Le secteur logistique au Maroc : Quel bilan pour le Contrat-Programme 2010-2015 ?
Malgré l’état en constante amélioration de ses infrastructures, le Maroc fait encore pâle figure en matière d’efficience logistique, comme en témoigne son dernier classement dans l’indice IPL de la Banque Mondiale. Et sans surprise, le Contrat Programme Logistique 2010-2015 s’achemine vers un bilan des plus mitigés pour ne pas dire faméliques avec des réalisations bien en deçà des objectifs. A quoi cette feuille de route ambitieuse aura-t-elle finalement servi ? Et que peut-on attendre du prochain Contrat-Programme 2016-2020 en gestation ?
Si aucune économie performante ne peut avoir un secteur logistique efficient sans disposer d’abord d’infrastructures de qualité, la proposition inverse ne va pas de soi. En effet, être un champion en matière d’infrastructures et faire pâle figure en logistique, reste toujours possible au même titre, par analogie au corps humain, qu’un système cardiovasculaire sain ne préjuge pas forcément d’un système nerveux en bonne santé (sachant que le secteur de la logistique est le système nerveux de toute économie). Et le Maroc fait partie de ces pays dont le décrochage entre qualité des infrastructures et efficience logistique, empêche d’établir toute équivalence entre ces deux propositions, pourtant si proches et aux liens organiques aussi denses, qu’enchevêtrés. Une situation que reflète bien le yoyo du pays dans l’indice de performance logistique (IPL) de la Banque Mondiale. Car si en 2012, le bond prodigieux que le Maroc y a réalisé (en passant de la 94ème position à la 50ème au niveau mondial), ne devait la part que trop belle à la politique volontariste des grands chantiers (construction de routes, autoroutes, ports, aéroports, voie ferrée…) mis en place au milieu de la décennie précédente, le dernier rapport « Connecting to compete 2014 : Trade logistics in global economy » de l’institution de Brettonwoods s’est empressé à rétrograder le Maroc de 12 places dans le même indice IPL….et pour cause, cette fois-ci, du manque d’efficacité des procédures à la frontière et la qualité des services logistiques.
Un jugement que vient corroborer le bilan du contrat-programme logistique 2010-2015 qui, à quelques semaines de son terme, aura été des plus mitigés, voire carrément négatif. Il faut dire, que conçu sous de mauvais auspices (à la veille d’un printemps arabe qui avait rebattu les cartes des priorités politiques et budgétaires au Maroc) et ne bénéficiant d’aucun coup de pouce au départ (bien au contraire, sa mise en œuvre a connu deux années de retard par rapport à son calendrier initial, puisqu’il a fallu attendre que les lois organiques régissant l’Agence marocaine de développement de la logistique – AMDL soient votées au parlement), ce plan quinquennal ne devrait, de par ses réalisations, susciter ni excès d’honneur ni excès d’indignité. Un constat d’autant plus inévitable que les objectifs que lui assignèrent ses concepteurs n’avaient rien d’une partie de plaisir.
A commencer par la réduction des coûts logistiques, notamment des produits de grande consommation et des matériaux de construction du Maroc, dont le rapport aux prix finaux (coût relatif des facteurs logistiques) devait être ramené à 15%, soit à un niveau comparable aux ratios observés en Europe, contre plus de 20% en 2010 (pour certains produits, ce ratio était même de 25%). En effet, selon les professionnels du secteur, les chiffres définitifs de 2015 ne seront connus que vers l’été 2016, mais il est d’ores et déjà acquis que nous serions bien loin du compte (probablement entre 18% et 19% dans le meilleur des cas). L’autre indicateur clef de performance qui enregistre une évolution timorée, est celui d’un gain de 3 à 5% du PIB à l’horizon 2015 (soit 0,5 à 0,8 point de pourcentage de PIB annuellement) et ce, grâce à l’augmentation de la valeur ajoutée induite par la baisse des coûts logistiques et l’émergence d’un secteur logistique compétitif avec des acteurs logisticiens intégrés et des plateformes de services performants. Là encore, force est de reconnaitre que la contribution du contrat-programme à l’accélération sensible du PIB fait figure, désormais, d’une promesse de foie gras entier alors qu’à l’arrivée, il n’est servi qu’un modeste pâté d’alouette ! Enfin, sur le registre du développement durable du pays, si une légère baisse du nombre de tonnes/kilomètres a eu effectivement lieu (sans que cela ne soit en phase –loin s’en faut- avec les 30% annoncés pour 2016), ce n’est pas -ou fort peu- grâce à l’externalisation massive des prestations de transport et de logistique à des professionnels plus à même d’optimiser les chaînes logistiques, ni encore à la généralisation des zones multi-flux, (ZLMF) mais cela s’explique plutôt par l’entrée en service, au cours des cinq dernières années, de plusieurs nouveaux quais portuaires bien répartis entre Tanger-Med, Casablanca et Jorf Lasfar (ce qui réduit les distances parcourues pour l’acheminement des marchandises et matières premières vers et à partir des ports). Quant aux deux autres paramètres clefs retenus pour mesurer l’impact écologique et social, à savoir la baisse des émissions CO² de 35% à l’horizon 2016 et une décongestion palpable des routes et des villes, les réalisations sont à l’avenant… i.e. assez faméliques.
