Les systèmes alimentaires en Afrique : Promesse tenue par Tariq Sijilmassi
Ancrer une habitude dans le paysage financier n’est pas une entreprise facile. Promouvoir le dialogue autour du financement de l’agriculture en Afrique n’est pas non plus un acte qui peut s’inscrire dans la durée et pourtant, la promesse qui a été faite l’année dernière par le Président du Groupe Crédit Agricole du Maroc, Tariq Sijilmassi a été tenue. Le succès de la première session du forum sur les particularités du financement de l’agriculture en Afrique, a déclenché une dynamique et un nouveau langage loin de celui des financiers classiques. Au-delà des contraintes des différentes mesures prudentielles bâloises, les opérateurs et leurs financiers se sont rencontrés pour élargir les débats et aller vers plus de profondeur. Cette fois, ce sont les systèmes alimentaires qui ont reçu leur dose d’analyse et de débats contradictoires. Le choix a été judicieux et a permis d’aller puiser dans la réalité des filières, les leviers de développement du secteur agricole. Les problématiques du riz sénégalais, du cacao ivoirien et du lait marocain ont été traitées aussi bien par les responsables publics, que par les bailleurs de fonds et les opérateurs.
Financer l’agriculture nécessite une connaissance du territoire
Tariq Sijilmassi a inauguré le forum par son franc parler habituel en inscrivant la connaissance du terrain à la tête des clés de lecture et de compréhension du secteur agricole africain. Le financement de ce secteur au Maroc, est à l’image de la réalité africaine qui tente de trouver des aires de conciliation entre le degré élevé du contrôle imposé au système bancaire et le défi que représente la nécessité de financer des projets en relation avec la sécurité alimentaire et la sauvegarde des intérêts de la majorité des agriculteurs. Le triangle de fer du banquier, est fait de maximisation des garanties et des fonds propres et de minimisation des risques. L’agriculteur dans nos pays n’est pas un client de l’orthodoxie « bâloise ». Les organismes de financement comme le groupe du CAM doivent, selon le Président Sijilmassi faire preuve de beaucoup d’humilité pour comprendre le rôle prédominant de la nature «qui nous gère» et sur laquelle nous n’avons, généralement, pas de pouvoir. Comprendre, c’est aller sur le terrain et connaitre les dynamiques sociales et économiques et ne pas considérer l’approche du banquier comme une vérité scientifique absolue. Le terrain nous apprend, selon Sijilmassi, l’adaptation aux réalités, aux cycles et aux défis. Cette démarche, presque initiatique nous révèle que «l’agriculteur est avant tout un militant» dont le travail et les comportements doivent « nous pousser à se remettre en cause d’une manière constante».
Une convention de partenariat avec le Crédit Agricole du Sénégal
En signant une convention avec son homologue directeur général de la Caisse nationale du Crédit Agricole du Sénégal, T-Sijilmassi a considéré que le savoir-faire marocain dans ce domaine est exportable et que le Maroc est aussi un « partageur » des expériences et un demandeur des bonnes pratiques développées par ses partenaires du sud. Les succès des pays partenaires dans son continent africain sont vivement demandés. Les conventions de partenariat se multiplieront dans l’avenir pour renforcer l’esprit qui caractérise la coopération sud-sud.
Il n’y a pas qu’un seul système alimentaire
Les hommes ont toujours su trouver des systèmes d’organisation de leurs espaces et de leur temps pour produire ce dont ils ont besoin. Le contexte géographique a ses déterminismes, autant que la capacité de changement qu’introduisent certaines cultures. Mme Temri, une Marocaine maître de conférences au SUPRAGO de Toulouse, a analysé les systèmes alimentaires et leur évolution dans le monde. Il y a certes un développement notable de la production alimentaire et un recours de plus en plus grand à la technologie de l’intensification avec un rôle de plus en plus grand de l’agro-industrie ,mais il y a toujours une présence remarquée des systèmes qu’on peut qualifier de traditionnels . La production alimentaire a progressé à un rythme plus grand que celui de la croissance démographique et les rendements ont enregistré des performances remarquables. Les disparités sont cependant très grandes et l’Afrique enregistre malgré ses potentialités, de modestes taux de croissance de la productivité. Au niveau de la production mondiale, le système agro-industriel représente 50% contre 35% pour le système traditionnel et 15% pour les systèmes intermédiaires. La disponibilité alimentaire est passée durant les dernières années de 70 kg à 130 kg. Cette évolution ne s’est pas effectuée sans créer des dysfonctionnements au niveau de la qualité de la nutrition, de l’atteinte aux équilibres environnementaux, du recul des revenus des agriculteurs traditionnels et de la course vers les parts de marché. Les chercheurs voient le rééquilibrage entre les systèmes alimentaires dans des scenarios hybrides basés sur des compromis et des adaptations du modèle agroindustriel et une territorialisation des systèmes alimentaires. L’objectif de cette recherche, est d’atteindre des seuils acceptables de qualité, un niveau d’organisation permettant l’éclosion de structures familiales, des PME et TPE, des circuits alternatifs de commercialisation et une mutualisation des moyens pour conserver l’emploi dans le milieu rural.
