Interview

«Le sac dégradable n’a pas d’avenir»

>> Moins de 3% d’entreprises de production de sacs de caisse seront capables de payer les amendes fixées par la loi. 

Challenge. Le gouvernement  a prévu, dans le cadre de la loi de Finances 2013, de mettre en place une écotaxe. Quel est l’impact sur le secteur? 
Nabil Saouaf. Le sac dégradable n’a plus d’avenir au Maroc pour l’unique et simple raison que notre gouvernement a en effet instauré cette écotaxe sur les produits en plastique. L’objectif est de financer la collecte, le tri et la valorisation de déchets plastiques dont fait partie le sac. En d’autres termes, cela pourrait induire au fait qu’on ne produise plus de sacs dégradables parce qu’ils contiennent des pro-oxydants qui peuvent contaminer les déchets plastiques et provoquer leur déstabilisation. Ce qui les rendrait sans valeur marchande et nécessiterait un investissement supplémentaire pour les stabiliser.  Le coût sera exorbitant. Ceci va par ailleurs priver les industriels du déchet plastique qui est une ressource chère et indispensable à la compétitivité de plusieurs sous secteurs de la plasturgie comme le plastique pour l’automobile, le bâtiment, l’irrigation …. 

C. Et qu’en est-il de la loi 22-10 interdisant la production de sacs en plastique non dégradables et biodégradables ? Elle est difficilement applicable. Pourquoi?
N.S. Cette loi a été promulguée dans des conditions très spécifiques. Personnellement, je ne pense pas que beaucoup de personnes soient surprises de son inapplicabilité. Selon moi, trois raisons l’expliquent. Premièrement, cette loi a introduit un nouveau produit au Maroc sans qu’aucune étude d’impact environnemental ne soit faite. Cela va à l’encontre de la loi sur les études d’impact. Le risque est qu’en l’absence d’études sérieuses et honnêtes, ce produit généralisé (NDLR: pro-oxydant) risque de nuire, par le principe de concentration biologique, à la biotope et la biomasse. Il fait apparaître même de nouvelles formes d’allergies chez l’homme du fait de l’épandage dans la nature des métaux lourds que contient le pro-oxydant. Deuxièmement, cette loi définit des exigences qui relèvent de l’expérimentation basée sur des extrapolations à la limite de la réalité du terrain et des aléas climatiques. Cette législation fait coïncider une exigence de conformité d’essais de laboratoires avec une exigence de comportement figé vis-à-vis des aléas environnementaux dans la nature quels que soient ces aléas. C’est une aberration. Dernièrement, la loi 22-10 est un cas d’école en matière de déséquilibres de responsabilité. Seuls les transformateurs et les détenteurs de sacs sont responsables en cas de non conformité  des sacs. Or, dans la chaîne de valeur, le responsable de la dégradation est censé être l’agent pro-oxydant. Son fournisseur n’a pourtant aucune responsabilité, n’a même pas une exigence obligatoire sur ses produits.  

C. Pourquoi les opérateurs, qui ne se conforment pas à la législation,  ne sont-ils pas sanctionnés ?  
N.S. Si la loi devait être appliquée, elle le devrait aussi pour l’informel. Malheureusement, cette frange de la population échappe à l’emprise du contribuable bien qu’elle constitue, sur certains marchés plus de 60%. Une étude a été réalisée dans ce sens et fait ressortir explicitement qu’un des principaux facteurs d’échec du passage vers le dégradable n’est autre que l’informel.  

C. Que représente-t-il justement ? 
N.S. Le secteur des sacs plastiques constitue une branche assez importante du secteur de la plasturgie. La production est de l’ordre de 120 mille tonnes et le C.A dépasse les 2 milliards de dirhams. Le nombre d’entreprises du secteur formel avoisine les 130, en majorité  des petites PME et des TPE. Le nombre d’unités dans l’informel est estimé à 110 dont 90% sont dans l’axe Kénitra/El Jadida.  

