Le Sahara en sables mouvants
Le Maroc semble depuis bien longtemps jouer la montre au Sahara, pensant bien à tort que le temps agit en sa faveur, alors qu’il n’a ni la maitrise du match où il est le principal protagoniste ni le soutien des spectateurs, dont beaucoup, ennuyés par son jeu, sont désormais prompts à se ranger plutôt derrière ses adversaires.
Il commet en effet trop d’erreurs, dont certaines flagrantes, pensant toujours qu’il joue avec les siens, et devant un public totalement acquis à sa cause.
Or, s’il y a une question au sujet de laquelle il est de plus en plus acculé, c’est bien celle du Sahara.
Et, de fait, les responsables marocains croient transposer à l’international des expédients dont ils pensent qu’ils représentent la bonne solution pour calmer les revendications de changement à l’interne, mais on découvre au fur et à mesure, à leur place, que la plupart des recettes qu’ils préconisent ne sont ni bonnes ni administrées à bon escient.
Cela, pour deux raisons essentielles au moins, dont le première tient au fait que toutes les capitales qui « comptent » pour nous – notamment celles des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité – connaissent exactement de quoi il s’agit et ce qu’il en est, par exemple, de la réforme constitutionnelle de juillet 2011 ou du rôle nouveau dévolu désormais au Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) et dont la seconde est que l’Algérie, et certains des pays qu’elle mobilise dans sa croisade continue contre le Maroc, soit l’Afrique du Sud, le Nigeria ou Cuba, par exemple, dispose d’une diplomatie aguerrie, dotée de moyens financiers et humains conséquents et, surtout, ne dévie jamais de la ligne qu’elle s’est tracée depuis des décennies, celle de montrer que la Sahara Occidental est le dernier problème de colonisation connu au monde, un territoire où, ose-t-elle soutenir, « l’armée marocaine opère comme le font les troupes israéliennes dans les territoires palestiniens occupés ».
Peu importe que le pouvoir algérien – qui a soutenu l’Espagne à propos de l’Îlot de Laïla en 2002 ou qui n’a jamais voulu que le Kosovo devienne indépendant ou qui a été le dernier soutien politique et militaire de l’ancien dictateur libyen, kadhafi – refuse toute velléité d’autodétermination à quelque frange de sa population que ce soit, notamment aux Kabyles. Peu importe que ce même pouvoir ait changé les résultats des urnes en 1989 et fait entrer le pays dans une guerre civile qui a duré près de 15 ans (et dont l’onde de choc n’arrête pas d’embraser l’ensemble de la région sahélienne) ou qu’il ait refusé toute forme d’ouverture en marge des mouvements du « printemps arabe » qui ont démarré au Maghreb, Alger apparaît toujours comme le chantre de la démocratie et du respect des droits de l’homme dans la région, comme son agent de stabilité majeur et comme la seule puissance régionale de poids dans cette partie de l’Afrique du Nord.
Tout cela, bien sûr, Alger – qui attend comme un loup en chasse que sa proie s’épuise pour lui donner le coup de grâce – ne le doit pas seulement aux réserves pétrolières, gazières et financières dont elle dispose, elle ne le doit pas uniquement à son entregent diplomatique ou à la force de sa société civile – inexistante, dans les faits – , elle ne le doit pas non plus au caractère vertueux de sa démarche, dont ses voisins du sud (Niger, Mali ou Burkina-Faso, par exemple) savent trop ce qu’il en coûte de ne pas la suivre, mais elle le doit d’abord aux erreurs propres du Maroc et aux errements de sa diplomatie.
Une énumération en ce sens serait fastidieuse. Nous nous limiterons à trois faits majeurs récents.
a/ L’affaire Aminatou Khaïdar, tout d’abord: partie d’une bêtise de bureaucrate borné, soit d’un formulaire rempli selon une façon qui a déplu à un policier de l’air et des frontières – qui aurait pu le déchirer immédiatement, le rectifier de lui-même ou le classer sans suite – cette « affaire » a provoqué une immense vague de soutien à une militante sahraouie qui serait restée connue seulement de quelques ONG internationales, mais à qui un service de sécurité tatillon va donner l’aura d’une égérie, et, dans tous les cas, de ceux qu’on brime y compris pour l’expression de leur identité. La question des droits de l’homme prenait ainsi forme au Sahara de la plus désagréable manière pour le Maroc.
b/ L’affaire Christopher Ross: à la sortie du printemps 2012, la diplomatie marocaine – « dirigée » désormais par un nouveau ministre des Affaires étrangères dont l’inexpérience le dispute à l’absence de charisme – va commettre un énorme double impair.
Elle demande dans un premier temps au représentant spécial des Nations Unies au Sahara – et accessoirement, citoyen des Etats-Unis d’Amérique, qui ne sont ni le Qatar ni Trinidad – de quitter le Maroc en ouvrant sur lui un feu médiatique sans retenue, le qualifiant d’acquis aux thèses séparatiste et algérienne. Cela provoque une colère froide à peine voilée des Américains. Ceux-ci n’auront besoin que de cela pour que le même Ross soit autorisé à revenir, quelques mois plus tard, là d’où il a été chassé, en posture de « Vice-visir » au Sahara. Et chacun de deviner que ses pouvoirs retrouvés n’auront plus d’égal que sa hargne supposée ou réelle vis-à-vis de notre pays qui signe à cette occasion, par des gestes de débutant, un des plus gros échecs diplomatiques des dernières années. Une configuration rarement connue par ailleurs.
