Les impacts de la pandémie de coronavirus sur la pharmacie au Maroc [Tribune]
Cette année, La pandémie Covid-19 qui dure depuis mars dernier a impacté tout le secteur pharmaceutique dans le monde. Au Maroc, cette situation sanitaire a vu la mobilisation de tout les professionnels de santé contre ce virus, parmi eux le pharmacien d’officine, mobilisé 7/7 est devenu plus que jamais un acteur de santé incontournable pour le respect des mesures préventives obligatoires décidées par le gouvernement.
Depuis le 7 Avril, la décision gouvernementale du port obligatoire des masques de protection comme barrière de prévention des contaminations par le Coronavirus et de sa dispensation exclusive par les pharmaciens d’officine, avait attiré l’attention sur le rôle incontournable du pharmacien dans la prévention pour une meilleure éducation sanitaire de la population. Sans vous rappeler le rôle du Pharmacien d’officine comme un professionnel de santé, de par sa formation pluridisciplinaire, seul dispensateur des médicaments, de conseiller pour ses patients pour un bon usage des médicaments et en ce moment de crise sanitaire, il est appelé à jouer un rôle dans l’éducation sanitaire et dans la prévention grâce à sa position de proximité et de disponibilité partout au Maroc, et à la bonne répartition géographique des 12000 pharmacies.
Suite à la proposition de loi déposée par l’Istiqlal pour l’amendement du code du médicament et de la pharmacie loi 17-04, permettant au pharmacien de délivrer un médicament générique à la place du princeps de référence prescrit par le médecin, ce droit de substitution est l’objet d’un débat actuel entre médecins, pharmaciens, le ministère de la Santé et les organismes de gestion de la couverture médicale. Ce droit de substitution accordé aux Pharmaciens d’officine, est par définition la possibilité de délivrer un médicament générique de même qualité et de prix réduit au patient à la place du médicament de référence ou princeps prescrit par le médecin traitant. Au Maroc, ce droit figure parmi les revendications des instances professionnelles des pharmaciens, Conseil de l’Ordre et syndicats et ce, depuis des années sans résultats jusqu’à présent du fait du manque de volonté de décision administrative devant les réserves exprimées par certains médecins. Pour information, ce droit à été adopté en France en juin 1999 et aussi en Algérie depuis 2009, sans oublier son adoption en Allemagne, aux USA et autres pays. Plusieurs facteurs jouent en faveur de l’adoption de ce droit de substitution au Maroc dont :
1 – Toute politique Pharmaceutique a pour objectif de faciliter l’accès aux soins et aux médicaments essentiels pour l’ ensemble de la population.
2 – L’encouragement par l’État de la production et de la consommation des médicaments génériques, mais aussi leur prescription par les médecins.
3 – Le mode de remboursement des médicaments par les organismes gestionnaires de l’AMO, CNOPS et CNSS sur la base du prix du générique quand il existe, sachant que ces génériques sont moins chers que les médicaments princeps.
4 – La non généralisation de la couverture médicale et le faible pouvoir d’achat des couches défavorisées, constituent un handicap pour l’accès aux médicaments sans parler des médicaments coûteux des maladies chroniques.
5 – La problématique des ruptures de stocks de certains médicaments au niveau des officines pour des raisons multiples que nous allons développer pour justifier la nécessité de recourir aux génériques à la place des médicaments princeps ou de référence avec sa molécule d’origine si on peut dire.
Pendant des années, nous avons connu ce phénomène au Maroc comme au niveau International, dans le cadre de la mondialisation et des échanges commerciaux dominés par les grands laboratoires pharmaceutiques et de certains pays producteurs de matières premières pour la fabrication des médicaments surtout en Asie, Chine et Inde. Pour notre production pharmaceutique locale, toutes ces matières premières et excipients ou conservateurs sont entièrement importées de l’étranger. Malheureusement, en cette période de pandémie et ses impacts négatifs sur les importations de ces matières et aussi des produits finis, ces ruptures constituent un problème pour nos patients et aussi pour les prescripteurs et pharmaciens. La deuxième raison réside aussi dans une forte demande sur certains médicaments importés ou même fabriqués localement.
En 2019, la Direction du Médicament et de la Pharmacie ( DMP) du ministère de la Santé avait enregistré plus de 400 médicaments en rupture dans les officines, dont 30 % en antibiotiques et 20 % en anticancéreux, sans oublier le Levothyrox pour les maladies du goitre et qui a été réquisitionné par le ministère de La santé. En Mars 2020, ce problème s’est posé pour plusieurs médicaments essentiels qui n’ont pas de génériques pour les remplacer dans certaines pathologies cancéreuses, infectieuses et hormonales. Purement financier, le pharmacien officine est perdant en décidant cette substitution d’un princeps par un générique moins cher, du fait que l’économie de son officine est tributaire de son chiffre d’affaires et de sa marge très réglementée par la loi sur les prix des médicaments. En France, des mesures d’ accompagnement ont porté sur le mode de rémunération des pharmaciens pour assurer l’équilibre économique de l’officine. Ces mécanismes doivent être définis et réglementés dans un accord tenant compte des intérêts de tous les intervenants ; médecins, pharmaciens, Agence nationale de l’assurance maladie et ministère de la Santé.
