Compétitivité industrielle

Les quatre vérités de Moulay Hafid Elalamy

L’industrie est l’un des passages obligés sur le chemin de l’émergence. Projets industriels, nouvelles usines, des investisseurs internationaux qui se pressent vers le Maroc, autant d’atouts dont dispose notre pays, mais avec plusieurs signes de fragilité. My Hafid Elalamy , pour une première fois, nous détaille, avec un style direct, l’actualité de notre industrie et explique comment anticiper les enjeux de stratégies en mutation pour renforcer la résilience du secteur. par Abdelfettah ALAMI

Lors du colloque international organisé les 2 et 3 juin, par l’Association des Membres de l’Inspection Générale des Finances, en partenariat avec le ministère de l’Economie et des Finances, sous le thème «Quel modèle de développement pour l’entrée du Maroc dans le concert des pays émergents?», la présentation de My Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie Numérique était très attendue de la part des 600 participants à cette manifestation, tant les réalisations du secteur sont nombreuses, mais les évaluations des uns et des autres ne convergent pas toujours au niveau des résultats. Sauf que les données chiffrées du ministre ne sont pas du virtuel, mais des vérités dont son Département fait le constat chaque jour.

Des atouts majeurs…
Il est vrai que le processus d’industrialisation était long. D’un Etat quasi inexistant au niveau de certains secteurs industriels, le Maroc, en disposant d’une visibilité pour les investisseurs, d’un choix pour une économie libérale, des fondamentaux financiers appréciables qui nous ont épargné les impacts du séisme financier qui a «terrassé» plusieurs économies dans le monde, notre pays a pu être résilient en mettant en place des stratégies successives qui ont donné les résultats que nous connaissons avec des succès, mais aussi des échecs. En tout cas, notre secteur industriel est « jalousé, résilient». Nous nous sommes structurés et avions un comité de veille qui a sauvé une partie de notre tissu industriel, affirme M. Elalamy.
Il s’agit, de la part de l’État, de mettre l’Industrie au cœur de sa stratégie de développement. Si le plan Emergence a permis de définir un cap, cette stratégie doit, bien entendu, être poursuivie ; mais elle doit également être amplifiée (nouveaux secteurs) et renforcée (moyens) pour parvenir à une véritable industrialisation du pays. C’est l’objet de la stratégie définie dans le programme de « l’accélération industrielle ». Ainsi, différentes filières se sont structurées. Sur le plan industriel, depuis une dizaine d’années, les Métiers Mondiaux du Maroc- MMM- ont émergé et les anciens métiers ont été maintenus permettant à notre tissu économique de se renforcer.

Mais avec des faiblesses à corriger
L’une des grandes faiblesses soulevées par le Chef du Département de l’industrie, est le manque de cohérence de l’effort national, l’appareil administratif, des stratégies qui peuvent parfois s’enchevêtrer ; il y a des objectifs stratégiques et des mesures d’accompagnement de l’Etat qui ne sont pas toujours alignés.
M. Elalamy reconnait, en présence du Chef de Gouvernement, M. Abdelilah Benkirane, que toutes les composantes, gouvernement, opérateurs, syndicats et tous les autres, ne sont pas toujours admis à saisir les opportunités industrielles. Parmi nos autres faiblesses aussi, «nous avons signé des ALE avec 51 pays, presque tous sont déficitaires» ; il faut donc inverser la tendance car ces ALE deviennent une attractivité forte pour le Maroc, «tout le monde veut investir au Maroc pour attaquer ces 51 pays».
Par ailleurs, la croissance ne sera pas non plus pérenne, si elle ne repose pas sur le capital humain qui prendra le relais. Comme l’a précisé la Présidente de la CGEM à ce colloque «Nous avons de belles stratégies sectorielles, mais quels sont les femmes et les hommes qui vont les mettre en musique demain ? Les entreprises ont besoin de recruter, mais où sont les profils adéquats, qu’ils parlent arabe, français ou chinois ?» S’il est, donc, une priorité pour notre pays, c’est bien le chantier de l’éducation et de la formation pour pallier le grand problème, celui de l’inadéquation entre les ressources humaines avec nos besoins.
Sur un autre front, l’informel est une chaîne destructrice de valeur, qui crée de la précarité pour le capital humain, qui n’enrichit pas la collectivité et qui fait peser un grand danger sur notre tissu productif. «Il faut agir et vite», d’autant plus que «la dérive» continue puisque des entreprises formelles passent, aujourd’hui, à l’informel.

