L’économie marocaine connaîtra-t-elle une embellie en 2013 ?
Les points de vue divergent entre Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au Plan et certains économistes. Même au sein de cette corporation, il y en a qui ne voient pas l’avenir du même oeil, même si les points de vue convergent parfois.
Ahmed Lahlimi, Haut commissaire au Plan (HCP), a estimé que la croissance devrait se situer en 2013 aux alentours de 4,8%. De son côté le Centre marocain de conjoncture (CMC), prévoit un taux de croissance de 4,5%. Pour ce faire, il se base sur le bon comportement de la campagne agricole et de la demande intérieure. Un avis non partagé par certains économistes à l’aune de la donne internationale, des risques inflationnistes et du manque d’intégration sectorielle de l’économie marocaine. Pour voir plus en détail ces regards croisés sur le devenir de l’économie marocaine en 2013, il convient d’expliquer les soubassements qui sous tendent les opinions des uns et des autres. A commencer par les prévisions du Haut Commissariat au Plan.
Une croissance «hypothéquée»
Face à la presse ce 6 février à Casablanca, Ahmed Lahlimi a exposé les réalisations de l’exercice 2012 et les prévisions de 2013. En se cantonnant à ces dernières, plusieurs constats se dégagent. Élaborés sur la base des dispositions de la Loi de finances 2013 et d’un ensemble d’hypothèses prenant en considération l’évolution de la conjoncture nationale et internationale, ces constats se basent sur une production céréalière de 70 millions de quintaux et d’une « consolidation des performances des autres cultures et de l’élevage ». Sur la base d’un ensemble d’hypothèses, le HCP table sur un taux de croissance du PIB de 4,8% en 2013 au lieu de 2,7% en 2012. Le Haut Commissariat au Plan prend soin, toutefois, de préciser qu’au cas « où les conditions climatiques devaient rester favorables notamment au printemps, la valeur ajoutée du secteur primaire pourrait connaître une hausse de 13,6% et porterait cette croissance à 5,4% ». C’est dire toute l’importance du facteur climatique. Toutefois, l’agriculture ne sera pas la seule à avoir le dernier mot, le Maroc peut toujours compter sur son principal moteur de croissance: la demande intérieure. Celle-ci « devrait rester le moteur de la croissance économique sous l’effet de la poursuite du dynamisme de la consommation finale nationale et de l’investissement brut. Ce dynamisme continuerait à être nourri par la politique budgétaire expansive et une amélioration des revenus agricoles dans un contexte de maîtrise de l’inflation », soutient Ahmed Lahlimi. Les chiffres prévisionnels parlent d’ailleurs d’eux-mêmes.
Un moteur à «deux temps»
Une consommation des ménages et des administrations publiques en croissance respectivement de 6% et de 3%; une consommation finale nationale en hausse de 5,3% et un investissement brut en progression de 4,3%. Globalement, la demande intérieure devrait s’accroître de 5% en volume en 2013 au lieu de 2,8% en 2012. Pour ce qui est de la demande extérieure, celle-ci devrait contribuer négativement au PIB à hauteur de 0,9% en raison de la combinaison de trois facteurs à savoir la crise européen, le dynamisme de la demande intérieure et la faible compétitivité de l’économie nationale. En ce qui concerne l’inflation, elle devrait se situer aux alentours de 2% contre 1,3% en 2012. Ces tendances mi-figue, mi-raisin poussent Ahmed Lahlimi à être un peu prudent quant à l’avenir et à dire que « la nature expansive de la politique budgétaire, qui a soutenu notre modèle de développement, révèle, aujourd’hui, ses limites ».
