Le torchon brûle comme jamais, entre les écoles privées et les parents
Près de 90% des parents d’élèves des écoles privées refusent toujours de payer les frais de scolarité des mois d’avril, mai et juin! Alors que les établissements scolaires exigent leur paiement en intégralité, des parents s’y refusent car insatisfaits de la qualité de l’enseignement à distance offert durant le confinement. Qui a raison, qui a tort ? Quelle issue au conflit ?
Le bras de fer entre parents d’élèves et écoles privées continue. En dépit de la médiation en cours initiée par le Ministère de l’Education pour trouver un compromis, la situation ne s’est toujours pas réglée pour autant. Au cœur de ce conflit, les frais de scolarité des mois d’avril, mai et juin. D’une part, les parents d’élèves veulent payer 50% moins pour ces trois mois ou 30% moins en étant totalement exonérés du mois de juin. D’autre part, les écoles privées exigent leur paiement en intégralité. « Avec l’enseignement à distance durant le confinement, les écoles privées tiennent coûte que coûte à ce qu’on paye en intégralité les frais de scolarité du troisième trimestre. Or, outre les coûts supplémentaires en internet ou matériel informatique, les parents d’élèves ont assuré l’essentiel de l’enseignement de leurs enfants. Trouvez-vous juste qu’on paye le même montant de l’enseignement présentiel pour l’enseignement à distance. Les écoles privées avancent qu’elles ont les salaires à payer. Mais nous en tant que parents d’élèves, nous voulons négocier pour payer uniquement la part correspondant au service fourni par les écoles, en plus d’une évaluation de ce service par les autorités compétentes », explique Noureddine Akkouri, Président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves (FNAPEM).
Pourtant, du côté des propriétaires d’établissements privés qui tiennent à préciser qu’ils sont obligés de continuer à régler les salaires de leurs enseignants et personnels administratifs, l’on indique avoir déjà fait plusieurs concessions. Pour Hanane Jabrane, Vice présidente de la Fédération marocaine de l’enseignement et de la formation privés (FMEFP) et Représentante des écoles privées au Conseil d’administration de l’Académie régionale de l’éducation et de la formation (AREF) du Grand Casablanca- Settat, depuis le début de la crise engendrée par la pandémie Covid-19, plusieurs secteurs économiques ont été, plus ou moins, gravement affectés; ce qui s’est répercuté, de manière variable, sur la stabilité des revenus de certaines familles ayant scolarisé leurs enfants dans le secteur privé. «Consciente de cette situation exceptionnelle, la Fédération marocaine de l’enseignement et de la formation privés (FMEFP), a pris l’initiative d’engager un dialogue franc et réaliste avec les parents des élèves, en vue de trouver un terrain d’entente permettant d’assurer la pérennité de nos structures et la continuité pédagogique tout en tenant compte de leur situation financière. A l’issue de ce dialogue, nous avons préconisé l’écoute et la solidarité, au cas par cas. A titre d’exemple, les parents en cessation d’activité professionnelle ont été totalement dispensés de régler les frais de scolarité pour les mois de confinement. D’autres, ont bénéficié d’une réduction allant de 30% à 50%. Alors que les parents, dont les revenus n’ont pas été affectés par la pandémie, ont été priés de régulariser l’intégralité de la scolarité de leurs enfants», dit-elle.
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Il faut dire que les deux parties qui campaient chacune sur ses positions et qui se faisaient la guerre sur les réseaux sociaux et devant les écoles, se sont rapprochées un tout petit peu avec la médiation du ministère de l’Education nationale. Depuis, les deux camps poursuivent les négociations au niveau des AREF. «Il y a des écoles qui ont pris l’initiative, dans le cadre de la médiation, pour totalement exempter les parents pour les trois mois. D’autres ont proposé des pourcentages, tandis qu’une dernière catégorie insiste sur le paiement de la totalité des frais. Cela n’est pas acceptable. Je donne un exemple : quel service ces écoles ont fourni aux enfants qui sont à la crèche ainsi qu’à ceux qui sont dans l’enseignement primaire ? Aussi, pourquoi payer pour le transport scolaire et la cantine ?», martèle le Président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves, qui souligne que les familles sont solidaires avec ces écoles vu la conjoncture et sont prêtes à payer un pourcentage pour que les établissements règlent leurs problèmes financiers, mais cela doit se faire sans porter préjudice aux deux parties.