Le riz sénégalais : contraintes et défis
Le riz, est une grande préoccupation au Sénégal. Introduit dans les repas des sénégalais pendant la période coloniale, il a continué à dominer les habitudes alimentaires après l’indépendance et à alourdir la facture liée à l’importation. M. M G. Ndong de CNCAS et M. S. Sarr opérateur, ont dessiné un tableau où cette denrée alimentaire apparait comme un défi à relever et une opportunité à saisir pour transformer les circuits de production et de commercialisation et pour renforcer dans un proche avenir, les comptes extérieurs du pays. Le Sénégal est passé, comme beaucoup de pays, par des phases de planification centralisée et partant, d’une présence de l’Etat en tant qu’acteur économique central. Ce passage n’a pas eu d’impact sur le changement des habitudes alimentaires.
Le bras financier au service du riz
Le Crédit Agricole du Sénégal est une institution qui a été créée pour répondre aux besoins de l’agriculture sénégalaise, aux dysfonctionnements hérités des anciens systèmes de gestion publique et constituer un outil de support au secteur. Dotée, lors de sa création, d’un capital équivalent à 15 millions d’euros, cette banque a atteint après 30 ans un total bilan de 142 millions d’euros. Ses 133 agences financent tous les circuits qui mènent de «la fourche à la fourchette». Le secteur agricole n’exerce pas une attractivité sur le secteur bancaire, alors qu’une banque dédiée à l’agriculture doit être encadrée par les règles prudentielles. Le dilemme est le même dans beaucoup de pays du continent et impose l’engagement dans la voie de l’innovation. L’Etat a besoin d’institutions d’accompagnement de sa politique d’encouragement de la productivité et de modernisation du secteur. Sécuriser le financement ne peut se faire sans fonds de garantie, sans bonification de taux d’intérêt et sans assurances contre les catastrophes. La politique publique, pour élever le riz au rang de produit pouvant créer une nouvelle dynamique dans la production agricole, est appuyée par une série d’investissements qui vont de l’outil de production, au stockage, à la commercialisation et au renforcement de la qualité des ressources humaines.
L’opérateur se restructure pour mieux produire, transformer et commercialiser
L’opérateur qui a participé à cette conférence, a situé les évolutions dans un cadre historique pour mettre en relief les restructurations qui ont touché le secteur agricole. Les programmes d’ajustement structurel ont certes libéralisé le secteur, mais ont surtout donné lieu à une responsabilisation des acteurs et à une protection de la production nationale. Aujourd’hui, ces acteur ont pris leur destinée en main et se sont organisés en comités, en collèges et récemment en structures interprofessionnelles regroupant les producteurs, les transformateurs, les commerçants et les fournisseurs. Cette transformation institutionnelle a facilité l’accès aux crédits et aux semences sélectionnées et a par ailleurs, permis un meilleur ciblage au niveau des subventions. La question de la protection des producteurs du riz reste posée et la compétitivité du produit local n’est pas encore assurée. Le commerçant réalise des marges plus importantes sur le riz importé. Malgré cette situation, la productivité a connu une amélioration et le tonnage à l’hectare (5,7 T et même 10 tonnes pour la deuxième campagne) a permis une croissance des revenus. La consommation des sénégalais a atteint la même proportion que les asiatiques, soit environ 75 kg par an et l’autosuffisance est presque atteinte.
Cacao et Côte d’Ivoire : une histoire de justice économique
Pays émergent d’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire a mené plusieurs batailles sur le front de la modernisation de son agriculture et de sa valorisation. Le schéma d’ensemble de cette longue lutte a été dressé par un opérateur ivoirien qui n’est autre que MKT Nguessan. Militant au service de la cause des producteurs, cet opérateur défend corps et âme la juste rétribution de ceux qui travaillent la terre et se voient privés de la valeur que le cacao génère au niveau du marché international. Endossant la responsabilité de la présentation du représentant du Chef de son gouvernement, M. Nguessan a mis en relief les objectifs du plan de développement de l’agriculture qui sont la compétitivité, la rentabilité, la maîtrise des procédés de production et des chaînes de valeurs, la durabilité des revenus et la protection de l’environnement et des droits des enfants. Pour maintenir son rang dans le marché mondial du cacao, la Cote d’Ivoire a mis en place une politique visant la structure des prix de commercialisation extérieure (CAF et SPOT). Le marché mondial est injuste à l’égard des producteurs et des efforts sont en cours pour constituer une organisation des producteurs. Sur les 109 milliards de dollars générés par les produits issus du cacao, les producteurs ne perçoivent que 5%. Les rencontres internationales sont dominées par les grandes sociétés de transformation et les prix sont laissés entre les mains de ceux qui décident à Londres ou à New York. Les enjeux sont grands et une réorganisation des producteurs au niveau mondial peut rééquilibrer la situation au profit de ceux qui travaillent la terre. En Côte d’Ivoire, les changements ont pu garantir un prix au producteur qui est équivalent à 60% du prix CAF, d’où une croissance des quantités produites et partant, des revenus des producteurs dont le nombre est de 17 745 organisés en 25 coopératives.
