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Les partis politiques entre réforme et gestion des appétits

Les organisations politiques sont traversées par une lame de fond visant la refondation sous diverses contraintes. Mais le mouvement est lesté par les ambitions individuelles.

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otre confrère et ami Jamal Boudouma, anime sur France 24 une émission intitulée « Hadith Al Aouassem ». La dernière en date était consacrée au Maroc et plus spécifiquement au 20 février. Etaient présents Fouad Abdelmoumni, Hassan Aourid l’ex-porte-parole  du palais et El Othmani l’ex-ministre des Affaires étrangères et numéro deux du PJD. Le débat intéressant, même si certaines analyses de Abdelmoumni sur le Sahara sont ahurissantes et auraient mérité une réponse plus circonstanciée.

Durant cette émission, les partis politiques en ont pris « plein la gueule », de manière injuste, mais qui dévoile surtout la méconnaissance des théories des organisations et de la spécificité des partis politiques. Même une bonne lecture de la période historique comme celle de Abdelmoumni et Aourid, dont acte, ne suffit pas à comprendre la complexité du champ partisan. Il y a deux attitudes, celle de l’intellectuel qui rejette toutes les pratiques courantes et prêche la pureté en restant à l’écart et celle du militant qui essaye de comprendre pour agir de l’intérieur. Ils ne sont pas rares à avoir choisi la seconde voie.

Les révoltes arabes, le 20 février, la nouvelle constitution, la victoire relative du PJD, les différentes convulsions n’ont pas été sans impact sur le champ partisan. Tous les partis sont à la recherche d’un repositionnement, chacun selon son identité et son histoire.

Il n’y a pas pire aveugle…

A l’USFP par exemple, la contestation de la soumission aux règles non écrites est ancienne. Il faut savoir que le 8e congrès de l’USFP a réclamé la monarchie parlementaire et que deux ans avant le 20 février le Conseil National, parlement du parti, a adopté une motion demandant le retrait du gouvernement en l’absence de réformes politiques.

Les observateurs préfèrent s’attacher à la personnalité de Lachgar, à son duel avec Zaïdi. Mais tout bon connaisseur de ce parti, sait que c’est un parti de militants, où tous les chefs, sans exception ont été malmenés par la base. Mehdi Ben Barka a dû retirer « option révolutionnaire » lors du second congrès de l’UNFP, Abderrahim s’est retiré lors d’un congrès où il a été chahuté, ne revenant que deux jours plus tard, El Yazghi a été débarqué séance tenante par son propre bureau politique. Des pancartes « dégage » ont été apposées à plusieurs reprises.

Dans ce parti, il y a actuellement de vrais débats recouvrant deux axes : ce que l’on peut interpréter comme une angoisse identitaire et l’émergence d’un projet cohérent. Bien évidemment, c’est la lutte contre l’islamisme qui cimente le tout. D’où la sortie sur l’héritage qui reflète cette tendance et n’est pas une position individuelle de Lachgar.

Au PPS, le problème est d’un tout autre ordre. La participation au gouvernement ne fait pas l’unanimité et ce, depuis le départ. A ceux qui en contestaient le principe même, se sont ralliés les mécontents de la marche de l’exécutif. Le prochain congrès se prépare dans des conditions houleuses, le débat étant chaud. Chez les militants, l’angoisse identitaire est aussi vivace qu’à l’USFP.

L’élection de Chabat à la tête de l’Istiqlal a focalisé tous les regards sur son « combat » contre les Fassi Fihri et leur système de contrôle. On oublie que ce parti dispose d’une organisation, celle des inspecteurs qui constitue l’appareil. Or, cela marche dans les deux sens, celui du contrôle de la base, mais aussi de la pression sur la direction.

On peut continuer à lister tous les partis. La Haraka cherche à moderniser son image, à quitter son habit de parti rural qui ne correspond plus à aucune réalité puisque la majorité de ses élus sont issus des grandes villes. Sans doute en lien avec la ruralisation de celles-ci. Le PAM cherche désespérément à enterrer l’image de parti du Makhzen, ses cadres prennent assez librement la parole pour contrer cette image.

La loi sur les partis a eu ses effets. La démocratie interne et la transparence financière sont devenues des objectifs annoncés pour tous. On en est encore loin, mais le mouvement est enclenché.

Trente ans de pourriture

Mais tout cela est lent à se dessiner, parce que le déclencheur, le mouvement du 20 février n’a pas été assez puissant, ni assez structuré pour imposer un rythme plus soutenu dans les ruptures. Or, toutes ces structures ont été minées par l’ère Basri.

La falsification des élections a poussé les partis, par pragmatisme, à composer avec « les êtres électoraux », des gens qui arrivent à s’inscrire dans le système érigé par le pouvoir pour fixer sa propre carte électorale. Insidieusement, ils ont pris l’ascendant sur les appareils en contrôlant leur région et ce, en utilisant les méthodes électoralistes : Inzal, achat des consciences. La mauvaise monnaie a chassé la bonne. Beaucoup de militants à conviction, l’âge aidant ont préféré se retirer en silence. Ne sont restés que ceux qui  font preuve de ténacité. Et ils sont de plus en plus nombreux. Les anciens reviennent parce qu’ils veulent résister à la vague islamiste, mais aussi parce qu’ils croient que la nouvelle constitution offre des opportunités pour une construction démocratique plus avancée.

Le phénomène est reconnu par toutes les structures partisanes modernistes. La fragilité des partis vis-à-vis des élus est telle, que feu Basri avait déclaré « vous avez les tenues, mais les joueurs sont à moi ». C’était en réponse à la menace du parti de l’Istiqlal de se retirer du parlement après les élections de 97, qui ont mis le PI au même niveau que le parti de Archane, qui n’a pas résisté au limogeage de « Si Driss ».

La réorganisation des partis bute sur l’existence de ces machines électorales qui n’ont aucun intérêt à un fonctionnement normal parce qu’ils seraient éjectés puisqu’ils n’ont, en général, que des intérêts à défendre.

Le vrai défi, c’est que les militants à conviction reprennent le pouvoir. Cela se joue au niveau le plus bas, celui des sections. C’est en cours, c’est difficile, lassant, mais beaucoup s’y collent. Le meilleur moyen de les aider n’est sûrement pas d’insulter leurs partis à chaque sortie. Les intellectuels démocrates prêchent contre leur propre paroisse. Il n’y aura jamais de démocratie sans partis.  

 
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