L’homme qui s’est fait tout seul
Il se destinait à la médecine mais s’est finalement consacré à l’industrie. Pour ce haut cadre de la biscuiterie, son parcours l’a propulsé à la tête de la CGEM Chaouia-Ouardigha.
Le sérieux finit toujours par payer. Cet adage trouve sa confirmation dans le parcours de Rachid Sraidi. En effet, ce dernier a commencé au bas de l’échelle, et a lentement gravi les échelons, jusqu’à devenir une référence dans son domaine.
De prime abord, on a l’impression d’avoir affaire à un cadre que rien ne distingue des autres. Il a encore une chevelure fournie, et sa moustache trahit la tradition d’une autre époque, celle des gentlemen farmers que produisait le Maroc de naguère. Comme beaucoup, venus de la technique, il porte le complet sombre, avec cravate sur chemise rayée. Un portrait vivant de l’idée que feu Hassan II se faisait de la tradition alliée à la modernité qu’il affectionnait.
Rachid Sraidi est né en 1962, à El Jadida. Troisième d’une fratrie de six, son père est négociant en grains, et sa mère femme au foyer. “Mon père achetait les grains des nouvelles récoltes, auprès des agriculteurs, les stockait et attendait le moment opportun pour les revendre en gros. C’était un métier laborieux, et mon père passait ses journées dehors, à travers les souks des régions agricoles. Il subvenait aux besoins de la famille, et il n’y avait pas de place pour le superflu. C’est ma mère qui s’occupait de nous faire suivre des études. Imaginez qu’elle était analphabète, et néanmoins, nous faisait réciter nos leçons. Pour peu qu’on hésitait dans nos récitations, et elle nous renvoyait apprendre. Nous ne nous sommes rendu compte qu’elle ne savait pas lire que très tard,” se remémore-t-il, dans un sourire nostalgique. A cette période, aussi bien Rachid que ses deux aînés, excellent dans les études. D’ailleurs, ses grands frères deviendront tous deux professeurs universitaires. Mais El Jadida, capitale des Doukkalas, est une ville côtière, mais calme, où il n’y a que peu de loisirs. Après les cours, on joue au football sur la plage avec ses amis et camarades de classe, avant de rentrer chez soi. Il meuble alors son temps à écouter la radio, qui diffuse les classiques de la chanson marocaine, arabe et égyptienne. On s’imagine un enfant sage, enfermé dans sa chambre, voûté sur sa table de travail à étudier, pendant que résonnent dans la pièce les musiques de l’époque. Nass El Ghiwane, Jil Jilala sont le rock de l’époque, et même en province, ils déchainent les passions adolescentes.
Studieux même à l’étranger
L’époque était instable politiquement. Mais le jeune Rachid se tient à l’écart des manifestations, et des engagements politiques, alors que nombre de ses voisins et camarades se politisent très tôt. “Déjà, à l’époque, des jeunes de mon âge s’engageaient idéologiquement. C’était une question de choix, et ils se sont souvent cassés les dents dans la contestation. Moi, je n’avais qu’un seul rêve, obtenir une bourse pour étudier à l’étranger. Mais mon désir n’était pas de rester en Europe, mais plutôt de rentrer dès que possible au pays,” raconte-t-il, avec des éclats pétillants dans les yeux. Et cela lui réussit. Au bout du cycle secondaire, le lycée propose des dossiers d’inscriptions pour des études à l’étranger pour les quatre meilleurs élèves de la promotion. Il compte parmi ceux-là, et opte pour la médecine. Une fois le bac Sciences Expérimentales en poche, il s’inscrit donc à Clermont-Ferrant. Mais une erreur administrative annulera son inscription. Pris au dépourvu, il doit trouver une autre alternative pour ne pas perdre l’année. Ce seront des études d’ingénieur, en Belgique. Mais il prendra goût à ce qui était un pis-aller au départ, et terminera le cursus. Cet épisode belge sera marqué par la chance. Il habitera un appartement en colocation, avec un autre étudiant qui ne tardera pas à le laisser seul, incapable de payer le loyer. Ses logeurs le prendront sous leurs ailes: “C’était une famille de l’élite de la ville. Ils m’ont logé dans leur propre maison. Là, j’étais nourri et ils me transmettront les valeurs de leur milieu. On peut dire qu’ils ont parachevé mon éducation, qui était typiquement traditionnelle et marocaine,” explique-t-il, pudiquement. Rachid apprend les manières de la table, et autres usages de la bourgeoisie wallonne. Ils lui feront même passer le permis de conduire. Cet environnement favorable l’aidera à rester studieux, mais ne l’empêchera pas de rester réservé.