Le lait marocain : une histoire ancienne
L’Etat a mené, depuis des décennies des politiques visant à améliorer la production du lait et de ses produits. Le plan laitier des années soixante-dix n’a pas atteint ses objectifs et nos importations ont continué à grever nos comptes commerciaux avec l’extérieur. Le tissu productif a, malgré les péripéties du passé, gagné en organisations et en amélioration des circuits de commercialisation. Les coopératives laitières et les centres de collecte ont constitué, depuis longtemps, un point de modernisation de cette sous filière, et aussi un lieu de jeu politique autour du pouvoir dans les coopératives. Les deux intervenants marocains au niveau du panel « lait », ont souligné l’importance des acteurs se situant autour de la production, la collecte, la transformation et la commercialisation. Selon les données présentées par M. Tazi représentant le ministre de l’Agriculture et la Pêche maritime, le Maroc compte 400.000 exploitations laitières, dont 82 % sont situées dans les zones irriguées, 3 millions de bovins dont 45% de race locale et produit 2,4 milliards de litres. L’impact du PMV peut se lire à travers des investissements ayant atteint 12 milliards de DH, dont plus de 90% ont été apportés par le CAM. Le nouveau contrat-programme qui vient d’être signé avec la FIMALAIT, mobilisera des investissements qui vont s’élever à 16 milliards de DH pour produire 4 milliards de litres annuellement et permettre des créations d’emplois et aboutir à l’augmentation de la consommation du lait pour atteindre 90 litres par an et par habitant. Le représentant du secteur, M. Bennakhal a insisté sur la nécessité de mener des campagnes qui rétablissent la vérité sur les apports nutritifs du lait et de ses produits et lutter contre certaines campagnes qualifiées de « pseudo scientifiques » sur les méfaits d’une surconsommation du lait.
Le groupe CAM, bras financier de l’Etat dans le secteur agricole
C’est toujours difficile de définir le CAM comme étant une institution financière normale. Elle a certes évolué dans sa structuration en passant du statut d’organisme financier spécialisé (OFS), à une banque universelle, mais elle demeure ancrée dans une culture faite de missions de service publique, de proximité avec la terre et ses travailleurs et d’engagements dans des processus d’adaptation constante aux réalités et contraintes d’un environnement souvent difficile qui conditionnent les comportements des acteurs du secteur agricole. Si le système bancaire marocain se mobilise pour certains plans et programmes sectoriels, l’agriculture constitue un domaine où la culture bancaire cesse d’exprimer les volontés et finit par respecter l’esprit bâlois. La marge des rendements est souvent objet de péréquations pour avoir un sens «normal». Le groupe du CAM a mis sur la table du PMV pour la période 2009 -2013, des engagements de 20 milliards de DH et les a dépassés de 4 milliards de DH. Jusqu’en 2018, les financements additionnels de 25 milliards de DH seront engagés et iront pour accentuer les effets du PMV au niveau de l’agriculture et de l’agro-industrie.
L’adaptation et la mise en place de structures innovantes, sont les armes d’attaque du GCAM. Financer l’agriculteur n’est pas une démarche qui peut se résumer à l’application de procédures identiques, impersonnelles et objectives. Il s’agit d’adapter l’ensemble de l’édifice financier à la nature de la terre et aux comportements des acteurs. La fondation ARDI se caractérise par la proximité à travers le microcrédit, Tamwil Al Fallah est une fenêtre sur le financement solidaire pour donner un sens aux différentes composantes du deuxième pilier du PMV et le Crédit Agricole en tant que banque classique qui vient pour répondre aux besoins des exploitations commerciales et pour opérer les équilibres entre les différents compartiments de ce paquet modèle, au niveau régional et international.
Le GCAM est le reflet de la diversité du secteur agricole marocain et il offre, à cet effet, 150 produits pour accompagner les différentes filières végétales et animales et pour accompagner les différents contrats-programmes. M. Chehhar du GCAM, a exposé l’ensemble des actions et structures de son institution, ainsi que les chiffres concernant les apports financiers dans le cadre du PMV aux acteurs dans les territoires.