Voici, ce qui plie le constat – assez aisé du reste à faire – de l’échec du Contrat-programme Logistique à réaliser ses objectifs. Quant à la raison de cette déconfiture, elle est aussi évidente que le nez au milieu de la figure ! C’est que les moyens mis en œuvre ont été à mille lieux d’être de concert avec les ambitions du gouvernement.
En effet, un petit rappel suffit pour s’en rendre compte. La stratégie du Contrat programme devait être accompagnée par la mise en branle de plusieurs chantiers primordiaux :
• La mise en place d’un réseau national intégré de 70 zones logistiques multi-flux (ZLMF) sur une superficie de 2080 ha en 2015 et 3300 ha en 2030. Hormis celles de Zenata et de Lakhyayta à Casablanca et qui devaient s’étendre respectivement sur plus de 300 Ha (contre à peine quelques dizaines d’hectares aujourd’hui opérationnels !), les fameuses ZLMF sont loin d’avoir poussé comme herbe folle un peu partout au pays. Pire encore, les rares ZLMF mises en service à partir de 2012 comme celles des entrepôts aménagés par l’entreprise publique SNTL (Société Nationale de Transport et Logistique) à Zenata, ne répondaient que très partiellement aux besoins des industriels. Alors que ceux-ci résidaient dans l’externalisation au meilleur rapport qualité/prix d’un package de prestations allant du groupage/dégroupage et étiquetage, à la gestion des retours en passant par la livraison, la collecte de factures, l’offre proposée en face se limitait à la location pour usage de stockage des hangars et des bâtiments massifs. Et ce n’est que depuis peu que la SNTL a revu son logiciel en musclant l’offre de sa filiale SNTL Supply Chain qui, elle-même, loue les entrepôts auprès de l’autre filiale du même acteur public SNTL Immo (une pure foncière logistique qui cherche du rendement locatif par la location brute) pour les intégrer dans une prestation logistique globale. Un virage qui lui a fait glaner bon nombre de contrats dès fin 2014. Mais cette vieille entreprise publique gagnerait à instiller davantage de pratiques du privé dans sa gestion pour gagner en efficience.
• Le développement des compétences à travers un plan national de formation dans les métiers de la logistique (cadres, techniciens, opérateurs spécialisés) devant toucher environ 60.000 personnes à l’horizon 2015, Pour ce qui est de ce volet névralgique, là encore les efforts ont raté le coche en poussant les feux du côté de la formation des cols blancs avec le développement de masters spécialisés au sein des universités et grandes écoles, l’intégration au plan de 10.000 ingénieurs et l’activation des filières généralistes de techniciens bac+3 et bac+2. Ceci, alors que le besoin réel et pressant du secteur était plutôt (et l’est toujours d’ailleurs) au niveau de la formation de la main-d’œuvre, soit les cols bleus. A l’arrivée, au lieu de 60.000 personnes formées, on n’en est même pas à la moitié selon les professionnels.
