Le Maroc, pilier de l’archéologie mondiale ? [Par Charaf Louhmadi]
Les multiples découvertes des dernières années font du Maroc l’un des pays les plus importants en termes de recherche archéologique et préhistorique.
Les plus anciens outils de couture y ont été dégotés il y a quelques mois, dans la grotte des Contrebandiers, non loin de Rabat. Ces trésors archéologiques, qui ont été confectionnés avec des os, permettraient de dater les premiers comportements modernes chez l’Homo Sapiens.
Leur datation est estimée à environ 120 000 ans et ces derniers ont été utilisés pendant 30 000 ans. La revue américaine iScience précise que ces matériels de couture ont été volontairement conçus pour travailler le cuir et la fourrure. A cette découverte s’ajoute, à 400 km au sud de la grotte des Contrebandiers, une autre grotte, celle de « Bizmoune », proche d’Essaouira, contenant et révélant, elle, les plus anciennes traces de parures de l’Humanité. Des groupes de recherche marocains, français et américains, y ont découvert une trentaine de coquilles façonnées d’escargots marins, dont la datation se situe entre 142 000 et 150 000 ans. La revue américaine Advances confirme qu’il s’agit bien, à ce jour, des plus anciens outils de parure de l’histoire de l’Humanité.
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Enfin et non des moindres, le nouveau berceau de l’Humanité, le site de « Jebel Irhoud », situé à 55 km au sud-est de la ville de Safi, au sein duquel des équipes de spécialistes de l’institut marocain d’archéologie, accompagnés d’équipes de paléoanthropologues internationaux, ont découvert des restes d’Homo Sapiens remontant à 300 000 ans, soit les plus vieux du monde. Ces découvertes exceptionnelles, qui viennent bouleverser les acquis archéologiques mondiaux, ont été publiées dans la prestigieuse revue américaine « Nature » en Juin 2017.
Les hommes de Jebel Irhoud, découverts in situ sont de facto plus vieux qu’Omo 1 et Omo 2, les anciens doyens de l’histoire des Homo Sapiens, trouvés en Ethiopie et datés d’environ 195 000 ans. Les origines de l’espèce humaine Homo Sapiens proviennent donc du Maroc, ce qui fait indéniablement du Royaume un centre de gravité à l’échelle mondiale de la recherche archéologique et historique.
Le site de Jebel Irhoud s’il a été classé au patrimoine national du fait de son importance pour l’Humanité, pour les chercheurs et les archéologues, sera sans aucun doute classé patrimoine mondial de l’UNESCO dans les prochaines années.
La coopération archéologique entre le Maroc et l’Europe des plus opérantes dans de nombreux sites
La ville de Casablanca a connu depuis le début du 20ème siècle des travaux de construction et d’urbanisme conséquents. En 1907, les chantiers d’aménagement du port moderne permettent de nombreuses découvertes archéologiques. Des bifaces sont dénichés à « Sidi Abderrahman » et de nombreuses trouvailles paléontologiques y ont eu lieu.
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On retrouve par ailleurs à Casablanca, au sein de la cavité dénommée « Grotte des rhinocéros», les traces de la plus ancienne boucherie en grotte du continent africain, datant du début du Pléistocène moyen, soit de plus de 700 000 ans. Cette découverte sans précédent, qui montre l’importance de la matière archéologique retrouvée au sein du Royaume, est le fruit d’un travail conséquent de coordination et de recherche d’équipes marocaines et européennes réunissant entre autres les instituts suivants :
– L’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP)
– Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
– Le Muséum national de l’histoire naturelle (MHNH)
– Le Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology
– Les Universités de Bordeaux et Paul Valéry Montpellier 3
Sont ainsi retrouvés, au sein de cette cavité, des ossements animaux de zèbres et d’antilopes qui portent des traces de boucherie, des hachereaux, des bifaces et un reste humain. La Carrière Thomas, géographiquement proche de la ‘’grotte des rhinocéros’’, est connue depuis les années 1950 et suscite l’intérêt des archéologues à l’échelle internationale. Au sein de ce site « de plein air », ont été mis au jour les plus anciens Acheuléens d’Afrique du Nord (ensemble d’objets en pierre taillés et transformés intentionnellement par les humains), ces derniers datant de plus d’1.3 million d’années. Une découverte fondamentale, permettant de préciser et de rectifier la datation de la civilisation acheuléenne, que les archéologues estimaient antérieurement à 700 000 ans. La Carrière Thomas a permis également de mettre au jour une grotte à Hominidés datant du Pléistocène moyen ancien, soit environ 500 000 ans, contenant des restes humains mais pas de trace de feu.
Walili /Volubilis : le vestige romain patrimoine mondial de l’UNESCO.
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Les archéologues marocains et internationaux s’accordent sur l’importance historique de Volubilis, qualifiant cette ville ancestrale de joyaux archéologique antique le plus important du Royaume.
