L’Ecole Centrale pour tous…
En janvier prochain, la France lancera son programme de cours massifs en ligne. Des écoles telles que Centrale Paris, Polytechnique ou des universités telles la Sorbonne ou Assas, proposeront des cours de mathématique, d’histoire et de droit aux internautes intéressés. Les professionnels restent sceptiques, mais les Marocains sont déjà séduits par le concept.
S
tanford avait montré la voie, et une fois encore la France suit la tendance mondiale initiée par le web. Mercredi dernier, Genevève Fioraso, ministre français de l’Education supérieure, annonçait que la république avait débloqué 12 millions d’euros pour les MOOC (cours en lignes massifs et ouverts) des universités françaises. Si sur des sites tels que Codeacademy, EdX, Khan academy, Udacity et Coursera, on propose de suivre les cours d’universités prestigieuses comme Stanford, Harvard ou encore Duke, cela touche simultanément jusqu’à 160 000 étudiants de 190 pays. Dorénavant, il sera donc possible de suivre et d’obtenir les certificats de suivi de cours d’écoles, dont l’Ecole Centrale, l’Ecole des Mines-Télécoms, Polytechnique, ainsi que les universités de Bordeaux, Montpellier et Paris(Sorbonne et ASSAS entre autres). Là encore, le choix est éclectique, puisque les cours proposés iront de la philosophie, aux sciences. Mais qu’en pensent les enseignants marocains? D’abord, un certain scepticisme vis à vis de ce mode d’enseignement. Pour Omar Aloui, économiste, consultant et enseignant, il y a différentes formes d’intelligences, et le prérequis pour ces cours est d’avoir une certaine capacité d’abstraction. Selon lui, la formule s’applique aux sciences de l’ingénieur, aux mathématiques et à l’informatique, mais difficilement aux sciences sociales. Wafaa Bouab Bennani, DG et fondatrice de l’école d’ingénieurs ESTEM : “comme soutiens de cours, c’est une bonne chose. Les élèves désireux d’aller plus loin dans leur apprentissage pourront en bénéficier. Mais d’un point de vue pédagogique, soyons réalistes: les étudiants ont besoin d’un suivi, de répétitions éducatives et de sanctions pour réellement travailler et assimiler leurs cours.” Et les études de terrains sont là pour appuyer cette thèse. Seuls 10% des inscrits obtiennent leur diplôme en suivant les MOOC. En outre, la population est généralement constituée de professionnels qui développent leurs connaissances.
Vers l’université virtuelle?
Mais pour la France, il s’agit d’un enjeu de taille. La cible? Les pays francophones et mettre fin au dictat de l’anglais dans l’enseignement supérieur et continuer d’attirer des étudiants de l’espace méditerranéen. Certaines écoles espèrent déjà faire des cours en ligne une vitrine de la qualité de leur enseignement pour capter des étudiants, sur l’exemple de Wharton aux Etats-Unis. C’est que, communiquer par l’enseignement, est une méthode qu’a adoptée l’Université Hébraïque de Jérusalem sur coursera. La recette est donc éprouvée, mais la France accuse déjà du retard. En effet, en Grande Bretagne et en Espagne, les universités virtuelles sont une réalité, et les étudiants en sortent diplômés. Le Royaume-Uni se prépare déjà à lancer sa plateforme FutureLearn et l’Allemagne Iversity comme fer de lance de cette nouvelle vague d’e-éducation qui constitue la prochaine révolution de l’enseignement des cinq prochaines années. Au Maroc, bizarrement, on est à l’heure Américaine, puisque Myvle.com propose une plateforme d’enseignement à distance pour les enseignants et les établissements de quartiers. Les grandes écoles, elles, disposent déjà d’intranet qui contiennent les supports de cours et les travaux dirigés du programme. Effet de mode? Pas réellement. A l’heure où les fonctions de l’entreprise sont dématérialisées à travers le cloud computing, et où l’on parle de travail à distance dans le monde de l’entreprise, cette évolution n’est qu’une conséquence du saut technologique de ces dernières années. Tout le monde est connecté à tout, et en permanence, et pour peu que l’on soit équipé d’un smartphone d’entrée de gamme, on dispose d’une réactivité de l’ordre de la seconde. Bref, la société ne fait que suivre l’évolution des technologies de l’information. Qui évoluent vite.
Formation diplomante à distance ?
Seul bémol : celui de la reconnaissance des acquis universitaires sur internet. Au cours d’un précédent article dans Challenge dédié aux MOOC américains, nous avons pointé que des attestations de réussite de cours, fussent-ils décernés par l’Université de Washington, n’avaient pas réellement de valeur sur le marché du travail. Les uns pointaient le manque de suivi des cours, les autres, la crédibilité de ces certificats. Pourtant, avec son programme FUN (France Université Numérique), la République Française n’exclut par la diplomation des étudiants en ligne. Déjà, des experts anticipent sur des programmes modulaires d’une année de cours sur le campus, à la fin de laquelle, et moyennant un entretien, on peut obtenir un diplôme en tous points identique à celui obtenu par ceux ayant suivi, dès le début, les cours sur les bancs de l’Ecole Centrale. Une belle utopie? Personne ne se risque à se prononcer, mais ce qui est sûr, c’est que le Maroc a lui-même un vide à combler. Si les grandes écoles locales ne veulent pas voir leurs hauts potentiels captés par des universités françaises, sans qu’ils aient à sortir de leur chambre à coucher, il leur faudra adapter leur offre à l’international, sur le modèle des diplômes délocalisés. “La concurrence s’intensifie, mais c’est plutôt une opportunité”, analyse Driss Ksikes, directeur du CESEM, centre de recherche de HEM. Au final, entre être tiré vers le haut et nivelé par le bas, les quelques 300 marocains inscrits aux cours en ligne américains ont fait leur choix. Il y a fort à parier qu’ils se reporteront sur les sites francophones. Rendez-vous en janvier.