Dossier

Le textile dans l’élan de l’accélération industrielle

L’histoire de l’essor des industries de transformation, dans notre pays, est intimement liée à celle de l’industrie du textile et de l’habillement. Occupant une place stratégique au sein de l’économie marocaine et présentant de fortes potentialités, les investisseurs se ruaient massivement vers ce secteur. N’est-ce pas que les figures emblématiques du monde de la banque, de la finance et de la promotion immobilière d’aujourd’hui sont issues de ce métier. Les mesures gouvernementales prises en faveur du secteur ont certes contribué à sa croissance et aux performances réalisées dans plusieurs de ses filières, mais n’ont jamais été conçues dans une vision intégrée et planifiée pour le long terme. Le contrat performance 2015-2020 des écosystèmes textiles, qui vient d’être signé entre le gouvernement et les professionnels, s’inscrit dans une démarche globale et convergente et constitue la consécration opérationnelle de l’un des axes principaux du Plan d’Accélération industrielle à l’horizon 2020. Toutefois, les ambitions affichées sont-elles réalisables sans que plusieurs leviers et préalables soient réactivés ?
Dossier réalisé par Abdelfettah Alami

Du début des années 1960 jusqu’au début des années 2000, le secteur du textile-habillement a connu une croissance ascendante aussi bien en termes d’investissements réalisés que du chiffre d’affaires enregistré. Le secteur comptait à peine une soixantaine d’entreprises dont les plus connues- pour ceux parmi nous qui gardent encore de la nostalgie pour ce passé- étaient Icoma, Mafaco, Nassige Al Maghrib, Manufacture de Fès, Manatex, Blita, Saft, etc. qui ne subvenaient qu’à hauteur d’environ 30% de la demande locale.
Le coup d’accélérateur fut donné à partir de la promulgation du premier code des investissements industriels et la mise en place de mesures de protection douanière qui se sont traduites par un réel retournement de tendance des commerçants marocains qui se sont lancés dans le montage d’unités industrielles textiles. Pour une meilleure intégration des différentes filières et pour accompagner le mouvement dans certaines branches trop capitalistiques pour le privé, l’Etat s’est investi lui-même dans ce créneau avec la création des fameuses sociétés Cofitex et Cotef, deux fleurons qui ont marqué l’histoire de cette industrie.
Cette dynamique qui ambitionnait, d’abord, de couvrir la demande locale et ayant atteint cet objectif, s’est vu donner une autre orientation, celle de s’ouvrir vers le marché international en cherchant de nouveaux débouchés. Les années 1980 témoignent d’un développement significatif des exportations ; en 1986, le tiers de la production textile nationale, estimée à plus de 9 milliards de DH, était destiné à l’exportation. Les incitations du code des investissements et des exportations de 2003 expliquent l’explosion des investissements dans le secteur du textile qui affichaient, entre 1981 et 1986, une croissance moyenne de 560 MDH. Le phénomène de délocalisation entamée par les entreprises européennes, à la fin des années 1990, a largement participé au développement de ces investissements dont la part, revenant aux délocalisations, représentait environ 30% des investissements textiles du Maroc. Le bénéfice collecté était perceptible au niveau de notre balance commerciale puisque, jusqu’en 1991, celle-ci était excédentaire en faveur de notre pays.
A partir de 1992, le marché marocain, particulièrement tourné vers l’export, allait subir de plein fouet les conséquences, d’une part, d’une conjoncture internationale défavorable marquée par la guerre du golfe, l’embargo aérien sur la Libye et la fermeture des frontières avec l’Algérie, mais et surtout par les mutations profondes techniques et commerciales en provenance de pays émergents comme la Chine et la Turquie, dont l’incursion sur le marché international a constitué de véritables «mouvements tectoniques» allant bouleverser plusieurs donnes et situations acquises et poussant le gouvernement à précipiter les réflexions sur des stratégies volontaristes aptes à faire face aux menaces internes et externes et à relancer une activité stratégique sur le plan économique et social.