Des limites que les économistes contactés par Challenge ont essayé de pointer du doigt et qui, selon eux, constituent autant de défis. Le point de vue du Haut commissaire au Plan sur la conjoncture en 2013 n’est pas partagé par tous. Najib Akesbi, enseignant chercheur, professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV) à Rabat, estime que l’on ne peut se prononcer sur l’évolution de l’économie en raison de son extrême dépendance vis-à-vis des aléas climatiques que vers le mois de mars 2013. « Tant que le profil de la campagne agricole ne s’est pas dessiné au moins dans ses grandes lignes, toute prévision reste un exercice intellectuel intéressant, mais sujet à caution », juge Najib Akesbi. Le même avis est partagé par Mohamed Chiguer, Consultant et enseignant d’économie marocaine à l’École des sciences de l’Information (ESI), qui estime que « par rapport aux moteurs de la croissance, c’est beaucoup plus la campagne agricole qui va impacter le plus le taux de croissance. Tout va en dépendre dans un sens ou dans l’autre. Les décisions de politique économique ne vont pas beaucoup influer. La Loi de finances ne va pas relancer l’activité économique. Ce n’est d’ailleurs pas le niveau de croissance qui est primordial, mais la qualité de cette croissance, la richesse qu’elle génère et la distribution de ces richesses qui importent ».
Les Caprices de Dame Nature
Un avis repris en partie par Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences à l’Université Sultan Moulay Slimane et analyste pour www.libreafrique. org. Selon ce dernier, « grâce à une bonne pluviométrie, et sous réserve que cela continue, l’augmentation de la valeur ajoutée agricole devrait permettre une reprise de la croissance, mais une reprise contrariée par la récession qui touche notre principal partenaire économique, les pays de la zone euro (ndlr: -0,1% prévue pour 2013) ». En fait, les analystes économiques s’accordent en fait à dire que l’année 2013 sera celle de tous les défis pour le gouvernement Benkirane. Hicham El Moussaoui augure que cette année sera « l’année de la dégradation du pouvoir d’achat des ménages et d’une légère hausse du taux de chômage et de la persistance des déséquilibres macroéconomiques ». En outre, « Le déficit public ne descendra pas en dessous des 5%, contrairement au souhait du gouvernement, en raison du maintien du train de vie de l’État dépensier (ndlr: augmentation des dépenses totales de 4% dans la Loi de finances 2013), qui n’arrive même pas à couvrir ses dépenses courantes (ndlr: puisque les recettes fi scales ne couvrent que 92% des dépenses ordinaires) alors que les recettes n’augmentent pas au même rythme, ce qui va perpétuer notre déficit structurel. Avec en prime une explosion de l’endettement aussi bien intérieur qu’extérieur qui pourrait franchir cette année le seuil fatidique des 60% du PIB », ajoute Hicham El Moussaoui.
2013, l’année de tous les défis !
L’économiste en poursuivant de fil en aiguille son raisonnement esquisse des horizons pessimistes pour l’économie marocaine en 2013. « En raison de la lenteur des réformes et de la conjoncture internationale défavorable, une bonne saison agricole ne fera que l’effet d’un placebo. Pendant ce temps là nos déficits structurels continueront de se creuser hypothéquant les chances d’un véritable décollage économique », Sans vouloir jouer le rôle de rabat-joie, il déclare en substance que « 2013 sera l’année de tous les risques pour le gouvernement Benkirane car la montée de chômage, la cherté de la vie suite à l’inflation, mais aussi suite à la décompensation des produits de base et à l’augmentation du prix de l’électricité prévue, raviveront les tensions sociales, susceptibles de déstabiliser un gouvernement déjà fébrile ». Najib Akesbi tire également la sonnette d’alarme. Et ce, à deux niveaux. D’abord sur le plan extérieur et ensuite sur le plan intérieur.
