également intéressant sur le volet écologique. Pour cause, la ville dispose d’un taux d’ensoleillement important dépassant les 300 jours par an et d’une vitesse du vent supérieure aux moyennes nationales. Ceci permettra de produire proprement en utilisant des énergies renouvelables décarbonées et d’attirer des investisseurs internationaux sensibles aux enjeux écologiques.

Nador West Med, l’autre grand port au nord du pays

Le Maroc renforce sa présence maritime en méditerranée, en entamant, dès l’année 2012, le projet de construction du port Nador West Med. Situé à 20 km de la ville de Nador et à 350 km à l’est du port Tanger Med, Nador West Med, dont le coût de construction est estimé à 932 millions d’euros, fera transiter plus de 3 millions de conteneurs.

Tout comme Tanger Med, le port de Nador, qui s’étale sur une zone de plus de 1500 hectares, ambitionne d’être à son tour un hub industrialo-logistique, autour duquel orbiteront des acteurs majeurs de l’industrie marocaine et internationale. Ont participé au financement de ce port, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, la Banque Africaine de développement ainsi que le Fonds Arabe pour le Développement Economique. L’entreprise SGTM, désormais experte en mégaprojets portuaires, à l’image des ports de Safi et du futur complexe portuaire de Dakhla, a activement participé aux travaux de construction. La fin des travaux, et par conséquent la livraison du port Nador West Med, est prévue pour fin 2022.

Le Maroc emprunte les «Nouvelles routes de la soie»

Les relations sino-marocaines sont passées à la vitesse supérieure en début d’année 2022. Les deux pays ont signé le 5 janvier une convention dans le cadre du projet mondial chinois des « Nouvelles routes de la soie », lancé en 2013 et visant à renforcer les voies du commerce notamment entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Le Maroc a été le premier pays du Maghreb à rejoindre ce projet en 2017. Selon Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Marocains résidant à l’étranger, les échanges bilatéraux ont bondi de 50% en cinq ans et sont évalués à plus de 6 millions de dollars en 2021.

Ces nouvelles routes de la soie permettront d’une part l’accès aux financements et le développement de l’investissement chinois dans le Royaume, et d’autre part, l’intensification des partenariats entre entreprises marocaines et chinoises. Cela se traduit par des constructions potentielles de ports internationaux, de lignes de chemin de fer, de plateformes industrielles. La dimension maritime occupe une place fondamentale dans ces routes de la soie.

Lire aussi | Le Maroc, premier pays de destination de l’émigration française en Afrique

L’empire du Milieu rivalise aujourd’hui et plus que jamais avec les États-Unis, la guerre commerciale entre les deux titans se fait ressentir à l’échelle mondiale. La Chine ambitionne de devenir dès les prochaines décennies la première puissance mondiale. Le Maroc par son positionnement stratégique et son emplacement géographique aux portes de l’Europe est un partenaire cible pour l’État chinois. Les côtes atlantiques marocaines ainsi que le golfe de Guinée représentent un axe sensible pour les intérêts économiques chinois dans la région. D’où encore une fois, tout l’intérêt stratégique du futur port Dakhla Atlantique.

La Chine a pignon sur rue en Afrique, en 2016, c’est déjà le premier pays partenaire économique du continent avec des échanges commerciaux à hauteur de 190 milliards de dollars. En 2017, on dénombre plus de 10 000 entreprises chinoises au sein du continent représentant près de 15% des investissements chinois à l’étranger.

En 2019, les échanges commerciaux ont sensiblement baissé, mais demeurent considérables : 187 milliards de dollars. En outre, la pandémie n’a pas freiné ces investissements chinois en Afrique ; en 2020, ces derniers sont valorisés à plus de 2,96 milliards de dollars, soit une hausse de 9,5% comparée à l’année 2019. Selon l’International Institute for Sustainable Development, l’empire du Milieu est le quatrième investisseur du continent.

Lire aussi | Afrique, nid d’espions. Quelle évaluation du Renseignement continental dans la lutte contre l’ingérence extérieure ?

Charaf Louhmadi est ingénieur financier au sein de Natixis France, auteur de l’ouvrage «Fragments d’histoire des crises financières» et intervenant au sein du pôle Léonard de Vinci, ainsi qu’à IMT Atlantique. Il publie des chroniques économiques et financières pour la presse espagnole et portugaise dans «RankiaPro Europe Magazine».

 
Article précédent

Le pain ou la maladie: l'étendue du dilemme marocain

Article suivant

Covid-19. La CIMR prend de nouvelles mesures pour accompagner ses adhérents