Quoi qu’il en soit, toutes les écoles n’ont pas agi ainsi, mais à aujourd’hui c’est tout le secteur qui s’est mis à dos les parents et l’opinion publique. « Jusqu’à fin juin, l’écrasante majorité des parents d’élèves des écoles privées, près de 90%, ne se sont pas encore acquittés des frais de scolarité concernant les mois d’avril, mai et juin 2020 », se désole la Vice présidente de la Fédération marocaine de l’enseignement et de la formation privés (FMEFP). Comment expliquer cette situation ? Pour Noureddine Akkouri, si certains établissement ont répondu favorablement à la médiation du ministère et ont ouvert le dialogue, ce qui a donné lieu à des résultats positifs, d’autres écoles, en revanche, continuent de fermer la porte du dialogue. «Elles se plaignent plus que les familles par rapport à leurs problèmes économiques. Il n’y a pas lieu de parler de crise pour un établissement qui a plus de 10 ans et qui a encaissé les frais de scolarité 6 mois cette année. Si cette école avance qu’elle souffre d’une crise, nous devons nous assurer qu’elle respecte les normes de son cahier des charges et nous allons demander en tant que parents d’élèves, qu’une commission pédagogique fasse un audit», ajoute-t-il.
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A en croire la Vice présidente de la Fédération marocaine de l’enseignement et de la formation privés (FMEFP), les écoles privées sont accusées à tort d’être très rentables. «C’est malheureusement loin d’être toujours vrai», regrette-t-elle. Aujourd’hui, l’enseignement privé compte près de 5800 écoles (primaire et secondaire) employant 136000 personnes, un chiffre en augmentation d’environ 45%, par rapport à 2011. Selon la FMEFP, 80% des écoles privées, au Maroc, sont de petites ou de très petites structures qui ont pour uniques ressources les mensualités payées par les parents d’élèves. « Si ces écoles restent sans ces ressources mensuelles, comment pourraient-elles parvenir à s’acquitter de leurs lourdes charges telles les salaires (80%), les impôts, les échéances bancaires, les loyers (pour certains), le leasing des véhicules, les frais d’entretien et de rénovation … Ce sont des charges fixes, à régler par l’école, pendant les douze mois de l’année tandis que les mensualités de scolarité ne concernent que dix mois (de septembre à Juin). Ainsi, toute perturbation dans la régularisation des frais de scolarité risque d’engendrer un grave déficit dans les finances des établissements privés », tente d’expliquer Hanane Jabrane, qui souligne que personne ne peut nier que l’école privée est une entreprise qui a le droit de chercher le profit (ce qui est normal pour toute entreprise) pour s’agrandir, pour évoluer … même si elle reste une institution citoyenne qui embauche un grand nombre de marocains et aussi un partenaire indispensable pour le secteur de l’éducation nationale publique, car elle enrichit et diversifie l’offre pédagogique.
Aujourd’hui, qui a tort, qui a raison? Selon Me Bouchaib Nadir, avocat au barreau de Casablanca, il n’y a pas de disposition juridique claire sur la question. «Il existe, certes, une relation contractuelle entre les deux parties. Mais face à cette situation, les deux parties ont des positions justes. D’une part, les écoles avancent qu’il s’agit d’un cas de force majeur. D’autre part, les parents d’élèves exigent une réduction car l’enseignement n’a pas été totalement assuré. La solution reste le dialogue», lance-t-il. Difficile de prédire l’issue de ce conflit, eu égard au fait que certaines écoles privées menacent de bloquer les élèves qui n’ont pas payé leurs frais de scolarité. «Il est interdit de retenir les dossiers des élèves de la part d’une école privée. Nous avons fait face à ce problème de par le passé, avant le déclenchement de la pandémie. Les frais de scolarité n’avaient pas été réglés et l’école retenait le dossier. Les parents ont saisi la justice en utilisant la procédure d’urgence et ils ont pu récupérer les dossiers de leurs enfants. Légalement, un établissement n’a pas le droit de retenir les dossiers. Pour ce qui est des frais non payés, la justice intervient sur ce point. Il ne faut pas oublier que si un enfant n’est pas scolarisé, le parent risque la prison», prévient le Président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves.
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En tout cas, ce conflit a le mérite d’accélérer le processus de mise en œuvre des dispositions de la loi cadre 51-57 se rapportant à l’enseignement privé. C’est ainsi que la tutelle prépare un projet de décret permettant l’élaboration d’une nomenclature de classification des établissements scolaires du secteur privé en fonction notamment de leurs chiffres d’affaires, le standing des équipements et les infrastructures, ainsi que la qualité de leurs offres pédagogiques. «Si le Ministère compte plafonner les tarifs, dans les écoles privées, il doit prendre en considération que c’est un secteur très concurrentiel. Dans ce cas, il faut établir un classement selon des critères objectifs comme l’innovation, l’investissement dans la rénovation, la formation continue, l’encadrement, l’attractivité, la qualité…», indique Hanane Jabrane.