Concernant nos relations extérieures, l’économiste estime que l’impact de la crise dans la zone euro, crise dont personne ne prédit la fi n en 2013, continuera d’affecter plus ou moins douloureusement l’économie marocaine à travers quatre « canaux de transmission » bien connus maintenant et que sont le commerce extérieur, le tourisme, les transferts des MRE et les investissements directs étrangers. Les défaillances enregistrées à ces niveaux continueront de plomber l’économie marocaine en 2013. « En ce qui concerne le commerce extérieur, nous sommes et resterons dans une spirale infernale, de sorte que même lorsque les exportations progressent quelque peu, elles ne font que « prendre l’escalier », quand, dans le même temps, les importations « prennent l’ascenseur » ! Le résultat est que le déficit commercial continuera de se creuser dangereusement », déplore Najib Akesbi. Si les trois autres éléments permettaient de limiter la casse jusqu’en 2007 et compensaient le déficit commercial, voire permettaient de légers excédents de la balance des paiements, force est de constater que ce n’est plus le cas depuis cinq ans et « c’est en fait une véritable descente aux enfers que nous subissons, avec des déficits extérieurs qui nous acculent à un endettement extérieur croissant, et sans pour autant empêcher une très dangereuse baisse des réserves des changes, lesquelles ont maintenant atteint leur seuil d’alerte… », avertit Najib Akesbi. Du coup, l’État pourrait être amené à s’endetter en devises davantage en 2013.
La dette, seule échappatoire ? Sur le plan intérieur, Najib Akesbi prédit une aggravation du déficit budgétaire. Selon lui, la situation des finances publiques ne va pas s’améliorer car le déficit de ressources est tel, que les recettes fi scales ne couvrent désormais que 60% des dépenses du budget général de l’État, soit un « trou » béant de près de 30% « qui ne peut être couvert que par l’endettement, et encore l’endettement, et toujours l’endettement… ». Pour pallier ce problème, il faudrait donc renforcer les recettes générées par le système fi scal, ce qui nécessite sa profonde réforme… Et selon l’économiste de l’IAV, même si pareille réforme est menée à bien, il faudra attendre quelques années
pour qu’elle produise ses effets. « Tous ces faits, tangibles, sont également structurels, et donc assez indépendants de la conjoncture.
Même si l’on veut faire preuve d’un optimisme résolu, et tabler par exemple sur un taux de croissance de 4 à 5% du PIB, cela ne changera malheureusement pas grand chose à la réalité des déficits dont je viens de parler », déclare en guise de conclusion de son raisonnement Najib Akesbi. Concernant le taux de croissance attendu en 2013, les économistes s’accordent à dire qu’il se situera entre 4 et 5%, mais minimisent l’effet d’entraînement de celle-ci sur l’économie marocaine. Mohamed Chiguer soutient que ce « n’est pas tant une question de chiffre et d’ordre de grandeur que de qualité. Au mieux, nous aurons une croissance de 4, voire 5%, et l’on va se retrouver dans le prolongement du passé ». Un son de cloche que l’on retrouve à quelques nuances près chez Hicham El Moussaoui, qui, contrairement aux prévisions de ces institutions, pense que le taux de croissance ne devrait pas dépasser les 4%.
Pourquoi ? «D’abord, parce que, même si on a une bonne récolte, la croissance de la valeur ajoutée agricole ne fera que compenser la chute du PIB non agricole ». Il avance le même raisonnement que celui de Najib Akesbi à cet égard en arguant que la crise de la zone euro impactera négativement notre économie via les quatre canaux de transmission précités.
Ensuite, en raison des risques inflationnistes, de la hausse prévisible des coûts des facteurs de production, de l’effet d’une décompensation et d’une diminution de la demande intérieure. Selon M. El Moussaoui, « le manque d’intégration de l’économie fait que le PIB agricole a peu d’effet d’entrainement sur le PIB non agricole. Même dans les années de très bonnes récoltes, le PIB non agricole n’avance pas ». Aujourd’hui, la croissance en 2013 reste plus que jamais prisonnière de la conjoncture et des aléas climatiques. Il reste à espérer que les hypothèses retenues par le HCP se réaliseront pour le plus grand bien de notre pays.■