C. Quels sont alors les moyens de sanctions ? 
N.S. L’amende prévue par la loi 22-10 est de 500 000 à 1.000.000,00 de dirhams. Moins de 3% d’entreprises de production de sacs de caisse seront capables de payer une telle amende. Les 97% restants sont des TPE dont les patrons sont dans l’incapacité d’honorer ce niveau de montant. A mon sens, ceux qui ont fixé ces amendes l’ont fait par méconnaissance du tissu industriel.  

C. Quelle différence y a-t-il entre les prix des sacs en plastique classiques et ceux dégradables et biodégradables?
N.S. Le prix d’un sac dégradable est 2 à 4 dirhams plus cher que celui qui est « normal ».  Quant au sac biodégradable d’origine végétale, il est 2 à 2,5 fois plus cher que le sac «classique».  

C. Quel serait alors le coût de la transformation des produits en sacs biodégradables?
N.S. En Europe, un kilogramme de sacs dit biodégradables à base végétale est de l’ordre de 12 euros soit 125 dirhams. La technologie est légèrement différente et le Maroc ne dispose pas de machine pour ce genre de production. En plus, la matière première est rare sans parler d’éthique. A cela, s’ajoute un autre élément relatif à la biodégradabilité. Les sacs biodégradables ne le sont que dans des conditions maîtrisées et supposent une collecte via un tri. Par contre, les sacs dégradables ne sont pas obligatoirement biodégradables.  

C. Une convention avec quelques coopératives vient d’être signée pour la production de sacs « écolos » en toile. Un commentaire à
ce sujet ? 
N.S. Le montant de la convention est de 70 millions de dirhams en faveur de 150 coopératives. C’est une action louable dont l’objectif en premier lieu est de lancer ce concept de coopératives qui est à la base d’une économie nouvelle et qui a fait ses preuves dans des pays comme l’Inde, le Bangladesh. Maintenant, lancer des coopératives dans la fabrication de sacs en toile sous prétexte que c’est écologique, personnellement je ne pense pas que ce soit la meilleure chose. La quantité de trois millions de sacs est insignifiante (…) J’ajouterai que ces sacs en toile, une fois souillés, peuvent constituer un vecteur de contamination et être porteurs de certaines maladies dangereuses.  

C. Le sac en toile ne pourrait donc pas concurrencer le sac en plastique ? 
N.S. Personnellement,  je répondrai par la négative. L’expérience a été réalisée ailleurs et les résultats sont à la portée du grand public. Par contre, j’aurais espéré et dans un souci de pérennité de l’initiative, que de tels projets soient lancés dans des niches à forte rentabilité où la structure de coopérative soit un véritable levier dans le cadre d’un business model innovant associant coopératives et entreprises privées. Ceci, pour ne pas encore incriminer à postériori la coopérative et faire sa prière de l’absent.  

C. Avec la transformation des sacs en plastique, quel serait finalement le manque à gagner pour le secteur? 
N.S. Concernant le secteur, je n’ai pas d’évaluation précise à apporter. Mais devant ce cafouillage législatif, je pense que les dégâts seront ressentis au  niveau de l’industrie, de l’emploi, de la précarité  etc. La loi 22-10, comme elle se présente aujourd’hui, met en péril l’industrie. Son chiffre d’affaires risque de partir en fumée avec un passage logiquement probable à l’informel. D’un autre coté, une niche sera développée, celle du négoce du pro-oxydant qui peut être estimée au grand maximum à 300 millions de dirhams, entièrement importée dans le cas où quelques unités marocaines accepteraient de transformer et de produire des sacs de ce genre. Dans le cas contraire, tous nos sacs seront importés d’Asie avec un déficit supplémentaire de la balance commerciale de l’ordre de 2 milliards de dirhams entièrement en devises. Actuellement, les transformateurs qui fabriquent les sacs dégradables le font à la demande de leurs clients motivés par l’étiquette environnementale (Green-washing). Leur nombre  ne dépasse pas les doigts d’une main. Les fournisseurs de pro-oxydant au Maroc sont actuellement au nombre de cinq et ce chiffre risque de se multiplier par vingt, voire trente fois plus si le marché évolue. Il s’agit en fait d’un mélange de deux proportions, l’une métallique et l’autre organique. Cela se fait en l’absence de référentiels. 

 
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