En France, on avait fixé comme objectif de ce droit de substitution, le taux de 85 % de prescription des génériques au lieu des médicaments princeps plus chers, en motivant financièrement les Pharmaciens d’officines et aussi, en pénalisant les prescripteurs ne respectant pas cet objectif national, suite à un commun accord . La prescription médicale en Dénomination Commune Internationale( DCI ) , au lieu du nom commercial détenu par le laboratoire fabricant, serait une façon d’encourager la prescription des génériques tout en sensibilisant les patients du bon choix de ces génériques au lieu des princeps plus coûteux pour eux et leurs assurances. L’information des patients plus que les médecins pour leur adhésion, a favorisé la consommation des génériques. Ceci corrigera aussi l’image négative du générique véhiculée malheureusement par certains médecins opposés aux génériques et au droit de substitution par les pharmaciens, prétendant que seul le médecin est responsable du diagnostic et du traitement, allant même jusqu’à parler d’exercice illégal de la médecine indiquait en mars 2019, le Président du syndicat national des médecins du secteur libéral au Maroc. D’autres médecins exigent que seul le pharmacien d’officine en personne, peut exercer ce droit de substitution et non par ses employés, en insistant aussi sur la présence effective et permanente du pharmacien dans son officine. Tout en partageant ce genre de réserves avancées, sans généraliser l’absentéisme de certains pharmaciens que seule l’inspection de la Pharmacie est chargée de notifier au ministère de la Santé, je vous rappelle le Code du médicament et de la Pharmacie, Loi 17-04 en 2006 qui définit l’acte pharmaceutique et la prescription médicale.
Toute politique pharmaceutique a pour objectif :
– D’assurer la disponibilité du médicament d’une manière régulière pour garantir la sécurité médicamenteuse, comme celle alimentaire.
– De veiller à l accessibilité de la population urbaine comme rurale, des soins et médicaments essentiels définis par l’OMS.
En cette période de pandémie du Coronavirus, les recherches de vaccin et des médicaments spécifiques à ce virus responsable de plusieurs milliers de décès et de centaines de milliers infectés dans le monde, sans compter les impacts sur l’économie mondiale, montrent bien le grand défi de sauver les vies humaines et la nécessite d’assurer un stock de médicaments indispensables. Selon les données actuelles, la pénétration des génériques au Maroc est de 36 % dans le secteur médical libéral, du fait des réserves émises par certains prescripteurs, alors qu’elle avoisine les 95 % dans le secteur hospitalier parce que les achats de médicaments par le ministère se font selon une nomenclature avantageant les génériques et suivant la réglementation des appels d’offres publics. Au Maroc , la consommation du médicament représente plus de 32 % des dépenses de santé et 34 % des dépenses par les remboursements effectués par la CNOPS pour les traitements coûteux des maladies chroniques et de longue durée que sont les cancers, les maladies cardiovasculaires et le diabète par exemple.
Dans d’autres pays occidentaux USA et UE, cette pénétration des génériques peut atteindre des taux entre 70 et 90 % y compris le secteur libéral pour des raisons économiques et financières du moment, que ce sont les caisses d’assurances maladie qui fixent les prix des médicaments et du taux de leurs remboursements. Au Maroc, c’est le ministère de la Santé qui fixe ces prix ainsi que les marges pour les pharmaciens en plus des Autorisations de Mise sur le Marché, (AMM) des médicaments importés et fabriqués localement. Pour la bio équivalence qui est un élément indispensable à cette AMM, le fabricant doit démontrer scientifiquement la bio équivalence de son générique par rapport au princeps. Pour cela, le ministère de la Santé avait décidé le 9 Octobre 2019, les modalités d agrément des centres d’études et essais cliniques in vitro du générique.
En France, les textes de loi en 1999 sur le droit de substitution prévoient une possibilité de substitution et non pas un devoir.Si le Médecin s’oppose à cette substitution, il doit le mentionner par écrit sur l’ordonnance. Le pharmacien d’officine peut délivrer par cette substitution sur la base du répertoire officiel des groupes de génériques et pas de substitution possible en dehors de cette liste officielle, sauf en cas d’urgence et dans l’intérêt du patient. Le patient, du moment qu’il reste propriétaire de son ordonnance, peut légitimement s’opposer à la substitution, même en supportant la différence du prix entre le princeps et son générique moins cher. Et si la santé n’a pas de prix elle a un coût, comme ne cessent de répéter nos économistes de santé soucieux des équilibres financiers des budgets sociaux.
L’actuelle pandémie du Coronavirus, a bien montré que le secteur de la santé est la priorité nationale avec celle de l’éducation et de la recherche scientifique et que le choix pour la médecine préventive doit être un choix politique qui s’impose aux décideurs politiques pour un autre modèle de développement économique. Cette crise sanitaire à fait de l’hôpital public et du Partenariat public Privé une priorité dans le cadre de la mise en œuvre d’une nouvelle politique de santé.