Le taux de croissance se perd dans les prévisions
Jamais un gouvernement marocain n’a été confronté à autant de productions de chiffres et de lectures de données, que le gouvernement actuel. La distance entre beaucoup de nos politiques et les chiffres de l’Economie et des finances était grande et comme le langage populaire la décrit très bien, il n’y a entre eux et ces chiffres que «la bonté et la bienfaisance… el khir Wal ihssane ».
Aujourd’hui encore, la balance commerciale est souvent confondue avec la balance des paiements. L’inflation et les chiffres de la masse monétaire continuent de faire partie de l’alphabet chinois pour une grande partie de ceux qui légifèrent au nom de la nation. Ceux qui tiennent le gouvernail de l’exécutif ne sont pas tous au courant des ratios de la dette, ni des indices produits par nos différents organismes publics ou privés à des intervalles de plus en plus réguliers. Malgré ce tableau kafkaïen, l’intérêt pour les chiffres économiques augmente et reflète une certaine ruée vers l’acquisition d’armes pour combattre un programme, un bilan ou même un discours.
Les chiffres sont devenus un enjeu important dans la bataille politique ou même politicienne. Leur lecture ne se détache que rarement de la position par rapport au pouvoir. D’une situation crispée, le gouvernement et son chef sont en train de normaliser leur relation à Bank Al Maghrib et au HCP. Le caractère passionnel soulevé par les publications du début de l’année cède progressivement la place à un début de pacification de la relation aux chiffres. Il n’est pas question de voir dans cette évolution une minimisation de l’importance du contenu des différentes statistiques. Il ne s’agit pas non plus d’un jeu qui place dans le monde virtuel des données à des fins de projections neutres ou «scientifiquement» objectives. Il s’agit de présenter des réalisations réelles qui ont une relation directe avec la vie des citoyens, avec leur avenir et avec la qualité de la vie qu’ils mènent. Les statistiques nous renseignent sur nos productions, nos emplois, nos richesses, nos analphabètes, nos taux de mortalité enfantine…et nous présentent ce que sera demain et avec quelles politiques publiques. Prévoir un avenir en chiffres demande une lecture des réalisations à travers un appareil statistique fiable autant que cela se peut.
La moisson du mois de juin est aussi statistique
Le mois de juin est le mois de l’effervescence statistique. En quelques jours tous les acteurs descendent sur la scène et communiquent. Les communiqués de presse, les conférences, les conseils d’administrations, les comptes rendus dans les sièges des organismes ou dans les hôtels cinq Etoiles. Le 19 juin, le HCP a publié une note d’information sur l’indice des prix à la consommation du mois de mai, le même jour le ministère de l’Economie et des finances publie par le biais de sa direction des études et des prévisions financières la note de conjoncture n° 118, le mardi 17 juin, les prévisions de Bank Al Maghrib ont été présentées par son Wali à l’issue du Conseil d’administration et le mercredi 25 juin le HCP a présenté à Casablanca l’estimation en 2014 des indicateurs macro-économiques et la prévision de leur évolution en 2015 et ce , dans le cadre de la présentation du budget économique exploratoire du mois de juin de chaque année. Les différents rendez-vous et publications portent sur l’ensemble des indicateurs. Le taux de croissance, l’inflation, le déficit budgétaire, la masse monétaire, et l’évolution des prix à l’importation sont traités et analysés par l’ensemble des acteurs. Les craintes en cette fin du premier semestre 2014 sont nettement exprimées et les perspectives ne sont pas celles qu’attend le gouvernement. Les facteurs exogènes sont pour quelque chose dans le niveau de performance de notre production agricole et plus précisément de notre production céréalière. Les crises politiques et l’évolution des conflits dans certaines zones de production en Afrique et au Moyen Orient ne seraient pas porteuses d’une stabilisation des prix de nos importations d’hydrocarbures. Les décisions en matière de politique économique tardent à s’inscrire dans le réel décisionnel tant au niveau de la retraite qu’au niveau de la compensation des autres produits budgétivores non encore visés par un ciblage tant demandé en interne et à l’international.
Le fameux taux de croissance du PIB est toujours au centre des intérêts. Fort, il permet de créer de l’emploi, d’élargir l’assiette fiscale et d’avancer dans les réformes structurelles. Faible, il creuse les déficits publics et ceux liés à nos comptes extérieurs et ne permet pas à l’économie de soulager les pressions sur le marché de l’emploi. Jusqu’au mois de mai, le FMI prévoyait un taux pour 2014 de 3,9% et plus de 5% pour 2014. L’optimisme de cette institution internationale «très sérieuse» a permis au gouvernement de regarder l’avenir autrement et de répliquer à ses détracteurs. Mais les premières données de notre Banque centrale et de notre HCP ne vont pas dans le même sens. Nous n’allons pas dépasser un taux oscillant entre 2,5% et 3%.
