Les exemples coréen et turc
La Corée n’a pas plus de ressources naturelles que le Maroc et en plus est très éloignée de ses marchés d’exportation, pourtant elle figure parmi les dix premières puissances économiques mondiales. La Turquie est passée en l’espace d’une dizaine d’années d’un stade de pays économiquement sinistré au stade de 15ème puissance économique. La question qui se pose est de savoir si un tel miracle est possible pour le Maroc.
Il est édifiant de constater que des pays tels que la Corée du Sud, ou plus récemment la Turquie, se sont développés très rapidement alors même que ces pays sont dépourvus de ressources naturelles. Ce sont véritablement des cas d’école en matière d’expériences réussies. Prenons le cas de la Corée du Sud, petit pays de la taille du Portugal devenu en une trentaine d’années l’une des dix plus grandes puissances économiques de la planète. Quelles sont les raisons de ce « miracle » ? Il y a d’abord l’environnement international de l’époque, à savoir le fait que ce pays est sorti exsangue, en 1953, d’une guerre avec son voisin du nord, doublée d’une famine terrible qui a fait des millions de morts. Il fallait donc reconstruire le pays, à l’instar de l’Europe au sortir de la seconde guerre mondiale. Dans cette reconstruction, les Etats-Unis, soucieux de maintenir, voire renforcer leur hégémonie en Asie ont joué un rôle déterminant dans la mesure où ils ont injecté des milliards dans l’économie coréenne afin d’aider ce pays à se relever. Il ne faut pas oublier le contexte de guerre froide qui prévalait à l’époque et la politique d’« endiguement » (containment) mise en place par l’Amérique.
Ensuite, il y a les facteurs d’ordre interne, à savoir la vision long termiste qu’avaient les dirigeants sud-coréens, en particulier le général Park Chung-hee (père de l’actuelle présidente) qui a mis en place les principales réformes économiques qui ont permis à la Corée de se hisser dans le top ten des puissances économiques. Ces réformes ont permis à la Corée de transformer en profondeur son économie, à travers notamment l’industrialisation, le développement des exportations et la modernisation de l’agriculture. C’est sous son règne que furent créées notamment les fameux chaebols, ces gigantesques conglomérats familiaux aux ramifications tentaculaires dont certains comptent parmi les multinationales les plus puissantes de la planète (Samsung, LG, Hyundai, etc.). La vision économique était simple : construire tout d’abord une industrie locale à travers la mise en place de plans qui ont permis de développer tour à tour les secteurs du textile, puis de la construction navale, et enfin l’automobile et l’électronique de pointe ; protéger ensuite cette industrie à travers des mesures protectionnistes ; permettre enfin, de manière contrôlée et graduelle, l’investissement direct étranger tout en veillant à bénéficier du transfert de technologie. Une fois que la Corée a réussi son décollage économique, elle s’est lancée, à travers ses chaebols soutenus par l’Etat, dans la conquête des marchés internationaux en inondant le monde de ses produits à forte teneur en valeur ajoutée. C’est ce qu’on appelle dans le jargon économique un modèle de croissance extraverti.
Bien entendu, ce développement n’a pu être effectué dans un système éducatif compétitif et performant) et un patriotisme économique aigu. En ce sens, les valeurs boudhistes et le profond nationalisme des coréens a été le socle sur lequel s’est basé ce développement. Au final, volonté politique, vision et planification, continuité, patriotisme économique, développement des exportations sont les ingrédients qui ont conduit à ce succès. La Turquie tente d’emprunter la même voie, même si les conditions ne sont pas les mêmes. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement de Recep Erdogan a mis en place un certain nombre de réformes très libérales, dont certaines ont porté leurs fruits ; mais il a su surtout améliorer substantiellement la compétitivité de son pays, à travers notamment le développement des exportations. La Turquie est aujourd’hui la 15ème puissance mondiale et le pays compte un nombre important de grands groupes industriels opérant un peu partout, dont notamment en Afrique.