• Enfin, pour faire le tour de la défaillance des moyens, il est de bon aloi de rappeler que le maillon faible de la chaîne logistique demeurent toujours les logisticiens nationaux eux mêmes au sein desquels on n’a guère constaté – contrairement à ce qui était anticipé par le Contrat Programme – l’émergence d’acteurs intégrés et performants. Et comme toute chaîne a la résistance de son maillon faible, celle du secteur logistique marocain est à l’image de ses charpentes microéconomiques i.e. la situation financière des entreprises de logistique et leur manque d’aptitudes, jusqu’à présent, à bien accompagner les défis de l’économie marocaine. Des preuves pour s’en convaincre ? Rien d’ardu pour qui sait observer et bien écouter. Observer l’état des logisticiens marocains qui souffrent principalement de deux maux : 1) une santé financière peu reluisante – voire précaire pour bon nombre d’entre eux – qui inhibe sérieusement le développement et freine leurs investissements productifs (voir tableau ci-contre) 2) un faible degré d’intégration et une taille relativement limitée, ce qui les empêche de tirer pleinement des économies d’échelle et proposer des offres couvrant l’intégralité de la chaîne logistique. Et écouter les doléances des exportateurs marocains qui ne trouvent pas chaussures à leurs pieds en matière d’offre logistique, quand il s’agit par exemple d’exporter en petites quantités sur plusieurs marchés, ce qui est typiquement le cas de l’export des produits de grande consommation vers des pays africains, lesquels pris individuellement offrent souvent une taille du marché domestique insuffisante pour absorber des importations par containers. Allez demander aux fabricants marocains de conserves, de jus de fruits ou de médicaments, combien ils paieraient un prestataire marocain qui leur offrirait une prestation complète allant de la collecte de marchandises à la sortie de leurs usines marocaines, jusqu’à la livraison par palettes à leurs importateurs/distributeurs ivoiriens ou sénégalais, en passant par les prestations d’overseas et de stockage dans le port de Dakar ou d’Abidjan. Malheureusement, pour l’instant cela relève de la logistique fiction pour bon nombre de PME marocaines qui doivent se rabattre sur des solutions classiques d’export en containers entiers (sans groupage), quand des importateurs locaux veulent bien mobiliser en conséquence des capitaux importants et courir le risque d’un stockage de longue durée. Ce qui induit des coûts d’exportation élevés et réduit, donc, la compétitivité de l’industrie marocaine sur le marché mondial. Pour remédier à une telle faiblesse, des associations de producteurs (telle l’Association Marocaine de l’Industrie Marocaine) ont même imaginé la mise en place d’une plateforme d’exportation qui permettra une mutualisation des coûts. Tout en ne réglant qu’une partie du problème, cela requerrait une offre logistique adaptée inexistante pour l’instant. Il faut aussi dire, à la décharge des opérateurs logistiques marocains, que non seulement il n’y eut rien ou presque de la part de la puissance publique sur le registre de «l’incitation à l’émergence d’acteurs intégrés et performants » dont parlait le Contrat Programme. Bien au contraire, l’Administration fiscale n’a rien trouvé de mieux, en 2013, que de réclamer aux opérateurs logistiques un invraisemblable redressement de plus de 300 MDH qui avait failli sonner le glas pour bon nombre d’acteurs à la situation financière précaire.
Au demeurant, si le contrat-programme logistique 2010-15 aura révélé par son bilan le chemin restant à courir pour le Maroc pour faire de son secteur logistique un poids lourd de l’économie (pesant plus de 10% de son PIB selon les critères de la Banque Mondiale contre 6 à 6,5% de ce qu’il représente actuellement), il a eu, par contre, le mérite de tracer un cap – certes assez ambitieux quant à ses objectifs initiaux – et de réveiller les consciences, notamment auprès des autorités publiques, quant à la nécessité de ne pas considérer la chaîne logistique comme un simple moyen, voire outil mineur, au service d’une économie de plus en plus immatérielle où la production et la distribution du savoir seraient plus déterminantes que la fabrication et la distribution des marchandises. Même un pays comme l’Inde, qui a cru un moment se passer de l’industrie en devenant le « bureau du monde », met la logistique au cœur de sa nouvelle stratégie de réindustrialisation dite « make in india ». Quant à l’Indonésie, son gouvernement utilise officiellement l’indice IPL pour mesurer la performance de son ministère du Commerce ! Aussi, le cabinet de conseil en stratégie, Roland Berger, auquel l’AMDL vient de confier le marché de la définition des axes et contours d’un nouveau contrat-programme avec l’Etat pour la période 2016-2020, va-t-il plancher sur un « patient » à mi-chemin entre la guérison et la rechute. Aurait-il le mérite de pondre une nouvelle ordonnance qui soit autrement plus inspirée que d’être une simple prorogation du délai de rétablissement initialement projeté par l’actuel programme avec une reconduction des mêmes remèdes prescrits ? Gageons que ça serait le cas, mais la stratégie la plus pertinente qui soit n’a jamais suffi pour faire la différence entre une entreprise – ou un pays – performante et un piètre compétiteur. En la matière, l’aptitude d’une bonne exécution et la capacité d’adaptation aux déformations contextuelles et aux défis non anticipés, sont des atouts encore plus déterminants.
INTERVIEW
Mustapha El Khayat,
Président de l’Association marocaine pour la logistique (AMLOG)
Signé en avril 2010 entre la CGEM et le gouvernement, le contrat-programme logistique arrive à terme cette année. Il prévoyait l’incitation à l’émergence de nouveaux acteurs, la mise en place d’un réseau national intégré de zones logistiques multi flux, ou encore la mise à niveau des compétences. Qu’est-ce qui a été fait jusque-là ? Interview avec Mustapha El Khayat, Président de l’Association marocaine pour la logistique (AMLOG).
