L’exécutif sous pression
Le gouvernement fait face à l’impatience des syndicats, de l’opinion publique, une once de défiance du patronat, dans une situation politique compliquée. PAR J.B.
Abdelilah Benkirane a évoqué, ouvertement, la possibilité de l’implosion de la majorité et de la chute de son gouvernement. Il place cette issue entre les mains du Roi. «Si sa Majesté me demande de partir, je m’en irai», a-t-il déclaré, alors même que les dispositions de la Constitution ne prévoient pas ce cas de figure. Si le Chef du gouvernement évoque cette perspective, c’est en réponse aux positions de l’Istiqlal, véritable coup de canif au contrat qui lie la majorité parlementaire. Benkirane ne veut rien céder à Hamid Chabat, le secrétaire général de l’Istiqlal, mais sait que sans cet allié, il lui sera difficile de reconstituer une majorité, l’USFP et le RNI ayant annoncé qu’ils n’étaient pas disposés à quitter l’opposition.
Le contraste, c’est que le PJD n’a rien perdu de son attractivité électorale et que, même égratigné, le soutien populaire est toujours là, maintenu par un discours offensif, porté par Benkirane et ses amis. La pression politique n’est pas la seule qui s’exerce sur l’éxécutif, même si elle est renforcée par les critiques du MUR et des autres courants Islamistes, concernant les Affaires étrangères en particulier. Le gouvernement fait face à des pressions de diverses natures. Sa politique d’austérité, qui ne dit pas son nom, le mot étant même banni du lexique officiel, irrite les syndicats. Ceux ci ne trouvent plus d’utilité au dialogue social, puisque le gouvernement s’interdit toute hausse des salaires. Les impératifs budgétaires, le poids de la masse salariale déjà exorbitant dans les dépenses publiques, sont des arguments inaudibles par les centrales syndicales. Celles-ci ont signé avec le patronat un accord-cadre, dans une sorte de pied de nez au gouvernement. Ce même patronat exerce des pressions d’un autre genre.
Alors que l’équipe de Benkirane n’a rien changé de fondamental,la CGEM se montre critique, pugnace, au-delà de ses habitudes passées. Au lobbying discret, elle préfère une sorte de bras de fer à peine feutré. C’est dans ce contexte que les Assises de la fiscalité ont été reportées de plusieurs mois, alors que l’on comptait dessus pour une remise à plat, qui prendrait en considération quelques unes des revendications du patronat.
Précautions ou impuissance ?
Il n’y a pas que la réforme de la fiscalité qui est en panne, toutes les annonces de Benkirane sont sans effet, pour le moment. L’opinion publique s’impatiente. La décompensation, projet de la législature, paraît difficile à mettre en oeuvre, alors même qu’elle jouit d’un large soutien politique. Annoncées pour ce début d’année, ses modalités ne sont même pas esquissées. L’expérience, catastrophique de la RAMED alimente les suspicions. Le gouvernement prend la mesure des difficultés et des risques politiques et sociaux. Il n’a pas trouvé la parade à ces risques, d’où son attentisme. La réforme de l’Education nationale n’est même pas entamée. Il n’y a aucune cohérence entre le départementde l’enseignement Supérieur et celui d’El Ouafa. Le même constat peut-être fait pour la Santé publique, malgré les efforts fournis pour ramener un peu plus d’éthique dans la gestion des hôpitaux.
Finalement, seul le département de la Justice a réalisé quelques avancées sérieuses, malgré les réticences de quelques corporatismes. Les autres départements en sont toujours aux effets d’annonces et à la dénonciation de la gestion passée. L’opinion publique s’impatiente, même si l’argument «ils ne sont là que depuis un an» porte. Il faut bien se souvenir du contexte politique pour comprendre cette impatience. Le PJD dirige un gouvernement issu d’une accélération de la transition démocratique. Il est le symbole d’un changement dans la continuité. Des pans entiers de la société le chargent de toutes leurs revendications, ce qui n’était pas le cas du gouvernement précédent. Dans ce contexte, l’exécutif ne peut fonctionner au pas de sénateur sans créer la déception. Il faudra plus que des joutes oratoires pour l’éviter, parce que le doute est déjà installé. ■