Les recommandations du CESE pour remédier aux inégalités régionales
Suite à une saisine du Président de la Chambre des conseillers, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a dressé un bilan critique de l’action de l’État en matière de développement économique et social au niveau régional. Constatant que l’investissement public a aggravé les inégalités régionales au lieu de les corriger, le CESE a formulé des recommandations pour remédier à cette situation qui risque de compromettre le projet de régionalisation avancée. par Salim Alattar
Le Maroc est-il régionalisable ? Certes, l’Etat central est plus que millénaire. Mais les pulsions sécessionnistes n’ont jamais manqué et ont à plusieurs reprises menacé dangereusement l’unité nationale. Le climat, la géographie, le peuplement et l’histoire ont dessiné des sous-ensembles régionaux très contrastés aux potentiels de développement très inégaux. Une double fracture sépare d’une part, le Nord humide du Sud au climat sec et d’autre part, l’axe littoral du reste du pays qui commence des steppes des régions de l’intérieur et s’allonge le long de la frontière maroco-algérienne.
Grâce au HCP, on dispose aujourd’hui des chiffres qui révèlent toute l’étendue des écarts de développement entre ces ensembles et viennent compliquer l’équation régionale. Deux indicateurs montrent toute l’ampleur de ces inégalités : la contribution de chaque région au PIB et sa part dans la consommation globale du pays.
Commençons par la répartition régionale de la production des richesses. Analysant le PIB par région, le Haut-Commissariat au Plan conclut que «4 régions sur 16 créent environ la moitié de la richesse nationale, soit 48,9% du PIB en valeur». Le leadership revient bien sûr au Grand Casablanca, dont l’économie représente 19,8% du PIB national, suivi par la Région de Rabat-Salé-Zemmour Zaër, avec 12%, de la Chaouia avec 8,8% et de Marrakech-Tensift-Al Haouz avec 8,9%, de Tanger-Tétouan 8,8% et Souss-Massa-Drâa 8%.
L’évolution de la dynamique de développement reste également très inégalitaire. Entre 2004 et 2012, seules les régions de Marrakech-Tensift-Al Haouz, Tanger-Tétouan, Rabat-Salé-Zemmour-Zaër et la région du Sud ont connu une dynamique particulière, avec des taux de progression de l’activité variant entre 9 et 13%.
On observe la même inégalité dans la répartition de la consommation par région, puisque cinq régions participent pour environ 67 % des dépenses de consommation finale. Selon le Haut-Commissariat au Plan, l’écart absolu moyen a atteint 14 milliards de DH en 2011 contre 12,8 milliards de DH en 2010. Encore une fois, la région du grand Casablanca arrive en tête des régions les plus consommatrices, soit 14,6% de la consommation finale. Elle est suivie par la région de Tanger-Tétouan avec une part de 11,8%, la région de Rabat avec (11,1 %), Marrakech-Tensift-Al-Haouz avec 10,3% de la consommation finale des ménages, de Souss-Massa-Drâa avec 8,6%.
Rôle de l’investissement dans la réduction des inégalités
Suite à une saisine du Président de la Chambre des conseillers, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a dressé un bilan de l’action de l’État en matière de développement économique et social au niveau régional, en examinant en détail l’investissement public consacré au développement des différentes régions.
Dans son avis rendu le jeudi 25 mai à Rabat, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a d’abord salué la démarche suivie par l’Etat dans le domaine de l’investissement public régional, la considérant comme la plus efficace à l’heure actuelle. Il a également souligné l’impact positif des stratégies sectorielles à moyen terme (Plan Maroc Vert, Halieutis, Plan émergence) et des plans de généralisation des services publics en raison de l’importance des budgets affectés à leur mise en œuvre et des dynamiques de développement économique qu’ils ont générées.
Toutefois, le diagnostic établi par le CESE a fait ressortir un déséquilibre dans la répartition géographique de l’investissement public entre les régions, malgré la hausse continue des budgets y afférents. Selon les indicateurs financiers, la part des investissements publics dans le PIB est passée de 2,7% en 2008 à 4,5% en 2013. En 2012, la part des investissements consacrés aux régions a avoisiné 30% du total du budget consacré à l’investissement. Néanmoins, seules 9 régions ont tiré profit de cette situation, comme les régions d’Oued Dahab, Marrakech Tensif El Haouz, Tadla Azilal et Tanger Tétouan.
Autre constat important : le CESE a également relevé dans son avis, que les régions situées dans le ressort territorial des agences de développement régional se sont vu attribuées beaucoup de projets d’investissement publics, que les autres régions. Ce qui malheureusement, contribue à creuser les écarts de développement entre les territoires.
D’une façon générale, le CESE attire l’attention des pouvoirs publics sur la fragilité de l’architecture des économies des régions. En effet, la plupart des régions restent dépendantes de l’investissement public et s’appuient fortement sur l’appui de l’Etat. La faible diversité des ressources et des activités explique largement les disparités entre les régions.
Les disparités régionales sont cumulatives
Le CESE constate que les disparités régionales sont cumulatives : ce sont les régions les moins riches qui ont des économies les moins diversifiées, qui affichent les taux de chômage chez les jeunes les plus élevés, qui manquent d’infrastructures routières, qui ne disposent par de ressources humaines qualifiées et qui bénéficient le moins des investissements publics.
Compte tenu du grand chantier de la régionalisation avancée dans lequel s’est engagé le Maroc, le CESE appelle à la mise en place de nouveaux mécanismes pour mieux répartir les investissements publics pour en faire bénéficier en priorité les régions pauvres. Il prône ainsi, une espèce de discrimination positive pour donner plus aux régions qui ont le moins, pour leur permettre de rattraper leur retard en matière d’équipements d’infrastructures et de formation des ressources humaines. La solidarité interrégionale est une condition nécessaire pour faire réussir la régionalisation avancée.
Toutefois, un développement durable ne peut être fondé uniquement sur l’assistanat. C’est pourquoi le CESE recommande aux régions de jouer un rôle prépondérant dans leur auto-développement. A cet égard, le CESE recommande entre autres l’élaboration d’une charte d’investissement spécifique à chaque région, qui identifie le potentiel et les vocations de chaque territoire et propose sa valorisation, recherche les opportunités d’investissements. La charte a également comme objectif d’améliorer le climat des affaires au niveau de la région en levant tous les obstacles bureaucratiques qui bloquent ou retardent les investissements.
Pour promouvoir l’investissement, le CESE recommande également de développer des pôles régionaux compétitifs dans l’objectif de diversifier et d’accroître les économies des territoires. A cet effet, le CESE propose la restructuration de l’organisation des Centres régionaux d’investissement (CRI) et le renforcement de leurs moyens et prérogatives. Cette réorientation stratégique vise à les faire sortir du carcan administratif dans lequel ils se sont enfermés, pour leur permettre de jouer un rôle plus important dans la promotion économique des régions, le renforcement de l’attractivité des territoires et dans la contribution à l’élaboration des plans régionaux de développement et d’aménagement du territoire.
Enfin, le CESE recommande au niveau de chaque région, le recours systématique aux partenariats public-privé qui doit se construire sur des contrats-programmes État-région fondés sur une vision cohérente, déclinés en programmes d’actions intégrées avec des financements, un échéancier de réalisation. Ces contrats- programmes doivent être accompagnés d’un programme de valorisation des ressources des territoires et de promotion des PME locales.