Le « complexe Chinois » !
Quoi faire ? Faire l’état des lieux aussi bien au niveau national, qu’au niveau du concert mondial dans lequel nous nous sommes inscrits, voir ce qui bouge, ce qui peut être une opportunité ou une menace pour nous. « La Chine est un point essentiel de ma stratégie ». Et M. Elalamy n’hésite pas à raconter à l’assistance une confidence : « Le Président Chinois nous a dit qu’il est en train de niveler actuellement la classe moyenne qui n’existait pas en Chine. Ils étaient à 100$ au niveau du salaire minimum, ils sont arrivés aujourd’hui, à 700$ avec une perspective déclarée de le doubler pour arriver à 1400$ d’ici 2020 ». Au Maroc, sous sommes à 300$, « nous avons de la marge ». Aujourd’hui, ce que la Chine est en train de faire est une opportunité phénoménale pour le monde et pas uniquement pour le Maroc. 85 millions d’emplois sont en train de quitter la Chine, «je suis désolé je suis preneur de tous les emplois, nous avons une demande de 1,3 million d’emplois sur les 10 prochaines années, comment voulez-vous qu’on les règle», se lamente le ministre de l’Industrie.
Dans le passé, toutes les entreprises industrielles s’installaient en Chine, c’est pour cela qu’ils ont mérité l’appellation de géant du monde et devenue la 1ère usine du monde. Modification stratégique de la Chine, « la Chine a piloté sa stratégie, elle n’a rien subi », elle devient la plus grande puissance consommatrice du monde en créant le pouvoir d’achat ; pour le créer, ils ont augmenté 2 et 3 fois les salaires par an.
Dans ce magma mondial, il y a une espèce de tectonique des plaques où il est fondamental que le Maroc récolte les fruits, qu’on récupère les fruits de ce reflux dans l’autre sens; « avec les ALE à fort déficit, voilà un mastodonte qui nous donne quelques miettes ».

Les recettes « miracles » ayant boosté notre compétitivité industrielle
La meilleure manière pour convaincre, c’est de fournir des résultats chiffrés et vérifiables. C’est l’exercice auquel s’est attelé M. Elalamy .
L’automobile, nous étions dit-il, à 30 MM DH d’exportations, nous sommes aujourd’hui à 50 MM DH, 1er secteur exportateur devant l’OCP et devant tous les secteurs depuis 3 ans. Les engagements signés, dans l’automobile, sont de 2 MM d’euros avec Renault de pièces détachées nouvelles, 1 MM d’euros avec PSA, et 600 MM d’euros avec Ford, c’est 40 MM DH d’exportations. «La différence, c’est avant lorsqu’on a commencé dans le secteur automobile, nous étions inexistants, nous n’avions pas la capacité de négocier comme on le souhaitait, le Maroc savait qu’il aurait aimé avoir un taux d’intégration supérieur, mais il n’en n’était pas capable». Grâce à Renault, le secteur a pu avoir 130 équipementiers derrière. Cette démarche a été poursuivie, ensuite, avec PSA, lorsque celle-ci a signé avec le Maroc avec deux acquis importants : un taux d’intégration à 60% et 85% à réaliser au moment de l’intégration des moteurs ; «Très peu de pays dans le monde ont atteint ces niveaux d’intégration, avec des engagements assortis de pénalités».
Fort de cet accord, le Département de l’industrie a pu revenir vers Renault pour dire que, aujourd’hui, on n’est plus satisfait des 28% du taux d’intégration et un autre accord a été conclu sur la base d’un taux d’intégration de 65% et 2 MM d’euros d’achat de pièces. Résultat du compte : ce sont 50 MM DH de valeur ajoutée qui restent au Maroc. «C’est comme cela que petit à petit le pays s’industrialise». reconnait M. Elalamy .
Autre élément, la compensation industrielle. «Depuis longtemps, nous sommes en train d’acheter énormément de choses à l’international, mais nous n’avions jamais eu de compensation industrielle ou l’offset». Il s’agit donc pour le Maroc de développer différentes formes de compensation, directes et indirectes, à moduler selon les secteurs et les montants des contrats en jeu : investissements dans l’industrie locale ; transferts de technologie ; formation et mise à niveau des compétences ; recherche et développement; recours à la sous-traitance locale sur des parties stratégiques de la prestation. Selon M. Elalamy, tout un programme est mis en œuvre « nous avons commencé avec la défense et qui donne des résultats importants pour l’industrie qui a enclenché d’autres secteurs pour faire de l’offset, c’est opérationnel !».
Enfin, dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’informel, le ministre de l’Industrie déclare annoncer un scoop ! : «Nous avons mis en place le statut d’auto-entrepreneur, nous sommes aujourd’hui à 20 000 entrepreneurs et cela démarre de façon importante, nous sommes à plus de 6000 auto-entrepreneurs enregistrés par mois».
Et M. Elalamy de conclure : le Maroc a une « fenêtre de tir » exceptionnelle devant lui dont il faut profiter, «ceux qui ne vont pas suivre resteront sur le carreau; nous avons des marges d’amélioration et des capacités qui sont exceptionnelles et des opportunités à saisir, je ne sais pas ce qu’elles seront demain, quand nos concurrents seront tous debout, est ce qu’on aura plus d’investissements chez nous ? Nous devons nous corriger partout».

 
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