Des atouts considérables

L’industrie du textile habillement constitue un secteur disposant de fortes potentialités au niveau de sa contribution au PIB, en matière de création d’emplois et sa grande contribution aux exportations.
Le secteur du textile – habillement emploie près de 175.000 personnes au Maroc. Il est ainsi, le premier pourvoyeur d’emplois industriels du pays avec 40% des emplois industriels nationaux. Le secteur contribue également à hauteur de 24 % des exportations marocaines de biens et à hauteur de 7% dans le PIB national. A fin Novembre 2014, le CA à l’export a atteint un total de 28,7 MMDH en accroissement de 5% par rapport à la même période de l’année 2013. La branche Chaine et Trame accapare la part du lion dans ces exportations, avec un montant de 18,5 MMDH, soit presque 65% du total de ces exportations. Comme le montrent les deux tableaux ci-dessus, l’Espagne, avec une part de 13,4 MMDH, absorbe plus de la moitié de nos exportations textile et habillement et cette part a progressé de plus de 14% entre 2013 et 2014. Les plus grosses chutes, crise oblige, ont été enregistrées au niveau de la France et du Portugal où les baisses étaient respectivement de -32,6% et -65,5%. De son côté, le CA généré par le marché local est estimé à 45 MMDH.

La position du Maroc, en tant que champion à l’export, se vérifie parfaitement au niveau de l’Union Européenne où, comparativement à d’autres pays concurrents, continue à maintenir un classement honorable puisqu’il se positionne en 5ème place après la Chine-Hong-Kong, Bangladesh, Turquie et Inde et ce, comme on peut le remarquer sur le tableau ci-après :
Cette dynamique du secteur à l’export et cette croissance ont été soutenues grâce à plusieurs mesures et atouts répertoriées par l’Association Marocaine des Industries du Textile et de l’Habillement –AMITH-, dans les points suivants :
– Un cadre global
incitatif : Un plan de développement concret de l’offre marocaine du secteur textile, un système incitatif englobant un ensemble de mesures d’encouragement à l’investissement à caractère fiscal, financier, juridique et social, un grand réseau d’accords de libre-échange avec l’Union Européenne, Les Etats-Unis d’Amérique et le monde arabe, donnant accès à un marché de plus d’un milliard de consommateurs.
– Une plateforme d’investissement : l’Etat marocain met à la disposition des investisseurs des plateformes industrielles d’investissement « P2I » très avantageuses.
– La Réactivité de production : Grâce aux producteurs locaux de matières premières, et à la future mise en place de plateformes d’approvisionnement, le Maroc peut réduire le délai de livraison de deux semaines vers l’Europe (soit un cycle compris entre 2 et 4 semaines – 50% de temps en moins que le cycle normal).
– La réactivité
de livraison : Une proximité géographique aux marchés européens, un port « Tanger Med » qui permet au secteur du Textile marocain d’être de plus en plus réactif, ceci grâce à :
– Un dédouanement en moins d’1 heure
– Un couloir dédié aux acteurs textiles
– Une augmentation de la capacité de rotation des navires opérant dans le port (6 à 8 correspondances par jour)
– Une Ouverture aux compagnies maritimes dédiées uniquement au transport camion (roro)
– Une grande capacité de production : une capacité de production importante du secteur, estimée à plus d’un milliard de pièces par an ; un secteur qui opère depuis 50 ans avec les marchés européens et américains, des instituts de formation assurant l’amélioration continue des compétences permettant ainsi aux entreprises du secteur, de bénéficier d’une main d’œuvre qualifiée et de profils pointus de designers, stylistes et ingénieurs ; un développement de compétence qui est au centre de la stratégie du secteur : formation planifiée de 2.000 ingénieurs et 30.000 opérateurs à l’horizon 2015.

