Les deux défis du Maroc: Diversification et emploi
L’OCP a fait appel à Dr. Shantaynan Devarajan, l’économiste en chef pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) à la banque mondiale et Jean Pierre Chauffour, économiste principal de la même institution à Rabat dans le’ cadre de son cycle de conférence. Pour ces experts, si le Maroc veut atteindre le niveau de la Corée aujourd’hui, il devra accélérer durablement et pendant 20 ans, la croissance avec un taux de 10%.
« Les transitions économiques dans la région MENA : enjeux et perspectives pour le Maroc »: tel était le thème de la conférence-débat organisée vendredi dernier par le think-tank OCP Policy Center.
L’Economiste en chef, Shantayanan Devarajan a traité de la problématique de la diversification et de l’emploi. Il a relevé qu’une croissance accélérée constitue la clef pour le développement du Maroc qui se doit de relever les deux défis de la diversification et l’emploi. Devarajan estime que trois contraintes entravent ou empêchent la diversification dans n’importe quel pays et qui sont : l’infrastructure, la formation et les politiques industrielles. Toutefois, il considère que ces trois contraintes ne sont pas d’ordre technique ou une question de ressources mais plutôt une question de politique et de bonne gouvernance.
Il a cité l’exemple de l’eau en Inde et la question brûlante des subventions qu’il considère comme un outil de propagande politique.
S’il faut subventionner l’eau pour les pauvres, où trouver les subventions sinon chez les politiques qui les contrôlent et de fait, les services rendus aux pauvres sont politiquement rentables. Par conséquent, et du fait même de ces subventions, il est très cher d’être pauvre !
Idem pour le secteur du transport. L’économiste en chef prend l’exemple de l’Afrique sub-saharienne où les coûts ne sont pas les élevés au monde mais il s’agit d’un problème de monopole et de lobbies qui empêchent la déréglementation.
Il en cite pour preuve le Rwanda qui déréglementé le transport et du coup, les prix ont chuté.
La bataille des ressources humaines
Abordant le dossier de l’éducation et de la formation, Devarajan a souligné que la région MENA est à la traine dans de nombreux pays. Il donne l’exemple du Koweït qui dispose du robinet pétrodollars et où la situation est pire que celle des Palestiniens dont le niveau est des plus performants dans le monde arabe. Comme quoi, ce n’est pas une question de moyens mais plutôt d’une volonté politique. Faisant parler les chiffres, Devarajan a affirmé que 5% des élèves dans la région MENA manquent de professeurs de mathématiques et un absentéisme élevé des enseignants qui est de l’ordre de 5%.
La même pandémie frappe le secteur de la santé. Ainsi et toujours l’exemple du Yémen, l’absentéisme des prestataires de services est de 27%. Le conférencier e estime que le mal réside dans la bonne gouvernance et en l’absence d’incitations et de primes expliquent la fuite des compétences vers le secteur privé.
Soulevant la question du droit du citoyen à l’information, Devarajan a cité l’exemple de l’Ouganda, pays plus pauvre que le Maroc, pour illustrer l’importance de la diffusion de l’information auprès des pauvres. En 1995, les dons destinés à l’éducation primaire en Ouganda étaient de 13%. Une fois ce chiffre diffusé dans les quatre coins du pays, la population a exigé des explications et de la transparence. Du coup et comme par hasard, ce chiffre est passé à 80% en cinq ans.
Quant à la question des incitations et le problème de l’absentéisme, le Rwanda y a remédié en accordant une prime basée sur la performance quant au nombre d’enfants vaccinés ou celui des femmes consultées. Par ces primes, les indicateurs de la santé se sont nettement améliorés. Il en ressort que l’absentéisme est un problème de politique économique.
Concluant sur la décentralisation et l’importance de la politique de proximité fondée sur la bonne gouvernance et le droit du citoyen à l’information et L’Economiste en Chef a été économe dans le verbe et éloquent dans l’exemple. Il a cité le Bangladesh, l’un des pays les
plus corrompu monde. Dans ce pays, le département des travaux publiques a construit un pont dans un village qui n’a pas tenu plus de six moins après son inauguration. On a alors donné la même somme aux villageois qui ont reconstruit le même pont. Les experts ont été unanimes pour dire qu’ils ont construit le pont le plus fiable.
Auparavant, Jean Pierre Chauffour, économiste principal de la Banque mondiale à Rabat, a mis la conférence dans son contexte marocain.
Dans son intervention, il a commencé par souligner que l’ambition de la banque mondiale au Maroc pour cette année est de travailler avec l’OCP Policy Center sur un nombre de thématiques afin de nourrir le débat.