Retour au bercail
Le diplôme d’ingénieur en poche, il rentre immédiatement au Maroc. Il doit trouver un emploi, et la recherche durera six mois, au bout desquels, il obtient un poste dans la sucrerie de Tadla. “C’était un domaine très dur. La SUTA était la seule entreprise de sucre à travailler tout le long de l’année, alors que le métier de sucrier ne dure que quatre mois,” analyse-t-il. Il travaille alors 12 heures par jour, sept jours sur sept, pour un salaire très bas. C’est qu’il commence au bas de l’échelle, et doit peiner pour gravir les échelons. Après trois années, il décide de se marier à 27 ans: “Le mariage donne une stabilité dans la vie. Lorsqu’on travaille dur, on réussit toujours mieux avec une femme à ses côtés. Ce qui ne nous a pas empêché de connaître des fins de mois difficiles, mais je dois beaucoup à ma femme, et sans son soutien je ne serais pas devenu ce que je suis,” affirme-t-il. Premiers combats: il milite pour que les ouvriers de l’usine deviennent propriétaires de leur logement. Mais ces engagements ne jouent pas contre lui. Il devient d’abord directeur technique, puis assistant du directeur général. On lui attribue même une villa de fonction de pas moins de 1300 m2. Mais son fils a trois ans, et pour sa scolarité, il doit rentrer en ville: “Il n’y avait pas d’écoles dans la campagne, et je devais donc partir”, avoue-t-il, dans un soupir. C’est à ce moment qu’il fera ses premières armes dans la biscuiterie. M. Meskini investit massivement dans cette industrie et fonde Bimo. Rachid entre alors dans l’entreprise, fortement familiale. Il débute comme directeur industriel, avant de prendre de plus en plus de responsabilités. Arrive 1999, et l’ONA reprend l’affaire. “J’étais M. Bimo, et je le suis resté jusqu’en 2006. Mais je me suis rendu compte que je devais quitter l’entreprise pour progresser”, explique-t-il. Au bout de treize années, il rejoint la Société Chérifienne Ferroviaire du groupe Chaabi. Mais, dans le domaine de la biscuiterie, il reste une référence, et c’est tout naturellement vers lui que le groupe des frères Boutgray se tournent lorsqu’ils veulent se lancer dans le domaine. Il rejoint le groupe en 2009, et prend la direction générale du pôle biscuiterie et de sa marque Excelo. C’est à ce moment qu’il commence à être actif dans la Confédération générale du patronat. A la CGEM, il prend la vice-présidence de la Fédération CGEM de Chaouia-Ouardigha. Puis, lorsque Nabil Zyat démissionne, il assure la présidence par intérim, avant de se présenter à la succession de la présidence. “Lorsque j’ai rencontré Miriem Bensalah, et avec les encouragements de El Hachmi Boutgueray, je me suis décidé à rester à ce poste pour apporter ma pierre à l’édifice. Sans oublier le prestige que cela apporte au groupe”, avoue-t-il, non sans une pointe de fierté. Depuis le 9 novembre, il est président de cette antenne régionale. A force d’éviter de s’engager, on finit par tomber dedans.
BIO EXPRESS
1962 : naissance à El Jadida
1980 : Bac Sc Ex au Lycée Abou Chouaïb Doukkali
1985 : Ingénieur industriel de ISIE Huy (Belgique)
1986 : entrée à la raffinerie Tadla
1991 : Gestion d’entreprise à l’ISCAE
1992 : DEA de la Faculté de Marrakech
1994 : Directeur industriel Bimo
2004 : Diplôme de Management Stratégique d’HEC Paris
2007 : Directeur développement de la SOTHERMA
2008 : DG de la Société Chérifienne de Matériel Industriel et Ferroviaire
2010 : DG d’Excelo (groupe Anwar Invest)
L’ENTREPRISE
Excelo est la marque ombrelle de biscuiterie du groupe Anwar Invest. Initialement une marque qui importait ses produits. Depuis 2009, le groupe produit au Maroc. Cela s’est fait à travers le rachat de Biscolux et son usine de Had Soualem, Chahimsa à Nador et Fapasa à Laâyoune. L’entreprise emploie 400 personnes et écoule quelque 450 millions de produits par an.
LA FACE CACHÉE
Le sport?
J’étais un grand fan de tennis, mais je me suis blessé. Depuis, je me suis rabattu sur la natation que je pratique deux à trois fois par semaine. Mais je ne rate jamais un match de Rafael Nadal ou de Roger Federer à la télévision. Autrement, j’aime le football. Je suis un inconditionnel du FC Barcelone.
La musique?
Je reste attaché à la musique de mon enfance. J’écoute du chaabi, de la musique classique arabe et égyptienne. Mes chanteurs préférés sont Al Bidaoui, Abdelwahab Doukkali (photo), Oum Kaltoum,
Abdelhalim Hafid.
La littérature?
Je n’ai plus le temps de lire. Mais je parcours toute la presse, que ce soit en arabe ou en français. J’essaie de me tenir au courant de tout ce qui se passe au Maroc et de par le monde.
Le cinéma?
Je regarde des films de temps en temps. J’essaie de soutenir le cinéma marocain. Le dernier film qui m’a marqué est “Road to Kabul”, que je retournerai voir bientôt. Autrement, je regarde également des films américains. Mais, le dernier Bruce Willis m’a déçu