Les prix à la consommation : légère diminution au mois de mai
Le mois de mai est porteur de bonnes nouvelles pour les consommateurs. Les sommes qu’ils ont déboursées pour acheter certains biens ont connu une légère baisse (-0,2%). Cette baisse de l’indice des prix à la consommation résulte de la baisse de 4,3% des prix des légumes et de 3,5% des prix des fruits. L’indicateur d’inflation sous-jacente a connu une hausse de 0,3% sur un mois et de 1,3% sur une année. Cet indicateur exclut les produits à prix volatiles et les produits à tarifs publics. En revanche, les prix ont augmenté de 1,5% pour le «Café, thé et cacao », de 1,1% pour les «viandes » et de 0,5% pour les «poissons et fruits de mer ». Les baisses les plus importantes de l’IPC ont été enregistrées à Guelmim avec 1,0%, à Dakhla et Beni-Mellal avec 0,6% et à Fès avec 0,5%. En revanche, des hausses ont été enregistrées à Meknès et Settat avec 0,4% et à Kénitra et Rabat avec 0,2%. La note du HCP nous précise, par ailleurs, la variation entre les données du mois de mai 2014 et celles de 2013 «résulte de la baisse de l’indice des produits alimentaires de 2,1% et de la hausse de celui des produits non alimentaires de 1,3%. Les variations enregistrées pour les produits non alimentaires vont d’une baisse de 9,0% pour les «communications» à une hausse de 3,5% pour l’«enseignement ». Au terme du cinquième mois de l’année, l’augmentation cumulée au titre de 2014 se situe à un niveau maitrisable d’environ 0,4 %.
Note de conjoncture : appréciation des chefs d’entreprises …une tendance à la baisse
Le HCP mène des enquêtes trimestrielles auprès des chefs d’entreprises pour étudier leurs appréciations sur l’évolution dans les secteurs dans lesquels ils opèrent et notamment, les secteurs de l’industrie manufacturière, de l’énergie, des mines et du Bâtiment et Travaux Publics (BTP). L’appréciation, objet de la note du HCP porte sur l’évolution de l’activité au cours du 1er trimestre 2014 par rapport au trimestre précédent et les pronostics pour le 2ème trimestre 2014. Selon une grande partie des patrons du secteur du BTP (55%), la production du secteur aurait connu une stabilité contre une hausse pour 20 % d’entre eux et une baisse pour 25%. Les données de l’enquête nous précisent que la baisse aurait enregistré au niveau des travaux publics «Construction de chaussées routières et de sols sportifs», et de «Construction de lignes électriques et de télécommunication». Pour ce qui est du bâtiment, ce sont principalement les activités de «Construction du gros œuvre de bâtiments» et de l’«Installation d’équipement thermique et climatisation» qui auraient affiché une hausse.
Les carnets de commande des entreprises diffèrent d’une entreprise à une autre. Ils présentent un caractère normal pour 34% des patrons et sont considérés comme peu garnis par 53% d’entre eux. Le regard porté sur l’impact de toutes ces données sur le taux d’utilisation des capacités de production, serait établi à 66% au premier trimestre 2014 contre 63% un trimestre auparavant.
La lecture de l’avenir, en l’occurrence le 2ème trimestre 2014, est relativement optimiste dans le secteur des BTP.
Les mêmes conclusions sont relevées pour l’évolution du secteur de l’industrie de la transformation. L’accent des patrons est principalement mis sur la baisse (47%) et sur la stagnation (32%). Les carnets de commande sont considérés comme normaux et le taux d’utilisation de capacité reste satisfaisant avec 76%. En ce qui concerne les secteurs de l’énergie et des mines, la production aurait connu une baisse due, pour l’énergie, à une régression de la production de l’«Electricité», et, pour les mines, à une diminution de la production des « Minéraux non métalliques».
Il s’agit d’une lecture des appréciations des patrons. Ceux –ci connaissent leurs entreprises et leur secteur, mais ne reflètent pas toujours la réalité des comportements des différents sous-secteurs de l’économie. C’est une aide au décideur pour lire et pouvoir anticiper en matière décisionnelle.