De l’Emergence à la concrétisation d’une vision stratégique pour le secteur

Déclenchant, de temps à autre, la sonnette d’alarme vis-à-vis des pouvoirs publics en raison des risques qui guettent un secteur important pour l’industrie nationale, les gouvernements qui se sont succédé, au cours de ces dernières années depuis celui de M. Driss Jettou, un textilien de métier ! ont essayé plusieurs réflexions et tentatives pour «sauver » le secteur du textile habillement.
Si l’on a été sensible aux doléances et argumentaires des opérateurs, peu de démarches concrètes furent initiées pour répondre aux attentes de ces derniers, pour tirer profit des potentialités du secteur dans notre pays et d’y asseoir une croissance pérenne.

Le Pacte National pour l’Emergence Industrielle, un programme étriqué !

Cette stratégie adoptée par le ministère chargé de l’industrie, en collaboration avec le ministère du Commerce Extérieur pour la période 2009-2015, ambitionnait le développement du marché à l’export et celui du marché national. Dans le premier cas, un plan de promotion consistait en des actions de communication de contacts et de co-marketing avec les marques distributeurs et les acheteurs, aussi bien au Maroc que dans les pays cibles.                               
En parallèle des initiatives à l’export, des axes ont également été tracés pour le développement du marché local à travers le développement de la distribution moderne et de 10 marques propres nationales. Il s’agit aussi de mettre en œuvre des actions destinées à l’amélioration de l’environnement du secteur textile et cuir.
Aussi bien au niveau de la philosophie de ce plan qu’en termes de réalisations, le Pacte pèche sur plusieurs points :
– La sélection de six secteurs «Métiers Mondiaux du Maroc»-MMM- dont le textile sous entend une approche différenciée avec une priorisation pour les secteurs les plus performants. D’ailleurs, la situation actuelle de ces six secteurs montre que les effets d’entrainement sont dissemblables : les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et spatial et l’off shoring ont permis au Maroc de se positionner parmi les destinations recherchées des investisseurs internationaux. Cependant, le secteur du textile, en raison de ses fragilités, est resté le parent pauvre de cette stratégie et souffre de la désintégration de la chaine de valeur, source principale d’attractivité du secteur. Les résultats positifs enregistrés par ces secteurs porteurs et annoncés, la semaine dernière lors d’un point de presse à l’issue du conseil de gouvernement, par le ministre de l’Economie et des Finances, confirment ce schéma : les exportations auto ont crû de 26,5%, en 2014 pour s’ériger en 1er exportateur au Maroc, l’électronique ( + 26,2%), l’aéronautique (3,2%) et le textile (3,9%).
– En termes de réalisations, les résultats restent très en deçà des objectifs fixés par le Pacte. Lors de l’AGO de l’AMITH de Juin 2013, le Président M. Mostafa Sajid, n’avait pas manqué de souligner les insuffisances des mesures transversales de type IMTIAZ et MOUSSANADA : « Les objectifs de MOUSSANADA n’ont été atteints qu’à 25%. L’impact des programmes IMTIAZ, FIT
( Finissage, Impression, Teinture) et «Converteurs Agrégateurs Distributeurs» est loin d’être significatif en nombre d’entreprises bénéficiaires, par ailleurs livrées à elles-mêmes sur le plan du financement et des problèmes d’opérationnalisation. La restructuration du marché local requiert une volonté politique et encore plus d’engagement des pouvoirs publics à travers la mise en œuvre et le renforcement des moyens humains et matériels conséquents ( normes, contrôles qualité, contrebande, contrôles croisés, etc. ».
– Enfin, gros handicap et non des moindres, celui des plates formes intégrées à réaliser dans le cadre du Pacte. D’après les estimations, les superficies qui seraient livrées ne dépasseraient pas 16% alors que celles programmées en 2016 et au-delà et celles non programmées s’élèvent à 84%. Quant aux zones industrielles et aux zones d’activité économiques, les retards sont plus importants. En l’absence de mesures réellement structurantes de nature à renforcer l’attractivité et le dynamisme du secteur du textile, une réflexion pour une stratégie intégrée et un pilotage plus efficace s’avère d’une extrême urgence.

