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Les grandes villes se développent sans plans d’aménagement

Incroyable, mais pourtant vrai : nos grandes villes n’ont pas de plans d’urbanisme. Ni schémas directeurs, ni plans d’aménagement. C’est ce que nous a révélé une source proche du ministère chargé de l’Urbanisme. Cette situation est quasi-générale. Du Nord au Sud, aucune grande ville n’a de document d’urbanisme homologué. C’est le cas de Tanger-Tétouan, de Rabat-Salé, de Fès-Meknès, de Marrakech, d’Agadir et de bien d’autres agglomérations, à l’exception notable de Casablanca. par S.A

Depuis la mise en place de la Dérogation en 1999, et surtout depuis 2003, l’urbanisme, en particulier dans les grandes villes, a échappé dans une large mesure aux services centraux. Les schémas directeurs d’aménagement urbain, élaborés par Michel Pinceau pour les grandes villes en 1996, ont été dépassés. Nos grandes villes se développent sans aucune planification et sans aucune vision d’ensemble et les initiatives majeures dans ce domaine reviennent à travers le processus dérogatoire, aux walis et aux gouverneurs. Désormais, la ville se fait localement au gré des initiatives des promoteurs immobiliers et des autorisations de dérogation accordées par les walis. L’urbanisme est marqué par une tension permanente entre des acteurs étatiques qui ont des compétences juridiques qu’ils ont du mal à exercer et des acteurs locaux qui utilisent les failles des procédures pour bloquer ou ralentir l’élaboration des plans d’urbanisme et faire la ville selon leur vision. D’où la situation paradoxale suivante : quand on veut ouvrir une zone à l’urbanisation, on négocie avec les walis et les gouverneurs. Mais quand il y a des problèmes dans une ville, on accuse le ministère chargé de l’Urbanisme, qui est alors sollicité pour réparer les dégâts causés par les initiatives des autres acteurs.
On est dans un système de confusion de pouvoirs qui aménage des zones d’ombres ce qui permet à de puissants acteurs locaux de capter les profits de l’urbanisation, de se replier et de renvoyer la responsabilité des problèmes qu’ils ont suscités par leurs initiatives, sur d’autres.

Vers des villes sous-équipées et sans espaces verts

Selon les services du ministère de l’Urbanisme, l’absence de plans d’aménagement a conduit à un usage abusif de la dérogation qui reste entachée par certaines déficiences en raison de l’absence de critères précis d’éligibilité des projets pouvant en bénéficier et de transparence dans la procédure de délivrance des autorisations dérogatoires. Les conditions imposées à cet effet sont assez générales et permettent une large interprétation. Dans un environnement global, de plus en plus propice aux enjeux politiques et économiques, la procédure de dérogation s’est déroulée à plusieurs coups à l’encontre de l’intérêt général. En effet, l’approche qui sous-tend l’instruction des dossiers de dérogation ne permet guère de s’assurer de la durabilité et de l’efficience des investissements. Dans la pratique, la dérogation a conduit à la suppression et au rétrécissement des emplacements réservés aux équipements publics et aux espaces verts. Le déficit de planification a entraîné un phénomène de bétonisation qui a empiété sur une superficie de près de 1.000 ha dédiés initialement à des installations d’utilité publique, dont près de la moitié d’espaces verts. Cette situation est alarmante, sachant que, selon les services de l’urbanisme, des études ont démontré que 65% des villes marocaines représentent des ratios inférieurs à un mètre carré d’espaces verts par habitant, alors que la norme internationale préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé est dix mètres carrés d’espace vert/habitant.
L’absence de plans d’urbanisme a donné lieu à la réalisation des projets urbains sur des terrains non équipés, sur des zones agricole intensives, sur des ceintures vertes, sur des réserves naturelles, dans des zones de boisement ou sur des nappes phréatiques. Par ailleurs, le déficit de planification urbaine, contribue à la création d’un mode de production de l’espace urbain localisé sans vision d’ensemble susceptible de provoquer des discontinuités spatiales et des incohérences socioéconomiques, architecturales et environnementales.
L’absence de planification risque d’avoir des impacts économiques considérables pour notre pays. L’étalement urbain entraine un gaspillage du foncier, aggrave les charges de gestion des différents réseaux urbains (transports, eau potable, assainissement, électricité…) et la prolifération de l’habitat insalubre défigure nos grandes villes, réduisant leur attractivité et minimisant leur chance dans la compétition entre les métropoles à l’échelle internationale.

 
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