Bank Al Maghrib : baisse de la croissance prévisible dans un contexte relativement stable
Autre institution dont la lecture n’est pas toujours la bienvenue dans les cabinets ministériels. A l’occasion de son conseil, Bank Al Maghrib a tenu après la réunion de son conseil , à souligner que la croissance qui atteint 4,4 % en 2013 a été tirée par la progression de 19% de la valeur ajoutée agricole, alors que sa composante non agricole a décéléré à 2,3% contre 4,4% en 2012. La leçon est presque donnée à ceux qui lient les performances de 2013 à l’action du gouvernement. La rigueur que s’impose cette institution l’a mené à lire les évolutions possibles pour 2014 en tenant compte du recul des apports du secteur agricole à la croissance et en signalant la possible amélioration des composantes non agricoles de notre PIB. Le taux d’amélioration de ces derniers sous-secteurs pourrait atteindre 4% en 2014. De ces données, il ressort que le taux de croissance se situerait entre 2,5% et 3%. Sur le marché du travail, la situation s’est dégradée au Premier trimestre, le taux de chômage s’étant accru de 0,8 point de pourcentage à 10,2%.
Dans ces conditions, l’output gap non agricole devrait continuer, selon les estimations de Bank Al-Maghrib, à évoluer à des niveaux négatifs au cours des prochains trimestres, Présageant ainsi de l’absence de tensions inflationnistes émanant de la demande.
La détérioration de nos comptes extérieurs continue, le déficit commercial de biens s’est chiffré à 84,9 milliards de dirhams à fin mai 2014, contre 83,2 milliards à la même période de 2013.La facture aurait pu être plus importante à cause du recul de 13,3 % de la vente des phosphates et de ses dérivés si les exportations du secteur automobile n’avaient pas enregistré une forte progression. Par ailleurs, Les recettes de voyages se sont améliorées de 3,2%, alors que les transferts des MRE ont régressé de 1,6% et les flux nets des investissements directs étrangers ont reculé de 18%. Les réserves de change se sont améliorées grâce à l’émission d’un emprunt obligataire par l’OCP d’un montant de 1,55 milliard de dollars. L’encours net de ces réserves s’est établi à fin mai à 164 milliards de dhs, soit l’équivalent de 4 mois et 19 jours d’importations. Ce niveau pourrait être maintenu jusqu’à la fin de 2014.
Le déficit public continue de constituer une source d’inquiétude. Il est passé de 20,3 milliards de dhs à fin avril 2013 à 30,7 milliards de dhs à fin avril 2014. L’augmentation de 50% des dépenses d’investissement. Les dépenses de la compensation n’ont enregistré qu’un repli de 5,5%. Les prochains mois doivent, en principe, permettre d’atteindre des taux de réduction plus grands.
Concernant le financement de l’économie, BAM nous informe que le rythme de progression du crédit bancaire s’est amélioré de 3,8% à 4,4%, et devrait se situer à 4,5% au terme de 2014. Au niveau des conditions monétaires, le taux moyen pondéré sur le marché interbancaire s’est situé à 3,03% en moyenne aux mois d’avril et mai, en légère baisse par rapport à sa moyenne des trois premiers mois de l’année. Concernant les taux débiteurs, les données de l’enquête de Bank Al-Maghrib auprès des banques pour le premier trimestre montrent une diminution de 56 points de base à 5,96%.
L’inflation ne dépasserait pas 0,9 % en 2014 et ce, en dépit des mesures liées à l’indexation des prix des produits pétroliers et de l’augmentation du SMIG et du salaire minimum dans la fonction publique.
La DEPF : les données du ministère de l’Economie et des finances
La lecture faite par le ministère de l’Economie et des finances est différente tant au niveau du style qu’au niveau de l’optimisme qui domine la présentation des chiffres. Les termes pour qualifier la situation des déficits extérieurs sont « la reprise confirmée de la demande étrangère adressée au Maroc, en lien avec le redressement continu de l’économie de la zone euro, impacte visiblement les exportations marocaines hors OCP qui ont affiché une hausse de 10,2% en valeur à fin mai 2014, reflétant ainsi la bonne dynamique du secteur industriel, particulièrement au niveau des nouvelles industries naissantes. Conjuguée à cette bonne performance, la bonne tenue des activités tertiaires ». Ainsi, la lecture du déficit souligné par le HCP et par Bank Al Maghrib est présentée d’une manière «soft» et pleine de satisfaction mesurée.