Il y a fort à parier, au demeurant, que la récente initiative de l’Administration du président Obama -qui cède en tous points à Israël, aussi bien sur la question de l’avenir de la Palestine que sur le dossier du nucléaire iranien – représente le coup de pied de l’âne suite à ce qui avait été perçu, à tout le moins, comme de l’inconsidération pour la puissante Amérique, dirigée depuis peu par un diplomate, John Kerry, beaucoup moins ami du Maroc que son ancienne collègue, Hilary Clinton.
c/ La façon dont la question de la « régionalisation avancée » a été posée puis menée depuis 2007 a donné lieu à l’étranger à un accueil mitigé. Cela pouvait être une relativement bonne solution de sortie de crise -par le haut. Toutefois, il fallait rendre ce projet crédible, (1) en le formulant dans des termes clairs loin de toute référence à une espèce de « spécificité marocaine » non conforme aux évolutions récentes de la pratique et des conventions internationales en la matière, (2) en accélérant le processus et en y intégrant le plus possible d’habitants du Sahara, véritablement représentatifs des habitants de la région et soucieux de son avenir, (3) en donnant la preuve, de façon concomitante, que le Maroc était bien engagé dans une démarche de démocratisation et de respect des droits de l’homme, tels qu’universellement reconnus.
Or, la régionalisation avancée demeure au stade de projet, les personnes et ONG consultées pour y arriver semblent plutôt faire de la figuration et les « réformes » engagées au cours des dernières années au Maroc, si elles sont apparues pour certains comme ayant répondu aux cris de la rue, n’ont rien changé de fondamental à l’exercice du pouvoir dans notre pays, ni au vécu économique et social de sa population, ni à la réalité des Droits de l’homme telle que subie par celles et ceux qui appellent au vrai changement, de Tanger à la frontière sud maroco-mauritanienne.
Et maintenant, quelles perspectives, quoi faire et comment ?
La proposition américaine pour que la question des droits de l’homme fasse partie du rôle de la Minurso au Sahara – ce qui porterait une égratignure féroce à la souveraineté du Maroc sur cette région – indique clairement où vont aujourd’hui les choix de l’Amérique.
Ce n’est pas plus dangereux que cela, mais cela a valeur d’avertissement. C’est un coup de semonce qui doit éveiller les responsables à Rabat pour qu’ils adoptent, enfin, une stratégie marquée par des actions crédibles, une approche démocratique, participative et cohérente de la Régionalisation, non seulement au Sahara, mais dans l’ensemble du pays, et une démarche moins frileuse vis-à-vis de l’Algérie dont on peine à voir en quoi elle est inattaquable, ou pourquoi on passe notre temps à être en position de demandeur à son égard.
Le Maroc est sur ses terres là où il se trouve mais il a besoin de rendre ces dernières plus hospitalières, pas seulement à Laayoune ou Dakhla, mais aussi à Sidi Ifni, à Figuig, Taza ou Sefrou, surtout par une politique de développement économique et social, menée au profit véritable des populations et par le respect dans les faits des droits de l’homme partout où ils sont bafoués. A ce dernier propos, changer le Conseil consultatif des droits de l’homme en Conseil national des mêmes droits, en le portant y compris dans la constitution, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Il faut aller plus loin dans le concret, en réformant tout ce qui nous porte du tort, des conditions de vie dans les prisons, aux droits de la femme dans notre pays en passant par les droits de la défense ou le mode d’intervention des forces de sécurité là où elles sont appelées en renfort.
Le Maroc doit aller davantage au devant de ses amis, dont il ne manque pas, et surtout en mobiliser d’autres, notamment en Afrique Subsaharienne – anglophone, notamment – en Amérique Latine, en Asie ou dans les pays scandinaves. Aucun espace ne doit être négligé, aucune rencontre internationale importante ne doit être délaissée – la politique de la chaise-vide étant la plus mauvaise des postures à l’échelle des rapports entre nations -, aucune région ne doit être considérée comme définitivement acquise aux désirs d’Alger ou ne doit être abandonnée à sa diplomatie.
L’Afrique du Nord, de la Mauritanie au Soudan, ainsi que la région sahélienne à laquelle elle est accolée, est maintenant une zone de troubles permanents qui menacent le voisinage et la stabilité régionale et continentale, pour une grande part à cause des visées de l’Algérie et aussi de groupes terroristes qui ont essaimé à partir de son territoire.
Le Maroc doit être en mesure de démontrer que le conflit du Sahara est d’abord un différend algéro-marocain, que la volonté d’Alger demeure de s’ouvrir une porte sur l’Atlantique tout en l’isolant de ses arrières sahélo-sahariennes. Quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise, c’est à cela qu’elle veut parvenir, in fine.
Aussi, faudra-t-il en finir avec la thèse d’Alger-partie-intéressée-mais-pas-concernée.
L’Algérie est, sans aucun conteste possible, une partie centrale du conflit autour du Sahara dit occidental. Elle en est même la principale instigatrice, l’agent majeur de sa survie depuis bientôt 40 années et voudrait, surtout, en être l’ultime bénéficiaire.
Tout cela doit être dit et répété partout par les Marocains qui doivent aussi démonter qu’il existe une solution globale pour l’espace maghrébin dans son ensemble. Celle de l’avenir, c’est-à-dire celle de la construction d’un Grand Maghreb, démocratique, composé d’Etats de droit, sans frontières, mettant toutes ses réserves humaines, naturelles et financières au service de ses populations.
Et non pas en les mobilisant pour une guerre qui n’aurait jamais lieu, mais qui, en étant présente dans tous les esprits, hypothèque notre avenir à tous, limite notre capacité à aider nos voisins du sud et nous empêche de collaborer, dans une situation d’équilibre, avec l’Europe en vue de l’institution d’un espace euro-méditerranéen de paix, de stabilité et de prospérité partagée.