Les chants désespérés et pathétiques des supporters
Le football défouloir des maux de la société, le football opium des peuples, le football sport roi, le football des passions et des passionnés, le football … le football, ce sport né et conçu il y a près de deux siècles est toujours aussi florissant, populaire et dangereux en raison même de cette popularité.
On est en cette année 2019 dans une époque où les discours populistes, racistes, régionalistes et donc fascistes occupent une grande part de nos actualités. Le football, phénomène social majeur est devenu gangréné par les discours et les dérives. Le public des stades jadis était composé d’amoureux du spectacle venus y encourager « leurs» joueurs et leurs couleurs tout en respectant les autres, condition sine qua non du fair-play.
Le fair-play justement, parlons-en… La FIFA a beau en avoir fait son cheval de bataille en arborant slogans et étendards avant chaque rencontre officielle avec des enfants posant au centre du terrain, jamais le fair-play n’a vu son esprit et son sens autant contestés et bousculés que par les temps qui courent. Le fair-play tous en parlent, mais personne ne l’applique à commencer par les instances officielles souvent prises la main dans le sac en train de combiner le résultat, et donc le sort d’un match.
L’injustice, c’est le contraire du fair-play…, or quand le sentiment d’injustice s’est installé sur les champs de jeu, des chants à la «gloire » des arbitres et des juges ont commencé à être entonnés à brûle pourpoint. On se souvient tous des noms d’oiseaux dont ont souffert les arbitres, malheureux souffre-douleur et authentiques boucs émissaires.
Peu à peu la contestation s’est étendue sur les dirigeants. Dans les années 80 le premier à en avoir souffert a été le regretté Abderrazak Mekouar à qui on reprochait tout et n’importe quoi. Trop riche, trop brillant, cet homme technocrate incontournable fut pris à partie par le public Wydadi qui ne comprenait pas ses actions. Ainsi le complexe, idée révolutionnaire pour l’époque, fut moqué et considéré comme moyen de détourner de l’argent. On entendit alors partout ces insultes : « Ya Mekouar, ya chaffar ». L’antagonisme grimpa d’un cran lors du transfert de Bouderbala en Suisse (transfert qui changea le destin du talentueux Aziz) quand Mekouar fut traîné en justice par des « supporters » le soupçonnant d’avoir caché la réalité financière du transfert. Quoi que faisait Mekouar était source de critiques, parfois très cruelles, et bien souvent injustes. Même réhabilité et encensé désormais, feu Mekouar a donc, de son vivant, goûté à l’injustice. Il n’a jamais eu, ou jamais pu, réellement s’en défendre et en a souffert durant une bonne partie de sa vie.
A titre individuel, il est très difficile de penser convaincre de son innocence, quand on est accusé. Le pire c’est que l’on vous renvoie le proverbe calamiteux qui veut « qu’il n’y ait pas de fumée sans feu » et on laisse la victime se dépatouiller avec les accusations. Au mieux on la plaint, au pire on l’accable au nom de la bien pensance.
Mais quand l’injustice est ressentie par une grande majorité de la société et que de beaux discours et de beaux parleurs ont réussi à y faire naître un sentiment de « hogra », alors on assiste à ce qui est en train de se produire aujourd’hui sur nos stades.
Des stades où l’on ne se contente plus de vilipender l’arbitre ou de fustiger les dirigeants et responsables fédéraux du football car, maintenant, la foule des tribunes est passée au stade supérieur, si on peut dire.
Aujourd’hui, on lance avec un ensemble parfaitement chorégraphié des phrases vengeresses du style : « Avec notre argent, vous construisez vos villas » ou «Vous nous avez tout pris et rien laisser» ou encore que : « Mawazine et Chakira ont bouffé notre argent », en scandant, en guise de conclusion que : « Vous nous avez privé d’éducation, vous avez détruit notre santé et vous nous avez envoyés au service militaire ».
Cela est alarmant et devrait interpeller toutes les consciences pour un examen sociologique sérieux et approfondi. Ce qui se dit et se chante dans les tribunes est grave, car il reflète la manière de penser de nos jeunes dans une très large part de notre société. Des jeunes qui s’en balancent de tout perdre, parce que, au départ ils ont le sentiment de n’avoir rien et ils pensent – sincèrement – que s’ils n’ont rien c’est parce qu’on ne leur a rien donné – ou pire encore, qu’on leur a pris ce qui devait leur revenir.
Dans le camp des « on », mettez qui vous voulez, les gouvernants, les partis, les ministres, les riches, bref tout et même vous et moi, oui tous, sauf eux, les laissés pour compte, qui n’ont d’autre choix que d’exprimer leur mal être et leur ras le bol, en attendant de prendre la mer et aller chercher ailleurs ce qu’ils n’ont pu trouver dans leur pays.
La situation est-elle si grave que cela ?
Certains le disent, et il y en a même qui allument les brasiers volontairement et même involontairement par des comportements irréfléchis que la toile s’empresse de diffuser.
Tout cela a commencé, on l’a vu, par l’attaque contre les dirigeants de clubs, chacun en a pris pour son grade – y compris les plus gradés – et puis ça s’est étendu. Le foot n’est plus la soupape de sécurité il est en train de devenir le moteur de toutes les contestations.
Est-ce grave ? Est-ce dangereux ?
En tout cas c’est spectaculaire, et ce phénomène peut devenir, s’il ne l’est déjà, révélateur. Révélant un malaise il dévoile aussi un malentendu.
Tous les riches et les gouvernants comme tous les responsables ne sont pas tous des pourris.
Les pauvres, les gueulards et les lanceurs d’anathèmes eux aussi ne sont pas tous des anges. Loin de là.
Aussi, il va falloir observer et analyser scientifiquement et culturellement la situation et comprendre que si, au Maroc, les motifs de mécontentement sont certainement nombreux, ils ne peuvent modifier la nature profonde des Marocains qui placent leur confiance sur les vraies valeurs de la société.
Des valeurs ancestrales et qui ont fait leurs preuves.
Pour l’instant.