Abordant les enjeux de la croissance pour le Royaume en 2014, Chauffour a d’abord commencé par mettre en perspective la croissance du Maroc depuis l’indépendance, relevant que le pays a connu une économie de croissance en trois phases. Ainsi, le Royaume a connu une croissance modeste pendant un certain temps avec un BIP de l’ordre de 1500 dollars. Il a fallu toute une décennie, à la fin des années 1990 pour voir le pays se mettre à un taux plus soutenu. Chauffour a mis en exergue la forte relativité de la croissance et sa fluctuation dont le taux est lié à l’agriculture même si le poids de cette dernière a diminué.
Le conférencier a par la suite présenté trois scenarii de la situation du Maroc à l’horizon 2034.
Trois scénarii: Corée du Sud, Turquie ou un PIB de 5000 dollars
Pour le premier cas, il souligne que le PIB pourrait atteindre les 5000 dollars à la condition de réaliser un taux de croissance moyen de 4,5% sur les vingt prochaines années. Il s’interroge, néanmoins, sur la question de savoir si ce taux est suffisant pour atteindre les objectifs surtout que les attentes de la population sont grandes et profondes. D’où, un deuxième scénario qui permettrait de porter le niveau du Maroc à celui de la Corée du Sud qui a réussi à rejoindre en deux générations, les pays avancés. Dans un scénario optimiste pour 2034, le Royaume devra accélérer durablement et pendant 20 ans, la croissance avec un taux de 10%.
Entre ces deux scénarios extrêmes, il y en a un de niveau intermédiaire, celui d’un Maroc atteignant le niveau de la Turquie d’aujourd’hui. Pour ce faire, il lui faudra un taux de croissance de 6% tout en combinant le capital humain et physique pour un meilleur gain de productivité et générer de la croissance par le biais de facteurs endogènes tels que l’éducation et la formation, la santé et l’investissement dans des secteurs rentables et productifs.
Revenant sur le processus actuel au Maroc, Jean pierre Chauffour a souligné que les institutions demeurent les clefs pour déterminer le sort de tout pays. A cet égard, il a relevé que la constitution marocaine de 2011, est plus inclusive et moins exclusive. Il a évoqué les questions des libertés économiques, la justice, la bonne gouvernance et le rôle de la société civile comme contre pouvoirs et le droit à l’information. Concernant ce dernier point, Chauffour a affirmé que son bureau de Rabat est très actif pour la mise en place de ce droit en ouvrant le débat avec la société civile entre autres avec un objectif affiché pour 2014 : « une société plus ouverte pour une économie prospère
et résiliente. Il a conclu son intervention en affirmant que la Banque mondiale a une valeur ajoutée grâce aux débats et discussions pour faciliter la transition et que le rôle de cette institution ne se limite pas uniquement à l’octroi de prêts.
Le débat a tourné par la suite autour diverses questions axées sur l’économie de rente, le problème de la caisse de compensation et des subventions, de l’énergie ou celui du transport, la transparence dans l’octroi des appels d’offres, les relations du Maroc avec la Banque mondiale et son fameux PAS (Plan d’ajustement structurel) initié en 1983,les rapports avec l’Union européenne et la nécessité pour le Royaume de développer de développer de nouvelles niches et de jouer la carte de l’accord de libre échange pour grignoter des parts pour un marché de 500 millions de consommateurs .
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Encadré
OCP Policy Center (OCPPC) est un Think Tank marocain établi en 2011 avec l’appui de la Fondation OCP. Le Thinktank a pour ambition d’être une plateforme de débats et de réflexions intellectuels, un incubateur d’idées pour être forcede propositions pour les décideurs et parties prenantes.
L’objectif principal étant de mettre à disposition des politiques publiques des études et analyses dans le but decontribuer au développement économique et social, plus particulièrement au Maroc et dans les économiesémergentes. Il promeut également la production de recherches et d’analyses indépendantes, il vise à créer un environnement propice au débat public notamment sur des sujets tels que l’agriculture, l’environnement, la sécurité alimentaire, la politique macroéconomique, le développement économique et social, l’économie régionale, l’économie des produits de base, l’énergie et les tendances-clés des évolutions régionales et mondiales qui façonnent l’avenir du Maroc.
Pour ce faire, OCP Policy Center a mis en place de nombreux partenariats avec des think tank et des centres de recherches basés au Maroc et à l’international. Dans cette même dynamique, OCPPC accompagne égalementvia son programme de Young Leaders, le développement d’une nouvelle génération de leaders marocains et africains dans les domaines public, privé, et au sein de la société civile.