Les Musiques sacrées guidées par le voyage en Afrique
Du musée Batha à Bab El Makina, le mouvement des voyageurs se fait entendre aussi bien par les rythmes des contrées traversées, que par le récit de ceux qui ont marqué l’histoire de la région. L’Afrique est tellement « très proche » qu’on oublie qu’il s’agit du berceau dans lequel est né le Maroc. Nous avons l’habitude de parler de l’Afrique pour designer l’autre, alors qu’il s’agit d’un autre qui n’est que nous-mêmes. C’est une vérité que l’ère coloniale a tenté de nous faire oublier, autant que les idéologies issues d’un panarabisme réducteur. Nous sommes des Africains par les liens de sang et par les liens du territoire et nous n’avons point besoin de le démontrer. par Driss Al Andaloussi
L es liens culturels permettent de réécrire avec une noblesse certaine les liens politiques religieux et commerciaux qui ont toujours existé dans le nord du continent et son sud. Les caravanes n’étaient pas seulement des véhicules de biens matériels. Des manuscrits ont souvent été du voyage entre les fleuves du Niger, du Sénégal et même de la région des grands lacs. C’est ce message que les faiseurs du spectacle d’ouverture de la 21 éme édition des musiques sacrées de Fès ont voulu présenter au public venu découvrir la complexité des liens tissés à travers des siècles de relations intenses dans tous les domaines.
Deux pèlerins de et vers Fès : Al Wazzan et Tijani
Al Hassan Al Wazzan et Sidi Ahmed Tijani ont fait l’option du voyage pour savoir, connaitre, et apprendre à transmettre. Après des siècles, les pages écrites sur ces deux personnages invitent orient et occident à la fête. Il ne s’agit pas seulement de lieux sans mémoires, ni de rythmes sans mélodies. Dans l’espace magnifique de Bab Al Makina, le public est venu entendre et voir. Les yeux ont été bien servis par une magique manipulation des techniques des lumières. Les lieux de passage et de vie des deux personnages ont été projetés avec de belles couleurs sur le portail et les murailles de ce lieu magique. Raconter les histoires en musiques n’était pas facile tellement la charge des metteurs en scène était lourde. Léon l’Africain qui n’est autre que Hassan Al Wazzan connu par les géographes a offert, à travers la voix de Saïd Taghmawti, l’essence de son travail d’analyse et de description de l’Afrique. De l’Andalousie à Tombouctou, tant de paysages, de cultures, et d’expressions culturelles ont forgé la mémoire de ceux qui ont fait le voyage. Le chant a été invité à la démonstration… Ayounne qui n’est autre que la lune est une berceuse qui a été bien racontée par les artistes. L’appel au « maitre du sommeil » a été apprécié et la lune fut à son tour bercée. Ayant à peine 16 ans, Hassan Al Wazzan commence le voyage et ne le terminera jamais. A Rome, l’histoire a pris d’autres dimensions que seuls les érudits peuvent en décrypter les symboles. Fès est toujours là pour être chantée. Les voix sublimes des jeunes filles portant la beauté du Malhoun ont enchanté l’assistance en fredonnant l’image de cette ville, berceau des ancêtres et havre de paix.
Le rythme a par la suite, consacré le mariage entre le moyen atlas et le Sahara.
Les rythmes et la fusion comme ouverture du festival
Les deux voix féminines ont porté le public vers la vraie fusion artistique. La scène a par la suite été livrée à la beauté des « masques de la lune », aux tambours «sabars », à la danse rituelle des lions et… à Ba jeddoub. Durant toutes ces belles prestations, la lumière a continué son jeu presque réel.
Au musée Batha, l’Elite se retrouve pour évoquer les problématiques du monde, pour les expliquer et pour tenter d’y apporter des réponses. Il n’est plus possible de parler de la culture de la tolérance sans évoquer ce présent pressant où l’appropriation du sacré se fait par toutes les méthodes et à travers toutes les institutions et aussi par la maitrise des technologies de l’information. Le premier thème reflète la pluridimensionnalité des relations du nord de l’Afrique avec son sud. «Chemins spirituels et Chemins commerciaux ».
Le savoir, est au centre des questionnements et la lecture de ce qui se passe est vraiment difficile. La cruauté des quotidiens est tellement grande que la simple lecture des évènements se réduit au compte rendu sans portée, ni profondeur. Détruire les objets de la connaissance et de la recherche est grave. Tombouctou a enregistré les premières manifestations de la simplification de la relation au sacré et les villes de Syrie et d’Irak sont en train de compléter le tableau des contre performances de la barbarie et de l’ignorance. Détruire une œuvre millénaire est certes un crime culturel, mais sa portée est autrement plus dangereuse.
Les œuvres historiques : numérisation contre destruction
Il s’agit d’un business florissant qui permet de financer la guerre et ses affaires juteuses, mais il s’agit aussi de détruire les moyens de lecture d’une histoire dont les vraies dimensions pourraient remettre en cause beaucoup de lectures censées constituer le principal pilier d’un « sacré » dominant.
Détruire un objet au moment où il y a des possibilités de numériser les trésors archéologiques et permettre aux générations futures de lire et d’interpréter, est une question qui a fait l’objet d’un débat scientifique. La numérisation contre la fétichisation des objets… c’est une possibilité. Tout n’est pas Numéricable a rétorqué le philosophe et mathématicien, Souleymane Ndiaye.
La circulation a fait l’histoire de l ‘Afrique et les manuscrits doivent continuer à circuler pour éclairer l’avenir. Le philosophe a fait le lien entre le passé et le présent. Le Maroc a voyagé à travers ses hommes et continue à le faire.
SM le Roi Mohammed VI continue, au moment où le festival des musiques sacrées fête l’Afrique, à donner un sens à la relation sud-sud. Le voyage actuel qui a mené le souverain vers le Sénégal est une expression de la profondeur. Ecrire l’histoire, c’est aussi construire l’avenir.