Les écosystèmes textiles, une démarche inédite ?

L’initiative fut enclenchée par les opérateurs eux-mêmes lorsqu’ils ont préparé et proposé, en 2013, au gouvernement le « Plan Textile 2O25 » axé sur 3 pôles ciblés reflétant la compétitivité du Maroc : habillement mode, textiles de maison et arts de vivre et textile à usage technique et intelligents. Les piliers de la nouvelle stratégie touchent la sécurisation et le développement du marché local, un meilleur positionnement à l’international, l’attraction de nouveaux acteurs de compétences, le fonctionnement sous forme d’écosystème faisant favoriser l’intégration et la valeur ajoutée et le déploiement d’une offre de soutien autour de mesures structurantes alignées avec les objectifs stratégiques.
Cette vision 2025 qui devait connaître un début d’exécution en 2014 a coïncidé avec la mise en place du « Plan d’Accélération Industrielle-PAI- » à l’horizon 2020, ce qui a poussé l’AMITH à revoir sa « copie » pour mettre son programme en conformité avec la nouvelle stratégie gouvernementale.
Pour donner un contenu opérationnel au volet textile du PAI, un « Contrat Performance 2015-2020 » a été signé le 24 Février dernier par le ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’investissement et de l’Economie Numérique, le ministre de l’Economie et des Finances et le Président de l’AMITH, programme qui touchera, dans une première étape trois écosystèmes textiles : Fast Fashion, Denim et Distributeurs Industriels de Marques Nationales. L’engagement a été pris pour finaliser les trois autres écosystèmes (Maille, Textiles de Maison et Textiles à usages Techniques) au cours du 1er semestre 2015.
De l’avis des professionnels du secteur, et avec ce Contrat Performance, pour la première fois, le secteur se donne une vision complète dans le cadre d’abord d’une «phase d’amorçage» qui s’étalera jusqu’en 2020, suivie, à l’horizon 2025, de «la phase de démarrage» pour servir le marché local et international. A travers ce contrat, les ambitions affichées visent :
– Un développement équilibré des différentes activités industrielles en mettant l’accent sur les filières à fort potentiel, tel le textile à usages techniques qui connait une croissance à deux chiffres ;
– Le renforcement des fondamentaux du secteur au niveau de son amont industriel et son aval (la distribution) ;
– Agir de manière non frontale contre l’informel pour l’intégrer dans les circuits officiels de la production et de la commercialisation ;
– Enfin, rebâtir un nouveau partenariat public-privé à travers une offre de soutien et des mesures d’accompagnement des opérateurs.
Ces choix stratégiques devraient permettre l’impulsion de secteur du textile marocain pour un meilleur repositionnement national et international. Les engagements pris par les professionnels sont à la hauteur des paris audacieux affichés par les partenaires de cette contractualisation (voir tableau ci-dessus : les objectifs fixés dans le contrat de performance).  Si, à travers ce « Contrat Performance », le secteur textile devrait franchir un grand pas, il n’en demeure pas moins que sa réussite resterait hypothéquée par la levée de plusieurs défis et contraintes dont certains sont multisectoriels mais fondamentaux comme le problème du foncier, du système de financement, de la flexibilité du marché de l’emploi et de la formation et ressources humaines.
D’autres plus spécifiques visant à opérationnaliser les leviers et dispositifs d’appui pour éviter les erreurs du passé, mobiliser les acteurs autour des objectifs stratégiques de ce programme et valoriser l’image du secteur à l’échelle nationale et internationale. Nul ne conteste aujourd’hui, que le marché du textile au Maroc offre de réelles opportunités et recèle un potentiel énorme. Il s’agit de procéder à une régénération des entrepreneurs qui s’intéressent à ce métier en créant un cadre incitatif pour encourager les jeunes entrants à opérer dans la transparence.

 
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