Ainsi, la baisse inquiétante de la production céréalière et les 67 millions de quintaux ont levé « les inquiétudes qui régnaient auparavant sur le rendement de la campagne agricole en relation avec le retard pluviométrique » et pour justifier le raisonnement, il semblait judicieux de rappeler que «la céréaliculture a représenté 16,6%, en moyenne sur la période 2010-2013, de la valeur ajoutée agricole (qui elle-même se situe aux alentours de 14% du PIB), alors que les autres cultures et l’élevage en ont représenté plus de 83% ». C’est vrai et pourtant, l’impact de la production céréalière coute des points importants en PIB par référence à une année exceptionnelle. Les motifs de satisfaction sont nombreux dans la lecture «produite» par le MEF
« Le volume des débarquements de la pêche côtière et artisanale a repris, affichant
une amélioration de 2,8% à fin avril 2014.L’indice de production des activités minières s’est renforcé de 4,2% au premier trimestre 2014, après une baisse de 0,9%. Pour leur part, les indicateurs du secteur de l’énergie électrique se sont favorablement comportés dans l’ensemble à fin avril 2014, …. Le tourisme se renforce à fin avril 2014, tiré par la poursuite du renforcement du nombre des arrivées étrangères (+13%) …Sur le plan de la demande, la consommation des ménages se serait positivement comportée au titre des cinq premiers
mois de l’année 2014, bénéficiant de la faible hausse des prix à la consommation (+0,4% à fin avril) … »
La présentation faite par le département de l’économie et des finances n’a pas relevé les éléments qui sont à l’origine des inquiétudes exprimées par Bank Al Maghrib. Elle se limite à présenter des chiffres du court terme et à éviter les lectures des points de faiblesse et notamment, les éléments que renferment les notes du HCP et de BAM. Le taux de croissance et les appréciations des patrons d’entreprises sont de lectures à intégrer dans le diagnostic des experts de la DEPF. Nous n’avons pas encore assisté à des confrontations des données entre les acteurs de la production des statistiques. Il serait judicieux pour l’homme politique, comme pour le citoyen intéressé d’assister à des forums de confrontation des méthodes et des chiffres.
Le HCP signe et persiste : la croissance ne serait que de 2,5% en 2014
Le mercredi 25 juin, la sortie du Haut-commissaire au plan a lieu à Casablanca. C’est symbolique, les données sont exposées dans la capitale économique du pays et devant ceux qui détiennent les clés de l’investissement et de la consommation dans le secteur privé. Une semaine après Bank Al Maghrib, le HCP livre ses chiffres et ses perspectives. Nos comptes sont traités avec une rigueur qui ramène le taux de croissance prévu pour 2014 à 2,5 %. Ce traitement n’est pas aussi nuancé que celui de la Banque centrale qui met ledit taux dans une fourchette allant de 2,5 % à 3,5%. Il est encore plus bas que celui estimé par le FMI à savoir, 3,9%. La croissance connaitrait en 2015 un taux de 3,9 contre 5,5% pour les estimations du FMI. La reprise des activités non agricoles en 2014 n’est que de 3,1%, alors que BAM la situe à 4%. Le HCP annonce une continuité dans la maitrise de l’inflation appréhendée par le prix implicite avec 1,1% en 2014 et 1,7% en 2015. Les comptes extérieurs qui ont enregistré un déficit courant de 7,6% en 2013 s’amélioreraient légèrement en 2014 (7,1%) pour revenir à 7,4% en 2015. L’endettement public passerait de 79,7% du PIB en 2014 à 81,4% en 2015.
Le tableau présenté par le HCP lors de la conférence du 26 juin n’est pas totalement sombre, mais recèle des signes d’inquiétude pour l’année en cours et l’année prochaine.
Le contraste entre les chiffres des différents producteurs de l’information peut introduire le doute chez l’observateur qui peut être investisseur ou conseiller en investissement. La cacophonie des discours sur les perspectives de la croissance doit disparaitre au profit d’une confrontation méthodologique des données pour éviter les interprétations et les « clashs » inutiles. L’autonomie des organes des statistiques est certes primordiale mais elle n’empêche point l’entente sur la méthode. Le document du HCP conclut sur une note trop réaliste « Dans la période actuelle, la croissance économique effective resterait faible et dépendante des conditions des aléas de sa production agricole et la croissance potentielle de demain sera au niveau des réformes de structure, institutionnelles, économiques, financières et sociales que connaitra cette période. …»
Lors de la conférence de presse, Challenge a posé à Mr Lahlimi, Haut-commissaire au plan une question sur la multitude des chiffres relatifs à la croissance et sur les liens entre les organismes chargés de produire les chiffres et les projections. Le hcp a rappelé la méthodologie scientifique utilisée et les modèles mathématiques qui permettent d’arriver aux chiffres présentés. Les différences entre les organismes sont salutaires pour le pays et les décalages sont souvent considérés comme normaux à travers le monde. Il a, par ailleurs, affirmé que la crise économique mondiale a mis à nu la fragilité économique basée sur les flux extérieurs en matière de financement au lieu d’une mobilisation volontariste des financements nationaux et notamment, ceux du secteur privé. Les investissements extérieurs, bien qu’ils présentent des bénéfices certains pour l’économie nationale, leur apport en termes de transfert de technologie, d’emplois et d’intégration économique d’une manière générale n’est pas évident.