Célèbre par ses anciens thermes, ses mosaïques doublement millénaires et son arc de triomphe, «Walili» (de son nom berbère) est naturellement inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, la reconnaissance ayant eu lieu en 1997. L’ancienne capitale de Maurétanie, fondée 3 siècles avant notre ère, s’étend sur une superficie de 42 hectares, jouxtant les bords de la rivière «Oued Rhoumane» dans la périphérie de la ville impériale de Meknès, ce qui naturellement explique la végétation pittoresque encerclant les ruines. A quelques kilomètres, on retrouve également la ville sainte de « Moulay Driss Zerhoun », au sein de laquelle repose « Idriss 1er », fondateur de la dynastie des Idrissides.
Volubilis est d’abord punique, fondée sous l’empire Carthaginois, avant de rentrer dans le giron romain, époque où elle se développe d’un point de vue géographique et culturel. La ville connait ensuite un essor architectural au cours du 2ème siècle, qu’ont permis les richesses agricoles de la région, notamment la production d’agrumes et d’huile d’olive, expliquant ainsi le nombre conséquent de pressoirs d’huile retrouvés dans les ruines.
Ces évolutions architecturales datent de l’époque de la Maurétanie tingitane, province romaine dont le nom fait référence à sa capitale « Tingis » l’actuelle Tanger. La Maurétanie passe sous contrôle romain à la fin du règne de Caligula, qui élimina lui-même Ptolémée, dernier roi de Maurétanie. Au cours du premier siècle, l’empereur romain Claude procède au découpage de la Maurétanie en deux parties, la tingitane, dont fait partie Volubilis, et la césarienne couvrant l’Algérie actuelle. L’empire romain délaisse la cité à la fin du 3ème siècle mais celle-ci demeure habitée pendant 7 siècles.
On estime que plus de 15 000 romains peuplaient Volubilis au 3ème siècle, où, par ailleurs, sera fondée la dynastie Idrisside au cours du 8ème siècle avant d’être définitivement abandonnée au 11ème siècle au profit de la cité de Moulay Driss Zerhoun. Un tremblement de terre ravage la ville au 18ème siècle et des fragments de ruines sont utilisés dans les chantiers de construction et de rénovation de Meknès, à l’époque capitale du roi Alaouite Moulay Ismaïl.
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Les travaux de fouilles ont commencé en 1915, à l’époque du protectorat, et de nombreux objets ont été transportés en France métropolitaine. On retrouve, notamment au Louvre, des restes archéologiques de la cité antique. Les fouilles se poursuivent jusqu’à aujourd’hui et le site attire la curiosité d’archéologues des quatre coins du globe. Walili est aujourd’hui surveillée par un dispositif de haute sécurité, des équipes de gardiens se relayent 24 heures sur 24 pour sécuriser et protéger le site archéologique. Ce dernier abrite également un musée et attire plusieurs centaines de milliers de touristes par an, près de 300 000 en 2017.
De récentes fouilles archéologiques en vue de préserver le patrimoine judéo-marocain
Des fouilles archéologiques ont démarré en novembre 2021, dans la commune de Tamanart, province de Tata. L’objet de ces recherches archéologiques concerne la synagogue d’Aguerd, dont a pu être récupéré du matériel archéologique en vue de son étude et potentiellement de la restauration de ce lieu de culte.
Les prospections archéologiques, qui ont mené à une collecte de matériel significatif dont des fragments de manuscrits, ont été financées à la fois par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et par le centre Chaim Herzog pour les études et la diplomatie du Moyen-Orient de l’université Ben Gourion du Néguev. L’ensemble des travaux archéologiques ont été présentés fin novembre à Agadir, lors d’une conférence, en présence du wali de la région Souss-Massa.
Les explorations archéologiques, conjointement menées par l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat (INSAP) et l’université Ben Gourion de Néguev, s’inscrivent dans un programme de recherche, mobilisant anthropologues, archéologues, géographes et historiens, qui a pour but la préservation du patrimoine judéo-marocain des régions sahariennes et atlassiques du Royaume.
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Une deuxième fouille, qui a eu lieu au premier trimestre 2022, s’est achevée début mars et s’inscrit dans une continuité des travaux de la première prospection mais en élargissant le périmètre de recherches archéologiques intégrant ainsi la synagogue de Tagadirt, de la commune de Kasbat Sidi Abdellah ben M’barek. Les deux synagogues bénéficieront de travaux de reconstruction et de restauration d’urgence en vue de les protéger des intempéries. Une large enquête a été mise en place, auprès d’habitants actuels de ces communes du sud mais également d’habitants et de doyens qui ont vécu jadis dans ces anciens « mellahs ».
On ne saurait ne pas conclure en disant combien les richesses archéologiques dont recèle le Royaume si elles sont un patrimoine d’exception et si le Royaume est une terre des plus fécondes pour chercheurs archéologues et historiens, ce patrimoine, cette terre du Maroc, dans leur réalité, leurs perspectives, doivent avant tout inciter à la prise de conscience de tous, pour en être rigoureusement et jalousement les protecteurs, tout autant pour que l’histoire nous raconte le passé de l’Humanité que pour que cette Humanité sache d’où elle vient pour mieux comprendre où elle va.
Charaf Louhmadi est ingénieur financier au sein de Natixis France, auteur de l’ouvrage « Fragments d’histoire des crises financières » et intervenant au sein du pôle Léonard de Vinci, ainsi qu’à IMT Atlantique. Il publie des chroniques économiques et financières pour la presse espagnole et portugaise