Challenge : Cette année le contrat-programme arrive à terme, quel bilan en faites-vous ?
Mustapha El Khayat : Le contrat-programme est un excellent moyen pour développer la logistique au Maroc. Son point fort c’est le partenariat public-privé, même si la création et la mise en place de l’Agence marocaine pour le développement de la logistique (AMDL) ont retardé la mise en application du programme.
A notre niveau, dès le début, nous avons soutenu ce contrat-programme ambitieux qui permettra au Maroc de se hisser au rang des pôles logistiques mondiaux. Maintenant que l’AMDL est créée, ce retard sera rattrapé par le partenariat étroit entre l’AMDL et la CGEM. Des projets importants sont en cours, et une politique claire prend forme, petit à petit, pour développer des zones d’activités logistiques, et inciter les opérateurs à investir dans le secteur logistique moderne. En gros, on peut parler d’un bilan prometteur. Et parmi les défis que l’AMDL devrait relever, c’est celui de la lutte contre l’informel.
Justement, l’informel et la pratique «du noir» gangrènent le secteur. A combien est estimé ce secteur ?
Structurellement, l’informel est déjà présent dans plusieurs secteurs, ce qui se répercute naturellement sur le secteur de la logistique. Le secteur du transport routier en souffre particulièrement. L’autre constat alarmant pour ce secteur en développement, concerne l’émergence d’entrepôts informels dans des espaces urbains et péri-urbains . Le phénomène est tel, qu’il risque de faire échouer toute la politique logistique volontaire du Maroc. Il nous faut une politique anti-informelle intelligente qui identifie le pourquoi, les causes, les conséquences et les intervenants.
Le contrat-programme ambitionnait la formation de 60.000 stagiaires. Selon les professionnels, nous sommes loin du compte, qu’en est-il alors de la qualité de la formation dispensée ?
Au niveau de la formation, le problème est toujours présent malgré la multiplication des cursus. Résultat : la formation connaît une accélération non maîtrisée. Je m’explique. Nous disposons de beaucoup de formations de 3ème cycle (publiques et privées), peu de formation moyenne (Bac + 2), une formation professionnelle en développement, mais loin de répondre aux besoins spécialisés et croissants de tous les niveaux et spécialités (caristes, manutentionnaires, gestionnaires d’entrepôts, pilotes de flux, réceptionnaires logisticiens, transporteurs qualifiés, chaînes de froid et spécialistes en transport et gestion des flux de matières dangereuses…). Même les formations existantes sont peu structurées et non coordonnées. Certes, des efforts louables sont en cours pour réguler les formations, à l’instar de celles dispensées par l’AMDL, l’OFPPT, ou encore le ministère de l’Enseignement supérieur). A mon-sens, il faut un Observatoire de compétences en logistique–transport pour éviter des formations inadaptées, et des sureffectifs dans certaines formations. D’ailleurs, la Banque européenne d’investissement (BEI) souhaite dans son projet Logismed cette visibilité sur les formations en logistique
De nombreux logisticiens nationaux souffrent sur le plan financier. Est-ce que cela est dû uniquement au manque de marchés ?
C’est vrai. Cela est dû également en partie au secteur bancaire marocain qui n’encourage pas réellement les nouveaux entrants dans le secteur logistique pour des raisons objectives, mais aussi et surtout parce que les banques ne prennent pas de risque dans un secteur émergent. Encore une fois, pour inciter les banques à épauler les logisticiens surtout marocains, il faut lutter contre l’informel par tous les moyens. Il faut une politique fiscale spécifique au secteur, afin d’assurer la réussite du contrat-programme dédié à la compétitivité logistique.
Malgré les efforts, en 2014, le Maroc ne figure pas dans le classement mondial des performances logistiques de la Banque Mondiale (Connecting to Compete 2014 : Trade Logistics in the Global Economy), quelle lecture faites-vous de ce constat ?
Dans ce rapport, le Maroc est absent. Si je ne me trompe pas il y avait une controverse sur le classement du Maroc entre la BM, et le Maroc. Je crois que la BM, qui soutient la réussite du Maroc au niveau de sa politique logistique a préféré ne pas mentionner le classement contesté du Maroc. J’insiste pour vous mettre en garde contre ces classements très relatifs se basant souvent sur des données statistiques des fois peu fiables.
C’est à notre Observatoire de la compétitivité logistique de mettre au point des indicateurs logistiques fiables et rigoureux pour éviter toute controverse ultérieure.