Le sphinx Al Qaïda ( Par Jamal Berraoui )
Le Kenya a mis 72 heures pour mettre fin au carnage du centre commercial de Nairobi. L’opération en elle-même, quinze assaillants qui prennent un lieu public, paraît simple, mais ce n’est pas l’avis des experts, car entre-temps l’on a appris que cinq Américains, deux Britanniques, un Canadien et deux Syriens faisaient partie de l’équipée terroriste. Réunir des gens de provenances différentes pour une telle opération est une vraie gageure, parce qu’il faut déjouer la surveillance de plusieurs services de ces pays. Les Américains provenaient de Minneapolis, ville où une communauté importante originaire du Kenya et de la Somalie est installée. Le FBI, le MI6, sur les dents depuis l’alerte du mois d’août n’ont rien vu venir. L’on se rappelle que la CIA avait lancé une alerte internationale sur l’imminence d’une opération d’envergure dans cette zone et fermé ses ambassades dans plusieurs pays. Au même moment, cinq citoyens américains s’apprêtaient à porter la mort au Kenya.
C’est en cela que l’opération est complexe. Les spécialistes considèrent qu’elle annonce la restructuration du réseau international d’Al Qaïda. L’alerte du mois d’août avait été lancée suite à l’interception des communications d’Ayman Zawahiri, le Chef d’Al Qaïda lui-même. Les Shebab somalis ne sont que la filiale à qui profite le crime, puisqu’en guerre contre le Kenya y compris en Somalie.
Les coups qui lui sont portés depuis le 11 septembre avaient désintégré les connexions internationales d’Al Qaïda et l’avaient obligé à « régionaliser » ses structures. L’opération de Nairobi annonce la reconstruction des liens de réseaux à l’international, ce qui complique la tâche des services.
Les Américains sont sous le choc. A Boston, un loup solitaire avait entrainé son frère dans une entreprise criminelle. Mais là, ce sont cinq ressortissants afro-américains qui ont adhéré au jihadisme. Dans tous les pays occidentaux, l’existence de ce courant de pensée est avérée. L’affaire Merah en France, l’assassinat d’un soldat Anglais, avaient tiré la sonnette d’alarme. Auparavant, on a tendance à l’oublier, les attentats de Londres avaient été perpétrés par des citoyens Anglais.
La crainte, c’est que cette découverte accentue l’islamophobie ambiante dans ces pays et que la communauté musulmane soit considérée comme un ennemi de l’intérieur. Le terrorisme international profite du sentiment de stigmatisation pour recruter et toute recrudescence de l’islamophobie lui facilite la tâche. Les Occidentaux ne peuvent mettre sur le dos d’une religion le fait qu’ils produisent eux-mêmes du terrorisme. En Syrie, en Somalie, des convertis sont enrôlés par les Jihadistes. C’est d’abord l’expression d’un délitement du tissu social à l’intérieur des sociétés concernées.
L’effort sécuritaire à lui seul n’éradiquera pas le terrorisme, tant que les mécanismes d’exclusion demeureront. En 1998, c’est par l’attentat de Nairobi qu’Oussama Ben Laden s’est fait connaître. Quinze ans après, Al Qaïda annonce son grand retour en choisissant de frapper la même ville.