L’intellectuel intègre ( Par Jamal Berraoui )
Le déchainement des passions a atteint même ceux qui devraient être la conscience de la nation, les intellectuels. La raison, la défense du droit, ne sont plus de mise. « Tu es avec nous ou avec eux », alors qu’il s’agit de l’avenir d’un espace qui est condamné à réunir les deux groupes. Dans ce concert quelques voix s’expriment pour tenter de stopper la dérive. Ainsi en est-il des laïcs qui dénoncent la répression en Egypte et refusent la théorie de la révolution rectificative, ou des Islamistes qui dénoncent les actes des opposants Syriens et appellent à une Syrie plurielle.
Azmi Bichara est un penseur connu pour ses penchants panarabes. Depuis plusieurs années, il est acquis à la démocratie, après une analyse critique des années de pouvoir des siens, sans renier l’arabisme, qui reste pour lui une valeur essentielle, il développe une analyse fort réaliste, y compris sur le printemps arabe.
Les Islamistes ont fini par accepter le jeu démocratique comme unique voie pour arriver au pouvoir, c’est une avancée, mais ils sont loin d’adhérer à la démocratie, dit-il en substance. Mais ni les nationalistes, ni les prétendus libéraux ne sont démocrates non plus. Dans ce contexte, la majorité électorale ne sert qu’à justifier l’exclusion de l’autre, ce qui est l’antithèse de la démocratie.
Il en revient à l’idée qu’il faut d’abord élaborer des consensus permettant à tous les courants de coexister, d’être en compétition sans que celle-ci signifie l’anéantissement de l’autre. Le premier des consensus à établir selon lui, concerne les libertés publiques et individuelles qui doivent être les plus étendues possible pour tous.
Il n’évacue pas la question de la religion. « Il n’y a pas de religion d’Etat, la religion relève de la sphère privée des individus ». Mais il conteste l’épithète laïc utilisé abusivement selon lui. Certains religieux minoritaires plaident pour la laïcité alors que dans leur communauté ils veulent perpétuer les commandements religieux imposés aux individus. « Tous ceux qui boivent du whisky ne sont pas des laïcs ».
Il en arrive à la conclusion qu’il faut un consensus autour de la sécularisation de la religion dans nos sociétés. Fort de cette analyse, s’il critique la tentative des frères musulmans sous Morsi d’islamiser l’Etat et la société, il ne les met pas dos-à-dos avec Sissi. Entre les deux, il y a le fait que Morsi a été élu, et qu’il n’a pas tiré sur les manifestants.
Azmi Bichara est très pessimiste, « Nos sociétés sont divisées, il y a un véritable fossé, avec une très faible frange de vrais démocrates. Des jours sombres nous attendent si le seul résultat des révolutions c’est la déliquescence de l’Etat ».
On peut adhérer ou pas à l’analyse mais on ne peut que saluer l’intégrité de l’intellectuel et son refus de tomber dans la facilité qui consiste à choisir son camp et à répéter sa propagande sans discernement. Les textes sont disponibles sur internet.