«Les entreprises qui nous sollicitent ont une attente qui va au-delà du financement»
Deux ans après le démarrage de son programme au Maroc, la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) poursuit son intégration dans le marché national. La banque européenne, qui investit dans des projets et à quoi s’ajoutent des lignes de crédit aux banques marocaines, finance aussi directement les entreprises privées. Son directeur au Maroc explique. propos recueillis Par Adama Sylla
La BERD finance directement les entreprises privées marocaines comme c’est le cas récemment avec Maghreb Industries. Pourquoi ?
Laurent Chabrier : Depuis 1991, la Banque est reconnue pour ses investissements indirects et directs dans le secteur privé à travers deux volets principaux. Le premier concerne le financement indirect par le biais d’intermédiaires, en l’occurrence les banques locales auprès desquelles nous mettons en place des lignes de crédits (avec des thématiques particulières incluant le trade finance, le financement PME, l’efficacité énergétique) à placer auprès de leur clientèle à travers l’ensemble de leurs réseaux. En parallèle, la BERD est également présente dans le tour de table de fonds de capital investissement (par exemple Capital Invest, Maroc Invest, Mediterranea Capital et Abraaj).
Un deuxième volet est le financement direct des entreprises, à travers des prêts ou des prises de participation, pour proposer une offre adaptée à des besoins particuliers. La complémentarité de notre offre consiste en l’introduction de certains produits financiers plus rares ou innovants en raison des pratiques bancaires locales, ou du manque de l’assistance nécessaire aux clients pour aborder ce type de produits. A travers ce type d’investissement, nous avons une meilleure maîtrise de l’usage du financement et nous contribuons mieux à tirer vers le haut la performance de l’entreprise à travers nos mécanismes d’accompagnement et d’assistance technique, aussi bien en amont qu’en aval à travers nos activités Small Business Services (SBS). Il s’agit également, d’une opportunité pour bénéficier d’un retour d’expérience de nos clients, ce qui nous permet de mieux appréhender les grandes orientations du marché et ainsi, adapter nos offres de financement. Les transactions que vous avez citées sont, pour nous, intéressantes à plusieurs titres. D’abord, parce que ces entreprises ont vocation à être des exemples de nos capacités de financement sur mesure à travers l’ensemble de la structure du capital (dette senior, émission obligataire, mezzanine, fonds propres, possibilité de financement en devises et en dirhams). Ainsi, nous avons été la première institution financière internationale à supporter une émission obligataire en dirhams pour une entreprise privée Marocaine à travers l’investissement Zalagh (première émission obligataire notée par une agence internationale). Nous donnons l’exemple par nos propres opérations, mais sensibilisons en même temps les banques, les investisseurs et les entreprises à l’intérêt certain de ces mécanismes.
Que doit faire une entreprise privée marocaine pour bénéficier du financement direct de la BERD ?
Tout d’abord, la BERD n’a pas vocation à financer des projets qui ne seraient pas viables économiquement, chaque projet est jugé pour ses propres mérites. En parallèle à une revue de certains aspects des entreprises à financer comme la gouvernance, la responsabilité sociale et environnementale, nos comités d’investissement vont évaluer le projet en termes de risque crédit, de faisabilité économique et de rentabilité financière.
Si nous analysons les projets de façon commerciale, nous prenons également en compte l’intérêt du projet proposé au regard des directions stratégiques qui ont été identifiées conjointement avec les autorités marocaines. A cet égard, nous sommes amenés à privilégier certains axes de développement. Par exemple, nous pouvons citer le thème de l’efficacité énergétique, dans lequel nous avons beaucoup d’expérience, et qui se développe au Maroc.
Cependant, les sociétés qui nous sollicitent ont une attente qui va au-delà du financement. L’image ou l’institutionnalisation que nous pouvons proposer à une entreprise est également valorisée. Dans ce sens, les entreprises qui ont des volontés exportatrices sont à la recherche d’un partenariat financier et d’une labellisation à travers les normes internationales imposées par la BERD en termes de bonne gouvernance et de gestion opérationnelle. Dans la mise en place de notre stratégie, nous nous sommes attachés à la complémentarité des actions d’ores et déjà menées par les banques locales et les autres institutions internationales comme la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, la SFI, ou la Banque Islamique de Développement. Etant donné que beaucoup de ces institutions viennent souvent en appui d’un plan sectoriel ou d’une vision stratégique lancée par les autorités marocaines, nous n’allons pas déroger à cette idée. En revanche, nous souhaitons être dans une logique beaucoup plus ouverte pour apporter des réponses à des sous-secteurs, non pas moins importants, mais plutôt plus périphériques qui ont tout autant besoin d’aide. C’est pour cela que nos axes sont plutôt transversaux. Ainsi, la BERD a adopté une vision plus horizontale dans cet esprit de complémentarité.
Rares sont les entreprises qui connaissent vos produits. Qu’avez-vous prévu pour vous rapprocher de cette clientèle ?
La BERD ne s’est implantée que récemment au Maroc depuis septembre 2012 et nous ne sommes pas une banque de réseau. Cependant, nous communiquons davantage et comptons sur la presse pour nous aider dans ce sens.
Par ailleurs, nous pouvons mentionner le premier forum des affaires de la BERD dédié à la région Sud-Est de la Méditerranée co-organisé avec la CGEM le 4 novembre 2015 et l’ouverture d’un bureau satellite à Tanger qui nous offriront une plus grande visibilité.
