L’indépendance du parquet général : un tournant
L’indépendance du parquet général a été depuis longtemps une revendication des organisations politiques et de la société civile comme étant une étape importante dans le processus d’édification de l’État de droit. Comme l’a dit Mohamed Abdennabaoui, procureur général du Roi près la Cour de cassation, dans son allocution prononcée à cette occasion, en menant cette réforme, le Maroc « adhère au club des grands modèles démocratiques du monde qui font de la Justice un pouvoir constitutionnel indépendant ». Reste que ce choix n’est pas applaudi de toutes parts comme il a été démontré lors de l’examen par le Parlement du projet de Loi sur la présidence du parquet. De nombreux parlementaires et d’observateurs ont soulevé, à cette occasion, les risques que comporte cette réforme. Mais quels sont ces risques ? Résumons-les en quelques mots. C’est la crainte de voir naître un monstre incontrôlable.
Conscient de ces critiques, le nouveau président du parquet général a tenu dans son allocution prononcée à l’occasion de la cérémonie de transfert des pouvoirs, à rassurer les citoyens en adoptant une démarche pédagogique. Ainsi, il précise que le « ministère public, malgré son indépendance, fait partie intégrante des instances étatiques » qui sont, selon la constitution, tenues de collaborer dans l’intérêt du pays et de celui des citoyens. Il ajoute que le parquet exerce ses fonctions dans un cadre strict rigoureusement défini par la loi. Dans leur travail, les magistrats du parquet sont soumis au contrôle judiciaire. Toutes leurs décisions font l’objet de contrôle de la part du juge, ce qui est de nature à empêcher tout abus de pouvoir, sachant que le juge est «en charge de la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire des personnes et des groupes, ainsi que de l’application de la loi ».
Le procureur général du Roi près la Cour de cassation ajoute que l’indépendance du parquet ne signifie pas qu’il échappe à l’obligation de reddition des comptes. En se référant à une décision récente de la Cour Constitutionnelle, il précise qu’en sa qualité de président du ministère public, il est responsable de l’exécution de la politique pénale devant le Roi qui le nomme et aussi devant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire auquel il est tenu de soumettre des rapports périodiques sur l’exécution de la politique pénale et sur le fonctionnement du parquet. Et pour bien expliciter sa vision de l’indépendance du Ministère public, il note avec force qu’« elle ne signifie pas que le parquet est libre de faire ce qu’il veut loin de toute reddition des comptes, ou qu’il lui est permis de ne pas respecter les droits des individus et des groupes ou qu’il est autorisé à ne pas collaborer avec les institutions étatiques et la société dans l’intérêt du pays et de celui des citoyens. Elle signifie que le parquet général ne sera pas un instrument docile entre les mains d’une personne ou d’un groupe contre d’autres personnes ou d’autres groupes, ni une arme à usage facile à la disposition d’une partie contre d’autres parties. Il sera plutôt une arme entre les mains de la loi contre ceux qui la violent et une arme entre les mains de la nation contre ceux qui la menacent ».
Cette définition met les magistrats du parquet devant un grand défi qui ne peut être relevé que s’ils se débarrassent de la culture qu’ils ont acquise durant toute leur carrière. Mais il est clair que leur succès reste aussi conditionné par le processus de démocratisation du pays. Les textes juridiques sont là, il appartient maintenant aux différents acteurs de leur réserver une bonne application.