Quelle est la stratégie «Maroc» de la BERD pour soutenir l’entrepreneuriat ? Et comment en bénéficier ?
La stratégie pour le Maroc de la BERD a été définie conjointement avec les autorités marocaines dans un processus inclusif associant la société civile, les autres organisations internationales actives au Royaume et les représentants des entreprises. L’un des axes prioritaires de notre stratégie est de promouvoir le développement du potentiel entrepreneurial. Alors que l’esprit d’entrepreneur a toujours été enraciné au Maroc, son potentiel est limité par un climat des affaires pas toujours suffisamment propice. Les entreprises privées n’ont pas un accès suffisant au financement et font face à un éventail d’obstacles bureaucratiques et juridiques, qui les empêchent de se développer, à la fois sur le marché domestique et à l’exportation. Parmi les autres obstacles figurent le niveau élevé de l’informalité, et le manque d’incitations à innover aussi bien pour les sociétés que leurs financiers.
Comme mentionné précédemment, la BERD soutiendra des instruments de financement indirect et direct à travers l’ensemble de la structure du capital des entreprises. La BERD travaillera avec les banques partenaires et les institutions de microcrédit, dont les réseaux et la connaissance des clients complètent ceux de la Banque, pour aider les petites et très-petites entreprises. Cet objectif sera atteint grâce à des programmes impliquant des tiers et démontrant les bénéfices résultant de la formalisation et de la transparence pour faciliter l’accès au financement.
Ces efforts seront complétés par les activités du programme Small Business Services (SBS) qui met en place des missions d’assistance technique pour renforcer la compétitivité des entreprises sur les marchés nationaux et internationaux, en leur donnant accès à des services de conseil en vue d’améliorer leur gouvernance, leurs processus industriels et opérationnels, et de faciliter l’adoption des meilleurs standards internationaux. Afin de démultiplier son impact et d’augmenter ses capacités de déploiement, ce programme s’ouvrira encore plus aux régions à travers l’ouverture d’un bureau satellite à Tanger, et capitalisera sur son expertise en mettant en place des partenariats stratégiques avec des associations représentant les PME comme la CGEM ou les agences nationales de support aux PME comme l’ANPME. La Banque assurera également, la promotion de l’entrepreneuriat féminin et son accès au financement.
Quel est aujourd’hui le bilan en termes d’investissement ?
Depuis 2012, la BERD a investi près de 630 millions d’euros au Maroc à travers 21 projets (incluant Label’Vie, Zalagh, Maghreb Industries, BMCE, Lesieur Cristal, Citruma…) dans différents secteurs (agribusiness, institutions financières, immobilier, infrastructure, énergie, private equity), et près de 130 millions d’euros dans des lignes de financement des échanges commerciaux (trade finance) avec les banques locales. Ses investissements ont êté réalisés en devises (EUR ou USD) et en dirhams et à travers l’ensemble de la structure du capital (dette senior, émission obligataire, mezzanine, fonds propres). La BERD a également fourni de l’assistance technique à près de 200 entreprises locales dans le pays à travers ses activités SBS.
La BERD a exprimé un intérêt à développer un partenariat avec la Bourse de Casablanca. Pourriez-vous nous éclaircir sur ce projet ?
La BERD a exprimé un intérêt particulier à travailler et éventuellement bâtir un partenariat stratégique avec la Bourse de Casablanca. La Bourse de Casablanca est un acteur majeur du marché des capitaux qui constitue un des axes prioritaires de travail de la BERD dans sa feuille de route agréée avec les autorités marocaines. Nos expériences de partenariat avec différentes bourses d’Europe de l’Est et en Turquie, ont démontré l’intérêt de travailler conjointement pour faciliter l’accès des entreprises et en particulier des PME au marché des capitaux.
La BERD a obtenu récemment, un agrément pour le financement en dirhams. Qu’est-ce que cela va changer ?
Grâce au concours précieux des autorités marocaines, nous sommes la première banque non-domestique à être autorisée à lever des Dirhams par le biais de « swaps » de devises, Dirhams que nous remettons à la disposition de nos clients dans le cadre de nos investissements.
La Banque cherchera notamment, à promouvoir des financements qui ne sont pas encore largement répandus au Maroc, en particulier la mezzanine. Par ailleurs, la BERD souhaite être un catalyseur dans les émissions obligataires à travers notre image d’investisseur institutionnel international. Nous avons expérimenté cela avec la transaction Zalagh.
Son ACTU
L’institution qui co-organise avec la CGEM ce 4 novembre le 1er forum des affaires de la BERD dédié à la région Sud-Est de la Méditerranée, finance directement de plus en plus les entreprises privées marocaines, comme c’est le cas récemment avec Maghreb Industries.
Son parcours
Ce diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole nationale supérieure des techniques avancées, a en charge la supervision des opérations du bureau de la BERD au Maroc depuis son ouverture en février 2013. M. Chabrier a travaillé depuis plus de 15 ans à la BERD au sein de l’équipe énergie, comme ingénieur et financier, développant des projets dans la plupart des pays d’opération de cette institution. Avant de rejoindre la BERD, il a travaillé au sein du Groupe Alstom dans l’équipe en charge des fusions et acquisitions. Auparavant, il a également travaillé au sein de l’administration française pendant cinq ans.